Fauteuils roulants recyclés : une fausse bonne idée?

Produits recyclés, création d'une consigne... Le PLFSS 2020 menacerait-il le libre-choix des fauteuils roulants et leur qualité ? Pour Sylvie Proust, administratrice de la Fédération des PSAD*, sans aucun doute. Explications...

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*Prestataire de santé à domicile. Par ailleurs, directrice générale de l'entreprise Harmonie médical service

Handicap.fr : L'article 28 du projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS) 2020, voté par les députés, prévoit trois dispositions majeures concernant les fauteuils roulants (article en lien ci-dessous) : une nouvelle procédure de référencement sélectif, le remboursement de modèles d'occasion et la création d'une consigne. Quel est l'objectif ?
Sylvie Proust : A priori faire des économies mais ça n'a pas de sens quand on connaît les conditions de délivrance des dispositifs médicaux, et notamment des fauteuils roulants.

H.fr : C'est-à-dire ?
SP : Aujourd'hui, 90 % des fauteuils manuels sont vendus sans dépassement -et 80 % pour les électriques- ; les 10 % restants correspondent à l'équipement des personnes handicapées ayant une pathologie qui ne leur permet pas de se contenter d'un fauteuil standard mais nécessite un fauteuil configuré parfaitement adapté à leur handicap.

H.fr : Pourtant de nombreuses personnes handicapées se plaignent de dépassements importants...
SP : Il peut y en avoir, en effet, mais la PCH (prestation de compensation du handicap) et les fonds départementaux de compensation ont été créés, notamment, pour assumer ce reste à charge, en totalité ou en grande partie. La CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) avait fixé un reste à charge maximum correspondant à 10 % des ressources de l'usager, et l'objectif a été atteint, voire dépassé, puisque, dans la majorité des cas, ce taux est nul.

H.fr : Le hic, c'est que le versement des fonds de compensation n'est pas homogène sur tout le territoire...
SP : Il est vrai qu'il y a des différences de gestion d'un département à l'autre, et le problème majeur réside dans le fait que ces financements sont très longs à obtenir. Voilà le véritable sujet.

H.fr : La mesure qui vous préoccupe, c'est la volonté de proposer des fauteuils d'occasion, recyclés…
SP : Oui, d'autant qu'il n'a donné lieu à aucune concertation. Qui va assurer ces travaux ? Des recycleries ? Des professionnels du secteur ? Nous avons aujourd'hui une réglementation très stricte en termes de délivrance, de sécurité et de traçabilité sur ces dispositifs médicaux, avec un nouveau règlement européen de 2020 qui insiste sur ces points et renforce notamment les obligations et contrôle sur toute modification apportée à un dispositif médical. Comment être certain de la qualité des pièces d'occasion et que l'on remettra en circulation des fauteuils qui garantissent une sécurité optimale au patient ? Cela n'a pas été étudié... Il va donc falloir s'assurer que ce recyclage, même réalisé par des acteurs professionnels, est compatible avec toutes ces règles.

H.fr : Les prestataires de votre filière ont-ils les compétences requises ?
SP : Oui car nos agences bénéficient d'ateliers et de techniciens formés qui assurent tous les jours les réparations et la maintenance des produits de nos clients mais aussi celle de l'ensemble de nos parcs. Mais nous ne pourrons recycler que des produits qui nous seront restitués. Or, aujourd'hui, la majorité des fauteuils électriques ou manuels, renouvelés tous les 5 ans, sont hors d'usage en fin de vie. Un fauteuil utilisé plusieurs années n'est pas reconditionnable. L'usage d'un fauteuil roulant est quotidien et intensif. C'est comme si vous utilisiez votre voiture 8 heures par jour, tous les jours... La remise en état coûterait plus cher que l'achat d'un fauteuil neuf.

H.fr : A ce jour, que fait-on des fauteuils roulants usagés ?
SP : S'ils sont complétement usés, ils sont éliminés par nos filières de récupération des déchets. Un certain nombre de produits sont également envoyés à des associations humanitaires.

H.fr : Vous redoutez, par ailleurs, une rupture dans l'égalité des chances…
SP : Oui, en effet. Quel patient va bénéficier d'un fauteuil neuf ou d'occasion ? Aura-t-il le choix ?

H.fr : Autre point… A travers la nouvelle procédure de « référencement sélectif », vous dites craindre une diminution sensible de l'offre. Quel impact cette baisse aurait-elle sur le secteur ? Une concurrence étrangère accrue ?
SP : La majorité des produits diffusés sont déjà fabriqués par des entreprises étrangères donc les craintes reposent davantage sur la réduction du choix des produits pour les utilisateurs et la capacité de les adapter aux besoins de compensation du handicap. Dans notre secteur, nous travaillons systématiquement avec des équipes pluridisciplinaires pour que le produit soit adapté à l'usager. A terme, en fonction du référencement, cette mesure pourrait priver les usagers français des produits innovants.

H.fr : Cette mesure pourrait-elle mettre certaines filières en péril ?
SP : Bien sûr, et en premier lieu celle des fabricants. Il n'y a aucune proposition de modèle économique ni d'étude d'impact ; c'est ce que nous réclamons aujourd'hui.

H.fr : Dans ce contexte, qu'est-ce qui peut justifier de telles décisions de la part du gouvernement ?
SP : Nous avons beaucoup de mal à le comprendre... Il y a parfois des idées reçues qui circulent, propagées par des acteurs qui ne connaissent pas le secteur.

H.fr : Enfin, l'instauration d'une consigne, en quoi consiste-t-elle ?
SP : L'usager devra la payer lorsqu'il fera l'acquisition d'un fauteuil roulant et elle lui sera restituée en échange du fauteuil usagé, plusieurs années plus tard. Demander aux usagers handicapés de payer alors que nous essayons de réduire au maximum le reste à charge, c'est ubuesque !

H.fr : Les fabricants et les associations se sont-ils mobilisés contre ces mesures ?
SP : Bien sûr, la filière des fabricants s'est notamment exprimée à travers le SNITEM (Syndicat national de l'industrie des technologies médicales) et a déposé des amendements.  APF France handicap les a également dénoncées.

H.fr : Depuis leur annonce, ces mesures n'ont donc obtenu aucun soutien ?
SP : Aucun. A notre grande surprise, tous nos interlocuteurs, y compris politiques tels que les députés avec lesquels nous échangeons, sont contre. Nous avons tous la conviction que ce sont de fausses bonnes idées annoncées sans aucune analyse du sujet…

H.fr : Quelles seront vos prochaines actions ?
SP : L'urgence est d'ouvrir les discussions sur ces différents sujets. Pour l'heure, nous n'avons aucun interlocuteur et ne sommes pas reçus par le secrétariat d'État au Handicap. Nous sommes tout à fait ouverts à un projet de filière de recyclage mais réclamons des amendements qui nous permettent d'ouvrir des commissions pour prendre le temps de l'étudier. Si ces mesures sont appliquées en l'état, c'est un gros risque politique et sociétal et  un signal très négatif à l'encontre des professionnels et des personnes handicapées.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr.Toutes les informations reproduites sur cette page sont protégées par des droits de propriété intellectuelle détenus par Handicap.fr. Par conséquent, aucune de ces informations ne peut être reproduite, sans accord. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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