Dépakine:la double peine d'une mère de 2 enfants handicapés

On ne l'a jamais informée des dangers de la Dépakine en cas de grossesse, alors Chrystèle a eu un 1er enfant, puis un 2è. Autistes tous les deux. Le 2 juillet, elle saura si la justice reconnaît la responsabilité de l'Etat dans leur handicap.

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Par Sarah Brethes

Dernière minute du 2 juillet 2020
La justice a reconnu pour la première fois la responsabilité de l'Etat dans le scandale de la Dépakine, le condamnant à indemniser trois familles dont les enfants sont lourdement handicapés après avoir été exposés in utero à cet anti-épileptique.Le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) a encore estimé que les responsabilités étaient également partagées, dans une moindre mesure,par le laboratoire Sanofi et des médecins prescripteurs.

Article initial du 1er juillet 2020
Aujourd'hui encore, cette mère de 42 ans dit "ne pas pouvoir se regarder dans une glace". "Je suis aide-soignante, j'aurais dû savoir : pas de médicament pendant la grossesse", s'accuse-t-elle. Pourtant, ni sa gynécologue ni son neurologue ne l'ont jamais alertée sur les dangers de la Dépakine. Au contraire, quand elle est tombée enceinte, ce dernier l'a sommée de poursuivre ce traitement si efficace contre les crises d'épilepsie dont elle souffre depuis l'adolescence. Le 24 juin 2020, le rapporteur public du tribunal administratif de Montreuil a estimé que l'Etat avait failli dans son devoir d'action et d'information sur ce médicament commercialisé par Sanofi depuis 1967 et a chiffré à plus de 280 000 euros le préjudice de la famille (article en lien ci-dessous). La décision est attendue le 2 juillet dans l'après-midi.

5 ans d'errance médicale

Charles (prénom modifié) a 6 mois quand Chrystèle, qui travaille comme auxiliaire de puériculture à Bourges, se rend compte qu'"il y a un problème" : "Il dormait 18 heures par jour, n'attrapait pas les objets". Commencent alors cinq longues années "d'errance médicale", où personne n'est capable de poser un diagnostic. "On a vu des milliards de médecins, on m'a tout reproché : d'être trop stressée, de ne pas stimuler mon enfant, de ne pas assez m'en occuper". Quand Jacques, son deuxième, naît, Charles a 2 ans. L'aîné "est alors complètement dans son monde : il ne joue pas avec moi, ne me regarde pas, passe son temps à aligner des petites voitures", se souvient sa mère. En grandissant, le cadet commence lui aussi à présenter des troubles.

Dépakine, la coupable !

Pour son avocat, Charles Joseph-Oudin, le cas de Chrystèle est emblématique de ce scandale sanitaire, qui a fait 30.000 victimes selon l'association qui les défend (Apesac). "On n'a jamais tenu au courant les femmes des risques auxquels étaient exposés leurs enfants in utero, s'émeut-il. Ensuite, quand elles ont cherché des explications, on les a traitées comme des névrosées." Un jour, "à force de retourner sans cesse le problème dans sa tête", Chrystèle a "le tilt" : "Je n'arrêtais pas de me poser les mêmes questions : pourquoi nos enfants sont-ils différents alors que tous les autres, dans la famille de mon mari et la mienne, sont normaux ? Qu'est-ce que j'ai fait pendant mes grossesses ? Tout d'un coup, j'y ai pensé : la Dépakine !" Mais le pédopsychiatre de son fils balaie son hypothèse.Elle doit attendre les 6 ans de Charles, en 2012, pour rencontrer un médecin spécialisé dans les troubles autistiques qui confirme son intuition : la Dépakine est bien coupable.

Dangers connus dès 1983

Lors de l'audience à Montreuil, le rapporteur public a estimé que les dangers du médicament étaient connus dès 1983 pour les malformations congénitales, et dès 2004 pour les troubles neurodéveloppementaux. Deux ans avant la naissance de Charles donc. Déficience intellectuelle, troubles envahissants du développement, troubles ORL, anxiété, crises de colère : dans son rapport, l'expert nommé par la justice souligne la nécessité d'assistance et de surveillance permanente de ces deux adolescents aujourd'hui âgés de 12 et 14 ans. L'aîné suit aujourd'hui sa scolarité dans une classe de 5e spécialisée. Le cadet est lui en 6e, mais ses résultats ont récemment dégringolé. Pour s'occuper de ses deux enfants, leur mère travaille de nuit : "Charles est obsédé par la mort, quand il ne me voit pas de la journée il est persuadé que je suis morte", explique-t-elle.

Jongler avec les RV

Psychologue, psychomotricien, ergothérapeute, orthophoniste : avec son mari, agent d'entretien, elle jongle entre les rendez-vous et les dossiers administratifs. Sans oublier l'éducation de leur troisième garçon. "A 6 ans, il a déjà rattrapé ses deux frères en matière de développement",  décrit Chrystèle, qui a arrêté la Dépakine pendant cette troisième grossesse. Pour ces parents, l'avenir est une source d'angoisse immense : "Je suis amenée à mourir. Mes enfants vont devoir survivre mais, sans travail, comment vont-il faire ? s'interroge-t-elle. Je veux seulement qu'on me dise que tout ira bien pour eux."

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