Crise Covid : suicides en baisse, c'est l'effet "sidération"

Quel effet la crise a-t-elle sur la santé mentale des Français, maintenant et à plus long terme ? Les suicides et dépressions risquent-ils d'augmenter ? Où trouver de l'aide ? Réponses, parfois à contre-courant, du Dr Pierre Thomas*, psychiatre.

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* Responsable du pôle psychiatrie du CHU de Lille et co-président du Comité de pilotage de la psychiatrie de la DGOS (Direction générale de l'offre de soins)

Handicap.fr : Quelles pourraient être les conséquences de cette crise sur la santé mentale des Français ?
Pierre Thomas : La crise du Covid-19 a débuté il y a six mois, nous n'avons donc pas encore le recul nécessaire pour connaître avec précision les conséquences sur le long terme. En revanche, nous avons tiré une certaine expérience de la première vague et des mesures sanitaires. Le premier confinement a entraîné une diminution assez nette de l'offre de soins, en particulier en ambulatoire (fermeture d'hôpitaux de jour, de centres d'accueil thérapeutique, baisse des consultations médico-psychologiques...), cumulée à un repli sur soi, qui a également provoqué une diminution de la demande. Autre fait notable : une baisse des recours aux urgences et des tentatives de suicides.

H.fr : Pour quelle raison cette baisse des tentatives de suicide ? Beaucoup imaginent le contraire…
PT : C'est un peu un statu quo... Après des crises majeures, comme les attentats du Bataclan, en 2015, l'effet de sidération est tel que les troubles des conduites, y compris suicidaires, ont tendance à diminuer. Durant le confinement, les personnes qui étaient habituellement déprimées ont eu l'impression de l'être moins que les autres. Ceux qui sortaient peu, en temps normal, se sentaient moins « en décalage » puisque tout le monde était logé à la même enseigne. Au déconfinement, les choses se sont compliquées. Pas facile de reprendre le travail, un rythme régulier...

H.fr : Au sein du réseau VigilanS, vous n'avez donc pas observé une hausse significative du nombre de suicides ?
PT : Rappelons d'abord que VigilanS est un dispositif de soin innovant destiné à la prévention de la récidive suicidaire. Il a été créé par le Pr Guillaume Vaiva du CHRU de Lille. Pour répondre à votre question, au début du confinement, en mars, nous avons en effet plutôt constaté une diminution des suicides, à une période où, habituellement, ils sont en hausse. Au déconfinement, il y a eu une légère reprise mais leur nombre n'a jamais atteint le niveau habituel. Aujourd'hui, les chiffres sont toujours moins importants que les années précédentes. Mais il faut rester vigilant car la mortalité suicidaire connaît généralement un pic en automne.

H.fr : Et également durant la période des fêtes ?
PT : C'est vrai pour les « gestes suicidaires », qui sont davantage de graves réactions à l'isolement familial... Mais le taux de mortalité est plus important en novembre.

H.fr : A plus long terme, une hausse des suicides liée aux conséquences de la crise, notamment économiques, peut-elle néanmoins être redoutée ? Certains medias mettent déjà en lumière des histoires tragiques…
PT : Faire un lien entre une crise sociale et le suicide s'avère très compliqué, tout d'abord car le suicide n'est jamais univoque (avec une seule cause). Prédire le nombre de suicides liés à la crise peut être extrêmement dangereux et contreproductif... Il faut être très prudent. Rappelons que 9 000 suicides ont lieu chaque année en France mais des solutions existent pour les prévenir et stopper la contagion suicidaire. Première étape : en parler et accéder à une prise en charge.

H.fr : Pour revenir au 1er confinement, quel effet la fermeture des structures, essentiellement ambulatoires, a-t-il produit ?
PT : Certaines personnes en situation de handicap psychique ont connu une rupture dans la continuité des soins et vu leur état de santé s'aggraver parce qu'ils avaient, par exemple, négligé des complications, arrêté leur traitement ou entamé une pratique addictive. Ce n'est pas spécifique à la santé mentale, cela touche toute la santé. Des chirurgiens ont dû soigner des péritonites au lieu des « traditionnelles » appendicites. En cancérologie, certains cancers n'ont pas pu être pris en charge à temps...

H.fr : Quel principal enseignement tirer de la première vague ?
PT : Elle a confirmé que toutes les mailles du dispositif de soin sont essentielles. Depuis le mois d'août, les lits d'hospitalisation sont beaucoup plus occupés qu'ils ne l'étaient avant le premier confinement, avec des situations plus sévères (durée de séjour plus longue, moins de turnover...). Résultat, au deuxième confinement, le système tourne déjà à fond.

H.fr : Avez-vous noté une recrudescence de nouveaux patients ?
PT : En effet, de nombreux patients n'étaient pas suivis en psychiatrie et ont fait les frais de cette première vague en raison de l'augmentation du délai d'accès aux soins. Or on sait que plus le diagnostic est tardif plus les troubles psychiques sont sévères et difficiles à prendre en charge.

H.fr : Quel est le profil de ces patients ? Plutôt jeunes ?
PT : Oui, nous avons observé une très nette augmentation des premières demandes chez les jeunes, aussi bien dans les maisons d'adolescents qu'en médecine générale. Ce qui nous amène, depuis le reconfinement, à essayer de maintenir l'ensemble du dispositif de soins, en gardant les CMP (Centres médico-psychologiques) ouverts et en développant la télémédecine, a fortiori pour les primo-demandeurs.

H.fr : Quel est le motif principal de leur consultation ? La suspicion d'un trouble psychique ou davantage une dépression liée à l'actualité ?
PT : Un peu des deux. Mais, ce qui est nouveau et assez surprenant, c'est l'augmentation significative des troubles anxieux chez les jeunes. Par exemple, beaucoup de collégiens ont refusé de retourner à l'école par peur d'être infectés par le Covid. Les troubles anxieux sont les plus répandus, plus que la dépression. Non pris en charge ou négligés, ils peuvent entraîner un retrait social et évoluer en dépression voire, parfois, en état suicidaire.

H.fr : On parle beaucoup de la saturation des services de réanimation. En est-il de même pour la psychiatrie ?
PT : Totalement. Mais la crainte majeure que partagent tous les responsables d'établissements, c'est de ne pas avoir suffisamment de ressources humaines pour maintenir les dispositifs de soins. Des médecins, infirmiers et psychologues peuvent être malades ou cas contact. Pour assurer un roulement, c'est parfois compliqué. Pas facile de trouver des infirmiers disponibles en ce moment pour d'autres missions que la réanimation ou la médecine Covid...

H.fr : Des transferts ont-ils eu lieu vers les unités Covid ?
PT : Effectivement. Des infirmiers, qui travaillaient dans le service psychiatrie d'un hôpital général sont notamment partis en réanimation pour prêter main-forte.

H.fr : Le personnel soignant est-il, lui aussi, accompagné psychologiquement ?
PT : Il existe en effet des lignes d'écoute, animées par des psychologues, dédiées aux soignants qui sont parfois fatigués, ont peur d'être contaminés, redoutent l'absentéisme de leurs collègues... Les conditions d'exercice sont difficiles et la reconnaissance qu'ils avaient lors du premier confinement ne se manifeste plus. Des « maraudes » de psychologues et psychiatres ont également été mises en place pour aller à la rencontre des soignants de médecine Covid ou de réanimation. Ces besoins sont exacerbés depuis le reconfinement.

H.fr : Quel conseil donneriez-vous à une personne en détresse psychique ?
PT : Dans un premier temps, il ne faut pas hésiter à contacter tous les relais qui existent (médecin généraliste, CMP). Par ailleurs, la partie ambulatoire de la psychiatrie a renforcé les possibilités de répondre par téléphone en période de confinement donc n'hésitez pas à les appeler !

H.fr : Et les urgences psychiatriques ?
PT : Il n'y en a pas partout sur le territoire. Les métropoles disposent parfois d'un centre d'accueil et/ou de crise, d'un numéro de téléphone connu mais, en campagne, c'est plus rare, et, dans ce cas, le médecin généraliste, en première ligne, est important.

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