Marina, 32 ans, paraplégique: son livre dénonce le validisme

Comment le validisme impacte-t-il la vie des personnes handicapées ? Marina Carlos, 32 ans, paraplégique, y répond en 80 pages. Un premier opus pertinent qui mêle anecdotes, coups de gueule et pistes inclusives, disponible depuis le 27 juillet 2020.

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Handicap.fr : Vous venez de publier votre premier livre, Je vais m'arranger : comment le validisme impacte la vie des personnes handicapées, en autoédition. Quel est son objectif ?
Marina Carlos : Mettre en lumière la réalité du handicap en France et, notamment, expliquer et développer la notion de validisme, c'est-à-dire l'oppression systémique des personnes handicapées. J'ai voulu, avec ce livre illustré, créer un contenu facile à appréhender et comprendre pour permettre aussi bien aux personnes handicapées de s'identifier qu'aux « valides » intéressés par le sujet d'en savoir plus. Pensé comme un guide accessible, il montre, au travers de cinq thématiques, telles que l'accessibilité et la représentation dans les médias, et d'exemples concrets, l'omniprésence du validisme que subissent près de 12 millions de nos concitoyens.

H.fr : Pourquoi ce titre un brin ironique « Je vais m'arranger » ? A quoi fait-il écho ?
MC : Les barrières structurelles empêchent les personnes handicapées d'être autonomes et les obligent à devoir constamment « s'arranger » dans une société qui n'est pas accessible. « Je vais m'arranger » est une phrase que j'utilise souvent et qui, à mon sens, représente bien le quotidien des personnes handicapées, qui doivent sans cesse s'adapter, trouver des solutions.

H.fr : Racontez-nous l'origine du projet...
MC : A la suite de mes textes et de mon activité sur Twitter, j'ai été contactée en 2018 par une maison d'édition pour écrire un livre. Finalement, la proposition n'a pas abouti mais, emballée par ce projet, j'ai pris la décision, quelques mois plus tard, de publier ce livre par mes propres moyens.

H.fr : Et le processus d'écriture ?
MC : J'ai commencé par écrire une sorte de collection d'essais mais, après l'avoir achevée, je me suis aperçue que ce n'était pas le bon format. Il fallait quelque chose de plus accessible. J'ai alors pensé qu'une mise en page illustrée pourrait permettre aux lecteurs de se projeter plus aisément et ai travaillé avec l'illustratrice Freaks pendant un an environ.

H.fr : Quelle est votre définition du validisme ?
MC : Le validisme, en anglais « ableism », désigne l'oppression systémique des personnes handicapées, des préjugés aux discriminations. C'est un terme utilisé depuis des années par des chercheurs, activistes et institutions telles que l'Organisation des Nations unies, et qui amène à voir le handicap comme « autre » et une condition à « dépasser ». La norme étant la personne valide, celle handicapée est alors caractérisée comme « hors normes », voire inférieure. De fait, ses besoins ne sont pas pris en compte, elle n'est pas traitée de la même manière et souvent marginalisée.

H.fr : Des exemples concrets de situations validistes ?
MC : Etant paraplégique, il me semblait important de souligner que je suis partie de mon expérience personnelle, en tant que personne à mobilité réduite, et me suis concentrée sur des exemples auxquels je suis directement confrontée au quotidien. Dans mon livre, je parle notamment du manque d'accessibilité des transports en commun et de l'intimité forcée, un terme inventé par l'activiste Mia Mingus désignant « l'expérience quotidienne des personnes handicapées qui doivent dévoiler des détails intimes voire mettre à disposition leur corps, si besoin d'une assistance physique, pour avoir accès à quelque chose et survivre dans un monde validiste ». J'évoque aussi le fait que le corps ou les équipements (fauteuil roulant, canne…) des personnes handicapées sont touchés, attrapés, poussés sans qu'elles soient consultées.

H.fr : La France a-t-elle, selon vous, du retard en matière d'accessibilité et d'inclusion ? Quelle est la clé pour changer la donne ?
MC : Oui, un retard qui a d'ailleurs été critiqué par Catalina Devandas Aguilar, rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées. J'aime à rappeler le slogan « Nothing about us without us » (Rien pour nous sans nous), créé par des activistes handicapés sud-africains, qui symbolise le fait que les personnes handicapées sont les mieux placées pour savoir ce dont elles ont besoin et doivent, par conséquent, pleinement participer à tous les processus de décision qui les concernent. Il est vraiment essentiel de centrer les politiques et discours liés au handicap autour du respect de leurs droits, en étroite collaboration avec elles.

H.fr : Dans votre livre, vous parlez notamment de la (sous-)représentation du handicap dans les médias. Le dernier baromètre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) vient de tomber : 0,7 % de personnes handicapées à l'écran, en 2020, tout comme en 2019. Les années se suivent et se ressemblent...
MC : Oui car les contenus audiovisuels sont toujours majoritairement écrits, produits, réalisés, joués par des personnes valides qui ont des perceptions validistes du handicap et reprennent trop souvent deux extrêmes : le misérabilisme et « l'inspiration porn », qui consiste à exposer une personne en tant que source d'inspiration uniquement du fait de son handicap.

De même, dans les films et séries, les personnages handicapés sont souvent réduits à leur handicap alors qu'ils peuvent tout à fait représenter le rôle de collègue, d'amie, de partenaires… Les inclure devant et derrière la caméra est nécessaire pour une représentation beaucoup plus réaliste et nuancée. Enfin, les personnes handicapées représentent environ 20 % de la population, il est grand temps que cela transparaisse sur nos écrans.

H.fr : Des projets en cours ?
MC : Pour que ce livre soit le plus accessible possible et que des personnes anglophones puissent en apprendre davantage sur la situation en France, mais également percevoir les similitudes et la dimension « globale » du validisme, la version anglaise de mon livre sera bientôt disponible. « See you soon » (en français : à bientôt) !

 

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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