Eléonore, 19 ans, tétraplégique: parcours d'une guerrière

"La vie est d'autant plus précieuse quand on a failli la perdre." A 16 ans, Eléonore Wirtz est introvertie, passive, sans ambition, mais un accident de voiture lui redonne goût à la vie. 3 ans plus tard, elle est plus forte et ambitieuse que jamais.

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11 mai 2016. Comme tous les mercredis, je quitte l'école à 11h50. Il fait beau ce matin-là, un soleil radieux ; pourtant, une sombre journée s'annonce. A midi, je prends la route avec des amis pour rentrer chez moi. La voiture fait un premier écart, plus de peur que de mal. Le deuxième ne pardonnera pas... Assise à l'arrière, je pianote sur mon téléphone et ne vois pas venir la camionnette qui se situe de l'autre côté de la route. A 12h15, un choc frontal avec quatre voitures bouleverse ma vie, pour le pire, d'abord, et le meilleur ensuite mais, ça, je ne le sais pas encore. « Tout le monde va bien ? », demande le conducteur. Tout le monde sauf moi. Je ne peux pas bouger, parler, ni même respirer. Je sens tout mon corps se briser. Mon foie lâche le premier, puis c'est au tour de mon rein droit, de ma vésicule biliaire... Quatre hémorragies internes, le début d'une longue et douloureuse agonie.

Prisonnière…

Les passants tentent par tous les moyens de m'extirper du véhicule mais les portières sont verrouillées. C'est donc comme ça que s'achève mon histoire ? Seule, à 16 ans, à bord d'une voiture « old school* », sur une route de campagne ? Pas question ! Par chance, mon médecin traitant se trouve non loin de là et appelle une ambulance qui me transporte jusqu'à un hélicoptère. Les médecins se jettent sur moi et m'ouvrent le ventre, sous anesthésie locale, pour stopper l'hémorragie. Je ne reprendrai mes esprits qu'un mois plus tard, à l'hôpital. Dans mon souvenir, ce n'était pas si long dans La belle au bois dormant... Un bisou et puis hop, roule ma poule !

A mon réveil, ni prince charmant, ni château, seulement un médecin présomptueux : « Votre moelle épinière est touchée, ce qui a provoqué une tétraplégie incomplète. Vous vous déplacerez certainement en fauteuil roulant toute votre vie. » « Un fauteuil roulant ? Mais pourquoi ? Où suis-je ? Que s'est-il passé ? » Pas de réponse. C'est normal, aucun son ne sort de ma bouche. Après avoir été prisonnière de cette maudite voiture, je suis prisonnière de mon propre corps. Le pire, c'est d'avoir conscience de tout ce qui se passe, de tout voir, tout entendre, mais de ne pas pouvoir réagir. Me voilà revenue au stade « bébé ». Je ne peux rien faire toute seule et ai besoin de l'aide constante d'une infirmière. Mais un seul mot passe en boucle dans ma tête : tétraplégie « incomplète ». Tout n'est pas perdu, il y a encore de l'espoir !

Mes premiers pas

Un fauteuil roulant ? Impossible ! Ce n'est pas compatible avec les sports de combat que je pratique. Après avoir brièvement baissé les bras, la guerrière qui sommeille en moi reprend le dessus. Trois semaines après être sortie du coma, je retrouve ma voix. D'abord quelques sons, puis un mot, deux, une phrase... Après deux mois au service réanimation, je suis transférée dans un centre de rééducation pour un semestre. Alitée durant quatre mois, je perds 10 kilos et vois toutes ces années de sport partir en fumée. Le meilleur moment de la journée ? Lorsque mon médecin m'apporte les résultats du scanner. Quand ils seront « bons », je pourrai enfin m'asseoir. Une fois cet objectif atteint, je m'en fixe un autre : me lever. « C'est pour aujourd'hui ? », demandais-je quotidiennement. Et puis, à force de détermination et de persévérance, ce jour finit par arriver. C'est à peine croyable... Je boite, titube quelque peu, mais qu'importe, je me tiens debout, fière d'avoir déjoué tous les pronostics. Chère vie, me voilà de retour, plus forte que jamais !

Quitter les nids

Après 8 mois d'hospitalisation, on m'annonce que je peux sortir. Un moment à la fois attendu et redouté... Je dois quitter mon cocon et ce personnel soignant qui a pris soin de moi. A l'hôpital, j'étais dans la « norme », au milieu de personnes blessées, amputées, paralysées, personne ne me regardait de travers. Une atmosphère bien plus hostile m'attend là-dehors. Dès ma première sortie, je sens le poids de ces regards curieux, oppressants, empreints de pitié, méprisants. A l'école, ma différence m'isole. Pourtant, je ne porte qu'un corset et des attelles au dos et aux jambes, je ne suis ni « défigurée » ni amputée. J'ose à peine imaginer ce que ces personnes doivent endurer... Les jours se suivent et se ressemblent  ; mes amis s'en sont faits de nouveaux et me tournent le dos, je me sens de plus en plus seule. Je suis « la fille qui a eu l'accident », suscite les rumeurs les plus loufoques, la peur. Personne ne me connaît mais tout le monde sait ce qui m'est arrivé. Pour compenser, mes professeurs et mes parents ont tendance à me surprotéger, ce qui n'est pas non plus la solution car cela attise la jalousie de mes camarades et de mes frères et sœurs. Et puis je ne veux pas qu'on m'aide à monter les escaliers, je préfère tomber dix fois, me relever et y arriver seule. Quand un évènement tragique survient dans une famille, c'est un peu comme un domino, petit à petit, tout s'effondre autour, et c'est très dur ensuite de tout reconstruire. Pour éviter d'en arriver-là, je décide de quitter provisoirement le nid familial et de louer une chambre étudiante.

Ma nouvelle vie avec mon handicap invisible

Quelques mois plus tard, j'emménage avec ma mère dans une autre ville, pour repartir de zéro. Ici, je peux être qui je veux. Nouvelle école, nouveaux camarades et nouveau handicap, désormais invisible ! Invisible, certes, mais toujours présent et surtout chronophage, compte-tenu de mon panel de rendez-vous médicaux... Lassés de mes retards et absences à répétition, les professeurs me demandent des explications. Je comprends rapidement que c'est le lot des personnes porteuses d'un handicap invisible. Contrainte de leur raconter mon histoire, j'en profite pour demander des aménagements. Malheureusement, ils ne sont pas tous respectés. Le hic, c'est que les professeurs n'ont pas le temps de se pencher sur les besoins spécifiques d'un élève, et ils ne sont ni formés ni sensibilisés en amont. En fin d'année, je réussis brillamment tous mes examens, sauf celui de maths. J'avais demandé une version de l'énoncé avec des caractères agrandis, en vain. En parallèle, on m'a demandé de passer un examen de gym alors que j'étais dispensée de sport. Ne pouvant réaliser des exercices pratiques, l'école a conçu un test théorique. Je les ai finalement tous deux validés lors de la session de rattrapage de septembre, ce qui m'a coûté mes concours d'entrée en fac de médecine... Pour info, le test de maths n'était toujours pas adapté !

S'exposer pour sensibiliser

Outre son lot de souffrances et de déceptions, cet accident m'a beaucoup apporté et a été un véritable élément déclencheur. C'est comme si j'avais pris 40 ans de maturité d'un coup. Avant, j'avais une vie plutôt banale, j'étais timide, introvertie, je n'avais aucune ambition, pas d'objectif précis... J'étais passive. Trois ans plus tard, je déborde d'énergie, croque la vie à pleine dents, j'ai repris ma vie en main et des projets plein la tête. J'ai d'abord créé une chaîne YouTube, Eléon'Or, pour sensibiliser le plus grand nombre à la différence, au don de sang, d'organes mais aussi pour aider les jeunes, malades, handicapés ou tout simplement mal dans leur peau, à prendre confiance en eux et à s'affranchir du regard des autres. Je souhaite également donner la parole à toutes ces personnes différentes, ni écoutées, ni mêmes prises en compte, aller à leur rencontre dans les hôpitaux, les établissements spécialisés, pour échanger avec eux... Leur dire qu'ils ne sont pas seuls et que, même si les médecins prévoient le pire, il y a toujours de l'espoir, et qu'il ne faut pas baisser les bras... Les aider à accepter leur (nouveau) corps, tel qu'il est, avec ses blessures, ses cicatrices. La mienne fait 30 cm, recouvre l'intégralité de mon ventre et m'a privée de nombreuses sorties plage entre amis. Mais aujourd'hui, je ne subis plus, je m'expose et suis actrice de ma vie.

Cet état d'esprit m'a conduite à recevoir le prix du public Top Women 2019, un concours de beauté belge qui bouscule les codes et s'oppose aux diktats de la beauté. Mon credo : tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir. Peut-être le titre de mon livre ? Je suis en train de coucher sur papier mon histoire, ma reconstruction et enfin ma renaissance, pour convaincre les gens qu'un accident, aussi tragique soit-il, peut marquer le début d'une nouvelle vie.

* De la vieille école

Illustration article Eléonore, 19 ans, tétraplégique: parcours d'une guerrière
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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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