Louis van Proosdij, entrepreneur tétraplégique

Louis van Proosdij est un homme brisé par le nouveau protocole imposé par la société qui lui prodigue ses soins à domicile. A la faveur du raz de marée que son témoignage a suscité sur le Net, il aura peut-être fini par obtenir gain de cause...

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Handicap.fr : Racontez-nous votre histoire, qui défraie le web depuis quelques jours ?
Louis van Proosdij
: J'ai 43 ans, je suis tétraplégique -un accident à l'adolescence-, et je vis un cauchemar depuis que Santé Service, association de soins à domicile, a décidé, il y a une vingtaine de jours, de m'imposer un nouveau protocole de soins. Pour résumer : une seule douche par semaine au lieu de la douche quotidienne, toilette au lit à la cuvette, l'attribution d'un lit médicalisé et couché tôt, levé tard. Avec ces nouveaux horaires, et le cheveu gras, impossible d'honorer mes rendez-vous professionnels alors que je suis entrepreneur depuis l'âge de 20 ans, spécialiste de l'économie numérique et que j'ai toujours tout fait pour assurer mon autonomie.

H
: Avez-vous alerté Santé Service, votre prestataire de soins ?
LVP
: Evidemment, mais on me parlait comme à un môme. Il n'y avait aucun dialogue possible. J'ai sombré dans le dédale administratif. C'était insupportable. Et encore, j'ai de la ressource mais je ne sais pas comment font les plus fragiles moralement. Alors on baisse les bras, en se disant qu'après tout c'est peut-être notre sort... Mais, dans ces cas là, c'est doublement pas cool d'être handicapé ! Lorsqu'on est englué dans un tel système, il devient inconcevable d'avoir une activité professionnelle. On vous enferme dans un schéma dont il est difficile de s'extraire.

H
: Mais pour quelles raisons cette association a-t-elle décidé ces modifications ?
LVP
: C'est une succession de dysfonctionnements. La très grande majorité des soignants fait vraiment un boulot formidable, mais une minorité n'a pas la vocation. D'autres se cassent le dos parce qu'ils refusent d'appliquer les gestes et postures de sécurité. Cela crée des tensions dans les équipes, alors, pour mettre tout le monde d'accord, et parce que les conflits n'ont pas été gérés en interne, les employeurs décident de niveler par le bas en limitant les actes et les transferts.

H
: Vous avez donc décidé de raconter votre situation sur le réseau social Twitter et votre blog.
LVP
: Oui, c'était un cri du cœur. Et, grâce à mon réseau sur le Net, j'ai fait circuler l'info. Je me suis dit qu'avec l'aide de quelques copains, mon SOS allait bien remonter dans quelque cabinet ministériel. Ironie du sort, ceci tombe juste après l'intervention de Nicolas Sarkozy une semaine plus tôt lors de la Conférence nationale du handicap.

H
: Et là, surprise...
LVP
: Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux solidarités, adepte de Twitter, a été alertée, a pris contact avec moi et le prestataire qui a reconnu son erreur en convenant que le protocole avait été rompu de manière unilatérale, et qu'il allait être reconsidéré.

H
: Mais au-delà de cette issue qu'on espère bientôt favorable, votre témoignage a créé une déferlante sans précédent...
LVP
: Oui en effet. J'ai reçu 5000 mails et messages divers, et mon blog a croulé sous l'affluence. J'en profite d'ailleurs pour dire que j'aurai du mal à répondre à tout le monde. Je ne suis pas dactylo, je ne suis qu'un tétra qui tape avec un doigt.

H
: Qui étaient ces internautes qui vous ont contacté ?
LVP
: Il y a tous les profils. Ceux qui ont vécu des choses similaires, avec des témoignages vraiment poignants. Et puis aussi des aides-soignants qui ne reconnaissent plus leur métier, ou des infirmières dégoutées.

H
: Et aucun détracteur ?
LVP
: Si, bien sûr. Des aides-soignants qui me reprochent de dégrader l'image de leur profession. Je tiens à leur répondre que je ne pars pas en croisade contre eux, puisque je leur dois, depuis 27 ans, ma qualité de vie, mais contre les aberrations du système. D'autres me suggèrent de me payer moi-même une aide à domicile puisque je suis entrepreneur. Et le mieux, ce sont ceux qui me déclarent « Votre copine pourrait vous doucher ! ».

H
: C'est vraiment méconnaître le quotidien de l'entourage d'une personne handicapée...
LVP
: Oui, c'est certain. Nos compagnons supportent déjà notre handicap à chaque instant, et ils n'ont pas vocation à se transformer en aide-soignant. On ne peut pas être à la fois femme, amante, amie, auxiliaire de vie et infirmière. Qui serait capable d'assumer tout cela ? C'est d'ailleurs le défaut des services de soins à domicile qui se reposent trop souvent sur des familles qui peinent déjà à accompagner leur proche au quotidien.

H
: Comment expliquez-vous un tel raz de marée ?
LVP
: Je le dois peut-être au hasard médiatique. Il ne s'est pas passé grand-chose cette semaine là, et mon histoire a du titiller quelques journalistes. Je me suis rendu compte que Twitter était devenu un véritable radar pour eux. La télé, la radio et une dizaine de grands quotidiens ont déferlé. J'ai été interviewé par LCI, BFM, France 5, Europe 1, RMC, L'Express, le Figaro ou Libé... J'imagine qu'ils sont venus y puiser la réflexion sur une aberration.

H
: N'est-il pas insensé que le gouvernement ait été alerté par le Net ? Cela signifie-t-il que les procédures administratives classiques n'aboutissent plus ?
LVP
: Combien de temps aurait-il fallu avant que mon dossier, en passant de service en service, ne soit déposé sur le bureau d'un ministre ? Des mois, voire des années, avec des pétitions et des centaines de témoignages de « tétras pas douchés »... C'est la force de ces nouveaux outils de communication. Même si on sait bien qu'ils retombent aussi vite qu'ils ont réagi, ce sont de bons outils pour prendre le pouls, pour s'emparer rapidement d'un sujet, y compris dans les cabinets ministériels. On a gagné un temps fou pour arriver jusqu'à l'Elysée !

H
: Quelle morale tirez-vous de cette affaire ? Y-aura-t-il un après ?
LVP
: Le gouvernement ne peut pas prôner un discours en faveur de l'emploi des personnes handicapées si, en même temps, ils n'ont pas la possibilité, tout simplement, d'avoir une hygiène et des horaires de travail comme tout le monde. La question sur la dépendance est une réalité. Alors j'imagine que cet événement peut être une opportunité pour ce débat, et plus largement pour celui de l'accessibilité. Les Etats-Unis se sont dotés, déjà dans les années 70, de lois pour ne pas laisser les vétérans de la guerre du Vietnam sur le carreau. C'est juste un pur bonheur de se déplacer en fauteuil dans ce pays alors qu'il y a une ou deux marches dans quasi toutes les pharmacies de mon quartier ! Il est temps que la France fasse preuve de courage politique et citoyen.

Lien vers le blog de Louis:
http://blog.van-proosdij.fr/

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