Dur le confinement : moi, handicapé, je serais habitué?

Alors que la fragilité des personnes handicapées a été largement médiatisée dans cette crise aiguë, certaines se sont accommodées de cette soudaine "parenthèse apaisée". Prenant le contre-pied d'un discours alarmiste, elles souhaitent témoigner...

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Familles à bout, désespoir, souffrance, épuisement… Depuis bientôt neuf semaines, les medias relaient, dans un champ sémantique unanime, le désespoir des proches de personnes handicapées, et notamment autistes ou avec des troubles psychiques, qui ont été contraintes de les reprendre à domicile après la fermeture de leur établissement. Selon le gouvernement, les appels à Autisme info service ont redoublé, ce qui a conduit à des mesures d'allégement des sorties dérogatoires pour ce public jugé « fragile » (article en lien ci-dessous).

Pas que des situations alarmistes

Si de nombreuses situations sont en effet critiques, certaines personnes en situation de handicap ne se reconnaissent pas dans ces versions alarmistes, affirment qu'elles s'accommodent plutôt bien de cette situation inédite et tentent de diffuser une vision plus « positive ». C'est notamment le cas d'Amélie Tsaag Valren : « Ceux pour qui ce confinement ne change pas, ou très peu, leurs habitudes, comme moi-même ou un certain nombre d'amis, ne sont pas du tout évoqués, et l'idée même que la vie en confinement soit conforme au 'mode de vie autiste' n'existe pas dans la presse française ».

Le « monstre qui fait régner la terreur » ?

Si Amélie ne réfute pas certaines réalités, inévitablement difficiles, elle dit être « perturbée » par l'évocation « héroïque » de ces parents reclus H24 avec des proches qui auraient perdu leurs repères. Sans vouloir blâmer quiconque, elle interroge : « Comment se sentira l'enfant en apprenant que son parent souffre de sa présence proche et qu'il a la volonté de l'éloigner de lui ? ». Et de citer une phrase de Michèle Dawson ; alors qu'un médecin lui demandait « Quel est le pire aspect dans le fait d'être autiste ? », cette chercheuse canadienne avait répondu « être haïe ». Amélie redoute que ces enfants qui ont vu leurs parents attendre fébrilement la réouverture de leur établissement ne souffrent durablement, par la suite, d'un sentiment de rejet, « repoussés loin des regards, quand leurs frères et sœurs, eux, resteront ensemble... ». Elle implore de ne pas « réduire l'autisme au monstre enfantin qui ferait régner la terreur au domicile » et assure que les réseaux sociaux regorgent de témoignages de parents qui observent des progrès flagrants depuis le retour en famille à plein temps.

Des patients soulagés ?

Olivier Brisson, psychomotricien en pédopsychiatrie, s'est exprimé à ce sujet dans Libération. Il témoigne que ce « changement radical dans le rythme des journées peut être très bien accepté par les enfants autistes quand il va dans le sens d'une décélération et se vit dans un cadre familier favorable », même s'il consent qu'une « expérience telle que nous la vivons ne peut pas être traversée de manière uniforme ». « Dans un premier temps, j'ai eu l'impression que mes patients géraient mieux les changements que moi !, observe à son tour Guillaume De La Chapelle, psychiatre à Lyon. D'abord parce que beaucoup étaient déjà habitués, du fait de symptômes dépressifs ou phobiques, à un confinement de fait, ou en tout cas à des moments de repli, voire de réclusion, et qu'ils étaient soulagés d'avoir moins d'interactions sociales et de situations complexes ». Désormais, sortir, c'est aller faire ses courses, c'est basique, simple à décoder !

L'air devient respirable

Ralentissement, apaisement, silence, distanciation sociale… Autant de paramètres qui conviennent à certaines personnes heurtées par les stimuli incessants. Stella, membre de l'AFFA (Association francophone de femmes autistes), appelle à méditer sur ce qu'elle nomme « l'horrible miracle ». Saturée de sonneries de téléphone, d'avalanches de mails, d'urgences à traiter… « Et puis, du jour au lendemain, la vraie vie, sans contact, sans parler, sans aller au travail, sans conduire, sans faire semblant. (…) L'air devient respirable ; l'environnement autour de moi, un néant que plus personne n'ose pénétrer », explique-t-elle. De son côté, Eric Lucas savoure, depuis que le mot d'ordre « restez à la maison » a été lancé, « un grand calme, comme jamais auparavant ». « Cela doit venir de l'absence de toute cette agitation permanente et d'un moindre contraste entre 'les deux mondes' », ajoute-t-il. Cet autiste français résidant au Brésil regarde par sa fenêtre, la place et l'avenue d'ordinaire si animées sont quasiment vides. Il se sent « reposé », alors que son ami, non autiste, lui, s'ennuie. « Tout le monde est logé à la même enseigne, au coin », poursuit Eric. Il dit ressentir « un grand sentiment de justice sociale, totalement inespéré quand on est autiste... ».

Plus besoin de faire la bise

Josef Schovanec, philosophe et chroniqueur, parle même « d'une sorte de triomphe du mode de vie autistique ». Pour celui qui redoute le contact physique, plus besoin de « faire la bise », « le problème est enfin résolu ». Ce qui l'a le plus surpris, c'est de constater que tout le monde s'est accommodé de cette nouvelle convention avec une certaine facilité, sans paraître frustré. Il prédit l'apparition dans le vocabulaire public d'éléments issus des habitudes autistiques, tel que le « social distancing ». Non sans ironie, il ajoute « craindre le pire » : que « les non-autistes tombent dans une profonde dépression ». « Il faut les aider », interpelle-t-il, appelant les « camarades autistes à leur donner des cours (à distance, bien sûr) pour qu'ils sachent occuper ce temps libre nouvellement acquis ». « En quarantaine, rien de mieux que d'avoir un centre d'intérêt fort », un des traits de l'autisme. « Loin d'être un handicap ou un défaut biologique, l'autisme est bon pour la santé, en particulier en ces temps troublés », conclut-il.

Question de compagnie

Eric Lucas admet néanmoins qu'il n'est pas question d'idéaliser la situation : « Pour les autonomes, comme nous, ça va, mais pour ceux qui sont obligés d'être dans leur famille ou dans les établissements, ce confinement rime avec promiscuité et moins de possibilités de s'échapper ». Il comprend alors que certains « pètent un câble ! ». Pour lui, le problème ne vient pas du « confinement » en lui-même mais plutôt du « confinement avec qui ». L'une des patientes de Guillaume De La Chapelle, autiste Asperger, autonome et en emploi, confinée avec ses parents, a demandé à retourner chez elle parce qu'elle vivait mal cette fâcheuse promiscuité. Pour Danièle Langloys, présidente d'Autisme France, « la situation a tout de même été compliquée pour une majorité de familles » car « ce qui a manqué c'est le soutien éducatif ». En ce qui concerne les adultes, « certains ont trouvé très sympa qu'on leur fiche la paix quand d'autres ont développé des formes d'anxiété pathologique ». Selon elle, « celles qui ont payé un lourd tribu sont les personnes avec des troubles sévères, sans outil de communication et vivant dans des milieux de grande précarité sociale ».

Josef Schovanec se dit lui aussi « partagé », sur le fond, au motif qu'il n'existe pas de « modèle unique de l'autisme » et confirme que, pour certains, la situation est loin d'être rose : « Il y a confinement et confinement… Etre seul chez soi ou dans la nature est une chose et devoir coexister avec des gens que l'on n'apprécie guère ou encore être traqué par la police en est une autre ». C'est ce que redoute Amélie, qui, elle, ne fréquentait ni les cinémas, ni les cafés, ni les restaurants, ni les boîtes de nuit auparavant… Sa vie, solitaire, n'a guère changé. Ses peurs, nouvelles, sont ailleurs : celle du contrôle, de la pénurie alimentaire, d'être espionnée ou dénoncée à tort…

D'autres handicaps…

Très tôt, dès les premiers jours du confinement, des personnes handicapées, y compris en dehors du champ de l'autisme, ont témoigné que cette paralysie soudaine imposée à des milliards d'individus, l'absence de loisirs, de contacts humains, la difficulté d'accès au travail, ressemblait étrangement à leur quotidien entravé… Pour Bachir, 60 ans, aveugle, « on a tellement l'habitude de s'adapter et de faire face que le contexte actuel ne paraît pas plus compliqué ». Il dit même se sentir « plus armé qu'un autre ». Même constat pour Maud, 15 ans, lycéenne atteinte de myopathie, qui n'observe pas « de gros changement » : « Je lis beaucoup, je suis les cours par ordinateur et m'occupe seule. J'ai juste parfois le sentiment que c'est un peu lourd pour ma mère. »

Une autre, en situation de handicap moteur, a fait de son confinement un « éloge de la lenteur ». En observant ses amis qui « ont besoin de se défouler », « gesticulent en tous sens » et « menacent de péter les plombs », elle « rigole, bien calée dans son fauteuil roulant ». « Je ne me moque pas, écrit-elle, mais je m'aperçois que peu d'entre nous acceptent cette mobilité réduite, pourtant si provisoire… Moi, je la vis depuis 35 ans. Pas de jogging, pas de sport intense. » Alors elle s'adapte… et profite !

Repenser le système

« Paradoxalement, tout est fermé mais, pour une fois, tout devient accessible sans effort » grâce à la profusion des offres culturelles en ligne, ajoute la jeune femme, « sans demander de place spécifique, sans démarche supplémentaire » et à l'horaire qui lui convient… Sébastien Joachim, déficient visuel, observe, lui aussi, avec satisfaction l'explosion des services en ligne et de livraison, un « monde accessible depuis chez soi ». Il constate que « les entreprises, lorsqu'elles sont en danger, savent s'adapter, notamment via le télétravail ». Face au manque d'accessibilité, ces pratiques innovantes ne pourraient-elles pas constituer de nouvelles opportunités pour les personnes en situation de handicap ? Il espère que les « passerelles tendues entre les personnes isolées et la société active seront conservées (…) parce que cette solidarité généreuse ou intéressée engendrée par le coronavirus a le devoir de survivre à la crise. »

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