Hugo Horiot, l'enfant autiste devenu comédien

Hugo Horiot, comédien, écrivain, autiste. Ou pas ! Différent, c'est certain. Enfant, il ne parlait, aurait pu être "assassiné" par un système qui méprise ou ignore la différence. Il a pris sa revanche, la parole aussi...

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Handicap.fr : Hugo, 2 ans, ne parle pas. Votre maman perçoit un problème...
Hugo Horiot : On lui a dit de faire le deuil de son enfant. Il n'y avait apparemment pas de place pour son fils dans ce monde-là. Je ne correspondais pas aux standards, ni aux attentes. Distant, lointain, silencieux, énigmatique, trop sage. Je ne parlais pas, je fuyais les regards et tournais des roues. Toute la journée. Les autres étaient mon problème. Le silence, ma terre d'asile.

H.fr : Un mot est posé, de façon incertaine, « autisme ».
HH : Trouble du spectre autistique. Je fais partie des 1%. 650 000 personnes en France. Cela représente 8 000 naissances chaque année sur le territoire français. On ne souffre pas d'autisme. Autiste, on l'est ou ne l'est pas. On souffre du regard des autres.

H.fr : Dans les années 80, il n'y avait pas de diagnostic précoce, pas d'école, pas de prise en charge adaptée...
HH : Non, alors on a suggéré à ma mère de m'abandonner en hôpital psychiatrique. Des journées oisives entre quatre murs où l'on attend « l'éveil du désir ». Pour 900 euros par jour et par tête, remboursés par la sécurité sociale. Rajoutez à cela les 60 millions d'euros par an d'argent public qui, faute de structures adaptées en France, financent l'exil des personnes autistes dans des centres en Belgique, loin de leur famille. Vous imaginez le business. A l'époque, en France, on ne parlait pas des méthodes comportementales, type ABA, pourtant en vogue depuis trente ans aux États-Unis. Il n'y avait pas internet... Alors ma maman a fait avec les moyens du bord avec l'objectif de m'apprendre à lire et à compter pour que je puisse entrer en primaire.

H.fr : Comment s'y est-elle prise ?
HH : Elle a eu l'idée de dessiner des lettres et des chiffres en couleur. Et, en une après-midi, j'avais appris l'alphabet. Elle a inventé à sa façon le concept des pictogrammes.

H.fr : À 6 ans, vous ne parlez donc toujours pas mais vous savez lire...
HH : Oui, et le jour de la rentrée, on ne pouvait plus me virer car j'avais le niveau. Mais, durant toute ma scolarité, ça c'est mal passé car j'étais pris entre les profs qui voulaient me pousser vers la sortie et mes « camarades » qui m'ont fait vivre un enfer. Mais c'était toujours mieux que l'enfermement.

H.fr : Récemment, vous avez déclaré : « À de nombreuses reprises, on a tenté de m'assassiner ». Qu'entendez-vous par là ?
HH : Lorsque vous allez en hôpital psychiatrique, c'est souvent avec un aller simple. Une fois que les parents ont signé la décharge, c'est presque impossible de faire marche arrière, et sans un super avocat vous pouvez aller vous rhabiller. On a fait de moi un marginal dès ma petite enfance. Cette différence a bien failli me tuer. J'étais faible, exposé et en danger. Être autiste en France, c'est vivre dangereusement.

H.fr : Ètes-vous autiste Asperger, c'est à dire de haut niveau ?
HH : Bah je ne crois pas, je ne suis pas particulièrement spectaculaire, comme Josef Schovanec qui parle dix langues. En fait, personne n'a jamais su me dire quel genre d'autiste j'étais. Le terme Asperger a d'ailleurs récemment disparu de la classification officielle (DSM). On a tendance à me classer dans cette catégorie parce que je m'en suis sorti... (pas de l'autisme, bien entendu !)... J'ai certes des activités restreintes comme l'écriture ou le théâtre mais sans que cela ne puisse caractériser un autisme de haut-niveau.

H.fr : L'enfant qui ne parlait pas a eu envie, un jour, de monter sur les planches...
HH : Oui, à l'âge de 15 ans, dans le club du lycée. Et puis, à 23 ans, j'ai intégré une école d'acteurs professionnels, à Agen, où j'ai pu me professionnaliser.

H.fr : En mars 2013, vous publiez un livre « L'empereur c'est moi », qui rencontre un immense succès...
HH : Oui, auquel je ne m'attendais pas ; je n'étais qu'un comédien sans faits d'arme et comme 90% au chômage. 50 000 exemplaires vendus, traduit en 5 langues, bientôt une sortie aux États-Unis et une version en livre de poche.

H.fr : Vous avez conquis un public concerné par l'autisme ?
HH : Oui mais pas majoritairement, et c'est cela qui m'intéressait. Je n'emploie d'ailleurs pas une seule fois le mot autisme dans ce livre. C'est plutôt l'histoire d'une personne qui parle de différence, d'exclusion et d'incompréhension. Beaucoup s'y sont reconnus et c'est pour cette raison qu'il a si bien marché.

H.fr : Votre livre est adapté au théâtre pour la première fois en février 2015, avec vous-même dans le rôle principal.
HH : Oui, nous avons donné la pièce au Trident, scène nationale de Cherbourg où nous sommes en résidence mais espérons pouvoir le jouer partout en France dès la prochaine saison, à partir de septembre. Une vingtaine de dates sont déjà programmées.

H.fr : Vous vous exprimez assez fréquemment dans les médias mais jamais au nom d'une association de personnes avec autisme. Vous devez pourtant être sollicité...
HH : J'ai toujours été clair, je ne parraine aucune asso. Je ne veux pas mettre les pieds dans ce champ de mines, avec ses luttes de pouvoir et d'intérêt incessantes. Nous sommes, je crois, nombreux à nous sentir de moins en moins représentés par les grosses associations. Alors je souhaite conserver une sorte d'indépendance de parole et de mouvements.

H.fr : Vous prétendez que la France a 50 ans de retard dans le domaine de l'autisme...
HH : Ce n'est pas une légende, c'est un fait. 50 ans de dogme psychanalytique mettent en danger le destin de l'ensemble de la communauté autistique en France. Psychose infantile, dysharmonie évolutive, mère froide, mère chaude, syndrome de Münchhausen par procuration… Aujourd'hui encore, la forteresse vide de Bettelheim n'en a pas fini d'emprisonner des vies. Ses préceptes font foi dans les tribunaux, ainsi que dans une grande partie du secteur psychiatrique, pédopsychiatrique et médico-social. Trop de placements abusifs s'appuient encore sur des expertises teintées de ce catéchisme-là. La France a d'ailleurs été condamnée plusieurs fois par le Conseil de l'Europe à ce sujet.

H.fr : Que faut-il faire alors ?
HH : On aménage des places alors qu'il conviendrait d'ouvrir des portes. Ouvrir les portes de la dignité, ouvrir les portes des écoles, ouvrir les portes de l'éducation, ouvrir les portes de la citoyenneté. L'autisme n'est pas irréversible. Quel que soit son degré. La communauté scientifique internationale l'a démontré.

H.fr : Le 2 avril 2015, la révolte a pris une autre tournure...
HH : Le cabinet de l'avocat Sophie Janois, mandaté par dix familles, dépose un recours contre l'État pour « défaut de prise en charge adaptée de leurs enfants autistes. » D'autres commencent à s'associer à cette procédure.

H.fr : Le 8 avril 2015, lors des Journées parlementaires de l'autisme, le monde politique affiche pourtant une volonté de changement de cap.
HH : Oui mais le temps des annonces politiques est rapide et le temps institutionnel est long. L'institutionnalisation obsolète des personnes autistes demeure. Les chimères ont la vie dure. Face à l'urgence de la situation, il convient de réviser certaines de nos pratiques à tous les niveaux : textes de loi, éducation, enseignement, formations… À la clef : beaucoup d'emplois et la fin d'un scandale. Plus que jamais, il convient de changer notre regard, notre approche et notre attitude envers la différence. Si nous ne le faisons pas aujourd'hui, l'Histoire, j'en suis convaincu, nous donnera tort, demain. L'Histoire des 650 000 personnes qui auront été abandonnées. À nous d'en écrire une autre !

© Sacha Wolff

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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