"Préfet des autres", les lauriers de la République.

Montpellier, un sous-préfet pas comme les autres... Jean-Christophe Parisot est tétraplégique. Personnalité publique et écrivain, il publie un nouvel ouvrage, " Préfet des autres ", drôle et incisif. Rendez-vous en librairie le 22 septembre 2011.

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Handicap.fr : Quels ont été les obstacles les plus durs au cours de votre vie, et notamment lors de vos études ?
Jean-Christophe Parisot
: J'étais le premier étudiant paraplégique à Sciences Po. C'était il y a 25 ans. J'ai essuyé les plâtres puisque, les amphis n'étant pas accessibles en fauteuil, je devais suivre les cours dans le couloir. Heureusement, les choses ont évolué... Mais le plus difficile dans mon aventure à peine croyable de sous-préfet sans bras ni jambes, a été de rentrer dans la République des biens portants. De faire comprendre que j'avais des compétences égales à celles des valides, et qu'il ne fallait pas me juger sur des clichés ou des craintes.

H
: Quelles sont ces craintes ?
JCP
: Plus qu'une crainte, c'est une méconnaissance. Personne n'est vraiment opposé à une personne handicapée mais on ne sait pas vraiment qui elle est... On l'imagine pétrie de fragilité et d'incompétences. Il y a encore bon nombre d'obstacles symboliques et culturels à franchir. Je m'y emploie. J'ai récemment passé en revue les troupes. Il a fallu modifier le protocole car c'est la première fois qu'on leur rendait hommage assis dans un fauteuil ! Un grand choc symbolique mais qui a finalement ému ceux qui étaient présents... Une autre fois, en réunion de gendarmerie, un colonel, bouleversé, m'a dit « C'est un honneur de servir sous vos ordres ». Preuve qu'un myopathe peut aussi incarner la force !

H
: Quelle est votre tache de sous-préfet ? Votre situation personnelle vous cantonne-telle inévitablement aux questions liées au handicap ?
JCP
: Absolument pas ! En dépit de multiples contraintes liées à mes soins et à ma motricité, je traite tous les dossiers. Je suis un sous préfet ordinaire qui n'a pas envie d'être fiché comme « Monsieur handicap ». Mais il est vrai que j'ai demandé qu'on me confie, en plus de ma charge, tous les dossiers sociaux difficiles ou relatifs à l'égalité des chances. C'est aussi le cas des prisonniers, des gens du voyage...

H
: Pourquoi y a-t-il aussi peu de représentativité des personnes handicapées dans les instances de l'Etat ?
JCP
: Car il est encore difficile pour un jeune handicapé de faire des études supérieures. A Sciences Po, j'étais vraiment l'étrange petit canard. Pour moi, cela représente vingt ans de travail intense où j'ai cravaché comme un fou. Et aujourd'hui encore, lorsque vous arrivez à une réunion de grands élus en fauteuil roulant, les gens sont étonnés car ils ont plus souvent l'habitude de vous voir dans le rôle de l'allocataire en train de faire la queue dans une MDPH !

H
: Vous vous êtes même déclaré candidat à l'élection présidentielle de 2002 et de 2007...
JCP
: Oui, sous les couleurs du Collectif des démocrates handicapés (CDH) créé en 2000 à l'Assemblée Nationale pour « rendre à la démocratie les éternels oubliés ». Certes, je n'ai obtenu que 17 signatures en 2002 et 36 en 2007. C'était déjà un record n'ayant aucun budget ! Depuis, la qualité du débat s'est dégradée, et je déplore que la politique soit réduite à des petites phrases ou à la vie privée. Il faut poser les vraies questions qui dérangent, et surtout retrouver le désir du vivre ensemble.

H
: Votre slogan était « Le handicap, une chance pour la France » ? Cela a pu faire grincer les dents de ceux qui le vivent au quotidien...
JCP
: Ce slogan avait surtout pour ambition d'interpeller l'électorat valide. Montrer que la question du handicap n'est pas seulement une portion de camembert dans un budget. Il y a une autre façon de regarder les personnes handicapées, qui doivent aussi être reconnues pour leurs talents. Cette « chance » c'est d'aider les personnes « normées » à voir que la différence permet de porter un autre regard sur la vie.

H
: Que pensez-vous de la proposition de loi de Handi Pop qui voudrait instaurer un quota de 6% de personnes handicapées sur les listes électorales, au même titre que celui imposé aux entreprises ?
JCP
: J'ai moi-même milité pour qu'il y ait plus d'élus handicapés dans les partis politiques mais je ne suis pas vraiment partisan des quotas, quel que soit le domaine d'ailleurs. Il ne faudrait pas que les personnes handicapées deviennent des pots de fleurs en fin de liste pour se donner bonne conscience. Chacun doit être reconnu pour ses compétences, au risque, sinon, de passer pour d'éternels quémandeurs insatisfaits.

H
: Votre cheval de bataille, c'est aussi de faire bouger les choses dans l'Education nationale. Comment expliquer la rigidité du premier employeur de France ?
JCP
: Oui, il est vrai que je me suis beaucoup impliqué dans ce domaine. J'ai notamment écrit « Le handicap, une chance pour l'école » préfacé par Xavier Darcos, et lancé le dispositif Aide-Handicap-Ecole à destination des familles. L'Education nationale a, par nature, la culture du diplôme. Mais il existe, notamment au sein des rectorats, de nombreux niveaux d'emplois, par exemple de jardiniers ou de vaguemestres, qui peuvent tout à fait convenir à des travailleurs handicapés mentaux. Mais la France porte en elle une culture très latine, avec parfois certains archaïsmes ! On constate malgré tout des progrès puisqu'on a réussi à faire tomber quelques pré-requis, comme l'obligation pour les enseignants de posséder le brevet de secourisme ou de natation, rédhibitoires pour de nombreux postulants handicapés.

H
: Certains détracteurs ont la dent dure. On vous reproche de ne pas en faire assez ou, au contraire, d'être trop utopiste... C'est ça la vie politique, que l'on soit valide ou handicapé ?
JCP : Oui, personne n'y échappe. Lorsqu'on se confronte au monde politique ou de la haute-fonction publique, il faut apprendre à parler le langage de cet univers codé pour faire passer ses idées. J'ai la réputation de ne pas avoir ma langue dans ma poche mais la meilleure chose que je puisse faire pour les citoyens handicapés, c'est de ne pas rester dans la contestation pure et simple... Il faut prouver qu'être handicapé et sous-préfet, c'est désormais possible et banal !

A lire, à partir du 22 septembre 2011
« Préfet des autres », par Jean-Christophe Parisot, préface de Xavier Bertrand, Ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé, éditions Desclée de Brouwer.

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