AAH en couple : les asso ne vont pas lâcher l'affaire

Après le refus de l'individualisation de l'AAH, "le gouvernement ne nous semble plus légitime à parler de société inclusive", s'indigne le Collectif handicaps. Il va continuer à se battre et en faire un sujet pour les présidentielles de 2022.

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DERNIERE MINUTE DU 25 JUIN 2021
Encore un peu d'espoir ? Les sénateurs Républicains assurent qu'ils vont inscrire la proposition de loi sur la déconjugalisation de l'AAH des revenus du conjoint refusée par les députés de la majorité à l'Assemblée dans leur niche parlementaire. Ce serait à l'automne pour une 2e lecture. Ils entendent revenir à la version adoptée en mars 2021 par le Sénat.

ARTICLE INITIAL DU 21 JUIN 2021
Handicap.fr : Pourquoi les partis d'opposition, aujourd'hui vent debout, n'ont-ils pas voté la fin de la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l'AAH lorsqu'ils étaient au pouvoir. Des convictions à géométrie variable ?
Arnaud de Broca, président du Collectif handicaps* : Nous sommes suffisamment aguerris à la vie politique pour savoir reconnaître aussi les postures politiciennes. Contrairement à ce que se plaisent à croire certains députés de la majorité, nous ne sommes en rien instrumentalisés. C'est aussi nous infantiliser que penser cela.   

On peut aussi y voir une évolution de la compréhension par les partis politiques de la situation des personnes handicapées. Il faut aussi souligner qu'aucune majorité n'a été dans la situation de l'actuelle car jamais une proposition de loi sur ce sujet n'avait été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale et le Sénat. Jamais un gouvernement n'avait donc été mis en position de faire adopter une telle mesure avec le soutien de tous les partis politiques. Pointer les opportunités et postures politiques ne réduit en rien la faute politique de ce gouvernement. Mais il est clair que tous ces partis auront maintenant du mal à revenir en arrière… et nous saurons leur rappeler leur indignation du 17 juin dernier.

H.fr : Sur la forme, lors des débats, Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap, a demandé un « vote bloqué » qui ne permet de voter que les textes choisis par le gouvernement (article en lien ci-dessous). Votre réaction ?
ADB : C'est évidemment la colère que nous avons collectivement ressentie devant cette procédure que nous considérons, bien qu'elle soit évidemment légale, antidémocratique. Sur un tel sujet, refuser le débat n'est pas compréhensible et relève des pires manœuvres politiciennes. C'est d'autant plus critiquable pour un parti qui s'est fait élire sur la promesse de faire de la politique autrement. Mais, j'y vois aussi un constat d'échec pour le gouvernement ; cela montre en effet que la majorité n'est pas unanime sur le sujet et que, même parmi ses députés, cette revendication a fait son chemin. Si le gouvernement était sûr de sa majorité, il n'aurait pas utilisé ces procédures. Il est donc incapable de « tenir ses troupes », sur ce qu'il affirme être la « priorité du quinquennat », expression qu'il faut de plus en plus mettre entre guillemets…
 
H.fr : Sur le fond, pourquoi un tel acharnement du gouvernement à ne pas voter cette mesure ? Des raisons uniquement financières ?
ADB : Le terme acharnement est effectivement justifié ! Il est clair que le rôle de Bercy est évident. Cela fait longtemps, et encore récemment, que la Cour des comptes demande au gouvernement de limiter l'augmentation des dépenses liées à l'AAH. D'ailleurs, l'évaluation du coût de la mesure par le gouvernement est très fluctuante : de 20 milliards il y a quelques mois, on est passé à un peu plus de 700 millions d'euros. Est-ce vraiment si élevé pour une priorité présidentielle et pour garantir l'autonomie des personnes handicapées ?

En tous les cas, je ne peux évidemment pas croire que la raison évoquée par la ministre lors du débat, c'est à dire l'incompatibilité des systèmes informatiques, soit la raison principale... Ce n'est évidemment pas à la technique de dicter la politique. Quand on se met à invoquer de tels arguments, cela montre la fragilité de ses convictions.

H.fr : La confiance avec Sophie Cluzel est-elle rompue (interview en lien ci-dessous) ?
ADB : Le sujet est plus large que les seules relations avec la secrétaire d'Etat. C'est l'ensemble du gouvernement et le président de la République qui portent la responsabilité de ce refus d'une avancée sociale majeure. Il est probable que le président traîne ce lamentable débat dans le bilan de son quinquennat. On ne peut clairement invoquer à chacune de ses phrases la société inclusive et refuser de cette manière et avec de tels arguments une mesure aussi concrète qui contribue à renforcer l'autonomie des personnes. C'est donc avant tout un décalage concret entre les ambitions, les déclarations et la réalité que ce débat souligne. Pour cette raison, le gouvernement ne nous semble plus légitime à parler de société inclusive.
 
H.fr : Et maintenant, quelles vont être vos actions ? Ce projet de loi a-t-il des chances d'être adopté un jour ?
ADB : Nous croyons encore que le Président de la République a la possibilité de faire adopter cette mesure soit dans la loi de finances soit en modifiant la position du gouvernement (et donc des députés de la majorité qui ne font que l'appliquer) dans la suite des débats. Nous allons nous mobiliser pour cela. Le Comité interministériel du handicap (CIH) qui se tiendra le 5 juillet prochain (article en lien ci-dessous) donne l'occasion au gouvernement de faire des annonces ou de s'enliser dans ses contradictions.

H.fr : La déconjugalisation de l'AAH pourrait-elle être un argument de campagne lors des prochaines présidentielles, comme l'avait été l'augmentation de l'AAH en 2017 ?
ADB : Si le sujet n'avance pas d'ici là, nous en ferons clairement un des sujets des prochaines élections présidentielles. Certains partis nous ont déjà dit qu'ils allaient l'intégrer dans leur programme, ce que nous vérifierons bien entendu. Les débats du 17 juin ont finalement peut être ouvert une porte pour que cette revendication soit adoptée dans les prochains mois.

H.fr : Le risque de revendication de déconjugalisation pour tous les autres minimas sociaux invoqué par le gouvernement vous semble-t-il justifié ?
ADB : L'AAH n'est pas un minimum social comme les autres, elle a sa logique propre. C'est pour cela que ce que vous appelez un risque est limité. Il s'agit bien de garantir aux personnes handicapées de manière permanente (et non pas provisoire) des ressources pour vivre face à l'impossibilité de la société de permettre l'accès à un emploi. L'AAH fait suite à une reconnaissance administrative de l'impossibilité ou de restrictions à travailler. C'est bien le rôle de la solidarité nationale et non pas de la solidarité familiale de prendre en charge cette impossibilité. Et je vois de toute façon mal certains partis politiques favorables à la deconjugalisation de l'AAH l'appliquer aux autres minima sociaux...
 
H.fr : Le gouvernement propose alors un nouvel abattement à 5 000 euros sur les revenus du conjoint, plus avantageux que la formule actuelle pour les couples modestes (article en lien ci-dessous). D'où est sortie cette option ? Etiez-vous au courant ? N'est-ce pas un rétropédalage inattendu après avoir baissé le coefficient du plafond des ressources en 2017 ?   
ADB : Alors que la proposition de loi avait déjà été adoptée en première lecture tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, le gouvernement ne pouvait se limiter à rejeter la déconjugalisation -de plus, on peut penser que cette question a fait débat parmi les députés de la majorité-. Il se devait donc de proposer une amélioration. Mais il n'a souhaité organiser aucune concertation ni sur la proposition de loi ni sur l'amendement que nous avons donc découvert quelques jours avant le débat. Ce que nous regrettons.

H.fr : Est-ce malgré tout une bonne chose, faute de mieux ?  
ADB : La proposition fait évidemment des gagnants mais il semblerait aussi quelques perdants pour les familles avec enfants, même si l'Etat s'est engagé à corriger le tir. Quoi qu'il en soit, cet amendement ne répond en rien à la demande de déconjugalisation, il est donc hors sujet et ne nous détourne pas de notre volonté d'avancer.
 
H.fr : Les réactions des personnes concernées, notamment sur les réseaux sociaux, sont violentes…
ADB : Violentes mais pas surprenantes face au mur qu'ont dressé le gouvernement et les députés de la majorité. C'est une demande concrète, une revendication ancienne qui pouvait enfin aboutir. Face à des arguments qui ne tiennent pas la route et une procédure de vote non démocratique, il ne peut en être autrement. Cette colère ne s'exprime pas que sur les réseaux sociaux mais c'est aussi ce que ressentent tous les adhérents de nos associations. Les parlementaires doivent le constater  aussi dans leurs permanences.

H.fr : Redoutez-vous cette colère ?
ADB : Non et trouve même extrêmement positif qu'une telle mobilisation des personnes elles-mêmes et de leurs associations ait pu s'organiser, en particulier sur les réseaux sociaux. Cela montre aussi que ce sujet n'est pas une « lubie » portée par les associations mais bien une revendication très large, portée par la société civile dans son ensemble.  


*Le Collectif handicaps rassemble une cinquantaine d'associations du champ du handicap, portant une voix commune.



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