Marcel Nuss: Le dispositif « grande dépendance ». Les personnes handicapées sont en marche.
Vers quel avenir ? Il est encore difficile de le dire avec précision aujourd'hui, tant que la future loi n'aura pas été votée au premier semestre 2004....
Vers quel avenir ? Il est encore difficile de le dire avec précision aujourd'hui, tant que la future loi n'aura pas été votée au premier semestre 2004.
Je n'ai qu'une certitude : plus rien ne sera comme avant. Ne pourra plus être comme avant.
Car, depuis 2002, les personnes en situation de handicap ont pris conscience de leur citoyenneté, de leurs droits, voire de leur pouvoir, à la revendiquer.
Une telle affirmation peut paraître incongrue, pourtant elle est à l'origine d'une émancipation primordiale inscrite dans le rejet de la culture séculaire de l'assistanat.
Être assisté, c'est n'être qu'un objet, de compassion, de « solidarité nationale » ou/et d'attentions, certes, mais un objet tout de même. C'est-à-dire quelqu'un de déshumanisé, vidé de son sens et vide de sens. Irresponsable donc incapable de se penser et de s'assumer, puisque démuni et dépendant.
Alors qu'être autonome c'est l'essence même de toute humanité et de toute citoyenneté. C'est l'incarnation et la réalisation de son être, dans sa spécificité, ses richesses, ses contradictions et ses déficiences.
Le dispositif « grande dépendance » est la concrétisation et la légitimation politique et sociale de cette revendication sans précédent dans notre pays. Ce dispositif, dont le « brouillon » date du 11 mars 2002, est un virage irréversible dans la manière d'envisager le handicap lourd et la personne elle-même, particulièrement les plus dépendantes, par la reconnaissance de leur droit de choisir le mode de vie qu'elles souhaitent en leur octroyant les moyens nécessaires à cet effet.
Ce qui signifie, entre autres, que la personne en situation de handicap pourra désormais choisir d'être l'employeur de ses aidants, donc de devenir mandataire ou d'adopter le gré à gré, et plus seulement être condamnée à rester prestataire. Ceci a pour corollaire la reconnaissance, de fait, de l'obligation d'évaluer et de répondre aux besoins au cas par cas et non plus de façon normalisée et, souvent, réductrice, si ce n'est humiliante.
C'est une évolution, une révolution même, considérable dans l'approche et le regard porté sur une population sinistrée parce que négligée depuis trop longtemps.
Un pas décisif vers l'intégration de citoyens en marge qui se sont mis en marche pour se faire entendre, prendre leur destinée en main et mettre la société face à ses responsabilités. La mettant par la même en demeure de cesser sa politique de l'autruche et d'avoir le courage d'opter soit pour une politique citoyenne, soit, plus radicalement, pour une politique « négationniste », avec toutes ses conséquences.
Face à la pugnacité de quelques personnes dépendantes et devant la pression des médias, la conscience politique s'est enfin éveillée à la réalité concrète du terrain et à la vérité d'êtres occultés autant que sous-estimés, me semble-t-il. Lesquels ont compris que leur force réside dans le fait qu'ils n'ont rien à perdre et tout à gagner. Entre autres, leur dignité humaine.
D'où ma conviction que jamais plus rien ne sera comme avant.
Néanmoins, le travail à effectuer pour pérenniser ce dispositif, lui offrir un cadre aussi souple que fiable, sera long et délicat. Ce sera un travail de concertation, de sensibilisation et de formation, afin de changer les mentalités et les regards posés sur les personnes en situation de handicap et, notamment, les plus dépendantes d'entre elles. Car, sans ce travail sur les mentalités et les regards, l'intégration, quels que soient les moyens qu'on lui consacrera, ne sera qu'un cautère sur une jambe de bois. Un miroir aux alouettes.
Mais, par-dessus tout, ce que m'auront appris mes années d'engagement en faveur de la défense des droits des personnes en situation de handicap, c'est que rien ne peut se faire sans un minimum d'amour et de respect mutuel.
Parce que seul l'amour peut gommer les différences, éclairer les esprits et inventer une société plus ouverte...à elle-même.