Pascal Dreyer : Le monde du handicap a-t-il une mémoire ?

C'est la question que se posent nombre de familles d'enfants handicapés et de chercheurs. Pourquoi la somme immense des expériences individuelles et collectives vécues ...

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C'est la question que se posent nombre de familles d'enfants handicapés et de chercheurs. Pourquoi la somme immense des expériences individuelles et collectives vécues depuis plus d'un siècle et demi en France pour améliorer les conditions de vie des personnes handicapées et leur reconnaissance sociale et politique n'a-t-elle aucune visibilité ? Pour une raison très simple : le monde du handicap, ses acteurs et ses institutions n'ont pas encore pris conscience de l'importance de préserver les traces singulières des expériences de vie des personnes et des familles. Pourtant, plus encore que tout un chacun, les parents d'enfants handicapés (mais aussi tout leur entourage familial et amical) comme les professionnels ont l'habitude de consigner leur vie et leurs activités dans des écrits, de retenir le souvenir des moments heureux par des images fixes ou animées, et, aujourd'hui de diffuser leurs idées et leurs projets via Internet. Cette mémoire est essentielle. Elle est porteuse des jalons individuels qui, unis les uns aux autres, permettent seuls de dégager une vision d'ensemble au plus près de la réalité. Elle est aussi le reflet des représentations que nous nous faisons de notre place dans la société, de nos attentes et de nos refus. Sauvegardée, prise en compte, analysée et diffusée de manière respectueuse et vivante, cette mémoire pourrait infléchir de manière assez radicale notre conception du handicap, de ses conséquences et ouvrir la société à davantage de tolérance, de compréhension et de justice. Discours utopique ? Les créateurs de l'Observatoire des familles en situation de handicap ne le pensent pas. Collecter les archives des parents d'enfants handicapés afin d'en assurer la conservation et la mise à disposition des chercheurs est un acte citoyen irremplaçable et urgent. Chaque jour la mémoire des familles sombre dans l'indifférence. Et c'est la parole d'une vie, la richesse de son expérience qui disparaît. Les parents qui, au moment de l'accueil de leur enfant en institution ou de son décès, se trouvent confrontés à la question du devenir de leurs archives connaissent l'inquiétude de la transmission de souvenirs qui sont aussi savoir et expérience. A qui confier cahiers, photographies, carnets, films, documents réunis tout au long de la vie? A la fratrie ? A l'association qui a soutenu la famille tout au long de son existence ? Mais alors quelles seront les garanties de conservation, d'exploitation ? Comment être certain que les paroles contenues dans ces documents ne seront pas dénaturées ? Le geste de confier à la collectivité ses archives doit être conscient et assumé. Et il n'est guère facile d'accepter de se séparer des souvenirs de ceux qui nous sont chers pour les enfermer dans des boites, loin de soi. L'accompagnement associatif et personnel va être au cœur de l'action de l'Observatoire des familles en situation de handicap. Le rôle du réseau des comités Apajh puis celui de toutes les associations qui vont nous rejoindre dans cette démarche est très important. Ce sont les premiers déposants, donc les parents conscients de la valeur de leurs archives privées et de leur utilité sociale qui seront les meilleurs ambassadeurs de cette ambition. Ambassadeurs également, les associations attentives à la part privée de leur histoire et les chercheurs qui auront accès aux fonds collectés et rendus accessibles. Et ces archives si différentes les unes des autres, si singulières, réunies pourtant par une situation commune, finiront par dessiner la carte cohérente et multicolore d'une mémoire vivante et productive de savoirs, de compétences et de changement social dont le monde du handicap devrait être le ferment. L'Observatoire des familles en situation de handicap est une création de l'Apajh et de Handicap International qui ont reçu pour cette initiative le prix Handica-Ville de Lyon en 2003
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