Le combat d'Aline, dyslexique, qui a appris à lire à 50 ans

Après avoir caché son illettrisme à ses collègues de travail et ses amis durant des années, Aline Le Guluche a osé rompre le silence et suivre une formation pour réapprendre à lire et à écrire. Elle retrace son parcours dans un livre

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Par Margaux Saive
                                 
Son témoignage, J'ai appris à lire à 50 ans (éditions Prisma,  avec la contribution de Marie-victoire Garcia), sort le 1er octobre 2020, juste avant la 14è Journée nationale des dys le 14 octobre. Et Aline Le Guluche doit maintenant jongler entre son travail d'aide à domicile et son rôle d'ambassadrice du programme national de lutte contre l'illettrisme des femmes, Write Her Future, porté par une marque de parfum. Une nouvelle fonction qui l'intimide mais qu'elle endosse comme une "chance de transmettre de l'espoir", à travers des conférences et des rencontres, à ceux qui n'osent pas parler de leur handicap.

Le mot « dyslexie »

"Je fais encore des fautes," relativise-t-elle. Tout en élégance, cheveux roux sur chemisier blanc, elle raconte son histoire d'une voix grave et douce à la fois. Fille de paysans, elle est la petite dernière d'une fratrie de 8 enfants. Habituée à prêter main forte dans la ferme familiale, Aline n'entre à l'école qu'à 6 ans. Incapable de suivre la lecture parce qu'elle confond les lettres entre elles, elle finit régulièrement au coin avec un coup de règle sur les doigts. Terrorisée et humiliée quotidiennement par des professeurs violents, la petite fille, timide, en vient à redoubler le CP. Seule lumière dans ce tunnel scolaire : M. Beau, son "gentil professeur", comme elle aime à l'appeler. Lui est doux, souriant, patient. L'instituteur se souvient, à 75 ans, de sa rencontre en début de carrière avec cette gamine. "J'avais été frappé par la différence entre ses difficultés de lecture et ses facilités en mathématiques pour les calculs. A l'époque, on ne connaissait pas le mot 'dyslexie'", témoigne-t-il. Ce n'est en effet que bien plus tard qu'Aline comprendra qu'elle souffre de ce mal méconnu.

« C'est la honte »

Elle quitte définitivement les bancs de l'école à 15 ans et file à l'usine pour exercer un travail manuel. "Je fabriquais des tartes et des galettes des rois. Personne ne m'a demandé si je savais lire et écrire." Elle y reste 14 ans avant de rejoindre le service de restauration d'un hôpital. Là, elle est coincée : il faut apprendre à déchiffrer les consignes pour préparer les plats adaptés aux pathologies des patients, remplir les étiquettes sur les barquettes... Le soir, elle rapporte les menus chez elle pour apprendre à les recopier. Une gymnastique quotidienne qui se trouve bouleversée au moindre changement. "Pour ne jamais dire 'je ne sais pas faire', je mentais tout le temps. Tout était prétexte : j'avais oublié mes lunettes, je manquais de temps, j'avais une mauvaise écriture..." "C'est la honte", pense-t-elle alors. "Je les entendais se moquer des personnes qui faisaient des fautes alors que moi aussi", se souvient-elle. "On te colle une étiquette d'imbécile. Une fois, une collègue m'a dit : 'Ca ne sert à rien d'être belle et puis de ne rien avoir dans la tête'."

Le récit d'une émancipation

Dans la vie de tous les jours, impossible de s'orienter, prendre les transports, choisir un film au cinéma. "Au restaurant, j'attendais que l'autre commande pour dire 'je prends comme toi'. Personne ne se doute de rien parce qu'on sourit, on rigole, on masque la réalité". A la maison, elle trouve un stratagème pour "lire" des histoires à ses enfants en les racontant sous forme de spectacles. "Petite, je ne me rendais compte de rien", assure sa fille Céline. "Maman était très à cheval sur les devoirs et l'importance d'aller à l'école pour apprendre." Secrètement, Aline aspire à évoluer dans son travail et en finir avec les tâches physiques éreintantes. Après deux refus, elle obtient de sa DRH l'inscription à une formation sur "les compétences clés". Pendant six mois, elle s'y rend tous les vendredis matins et reprend confiance en elle petit à petit. Dans la foulée, elle obtient son CAP d'intendante hôtelière.

"Son parcours est le récit d'une émancipation, elle n'a jamais baissé les bras", salue Hervé Fernandez, directeur de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme, qui l'a conviée à diverses conférences pour partager son histoire. "Elle montre que personne n'est condamné à demeurer dans la condition à laquelle tout le destine."

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