Jean Vanier, prophète de la "liberté des fous"

1964 : un ex-officier de marine quitte tout pour vivre avec 2 personnes avec un handicap mental. Depuis, le Canadien Jean Vanier, mort le 7 mai 2019, à 90 ans, a essaimé ses communautés de L'Arche et leur message d'inclusion dans le monde entier.

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Par Benoît Fauchet

"Notre société ne veut surtout pas de la liberté des fous ; quand je dis 'fous', c'est avec respect bien sûr", déplorait Jean Vanier, philosophe qui a progressivement été reconnu dans l'Eglise catholique comme une grande figure sociale et spirituelle. Ce Canadien s'est éteint le 7 mai 2019, à 90 ans.

Sortis de la violence

Né le 10 septembre 1928 à Genève, ce cadet de la Royal Navy - engagé à 13 ans, en pleine guerre - aurait pu choisir la carrière diplomatique ou militaire sur les pas de son père, futur gouverneur général du Canada. Il optera pour des études de philosophie et théologie, jusqu'au professorat. Comment ce spécialiste du bonheur chez Aristote en est-il venu à s'installer, à l'été 64, dans une petite maison sans commodités avec deux personnes intellectuellement déficientes, en lisière de la forêt de Compiègne, au nord de Paris ? "That's the question...", répétait avec flegme ce colosse à la poignée de main aussi ferme que son sourire était doux, et dont le français était relevé d'une pointe d'accent anglophone. "J'avais visité près de Paris une institution psychiatrique épouvantable, où régnaient la violence, l'enfermement. La seule chose que j'aie faite, c'est d'en sortir deux résidents qui n'avaient pas de famille. On a commencé à vivre ensemble, sans plan. J'accepte l'idée que c'était fou", confiait en 2014 à l'AFP celui qui, déjà, avait quitté la Marine sans but précis, sinon celui de
"suivre Jésus".

Humanisme universel

Autour de la première communauté, la solidarité locale s'organise même si, dans un premier temps, Trosly-Breuil (Oise) craint de devenir "le village des fous". L'Arche grandit dans la dynamique des retraites spirituelles que son fondateur prêche, des ouvrages qu'il publie, des conférences qu'il multiplie à travers le monde. Des communautés mêlant personnes handicapées mentales et "aidants" ouvrent en Inde en 1970, en Côte-d'Ivoire en 1974, en Haïti l'année suivante... Chaque foyer comprend une demi-douzaine de personnes avec un handicap mental et presque autant d'"assistants" valides. Tous vivent, parfois travaillent et surtout prennent leurs repas en commun. "A L'Arche, on commence par vouloir faire du bien, et on finit par se dire que ce sont les personnes avec un handicap qui vous changent, qui vous apportent une autre vision de la vie, de l'humanité", soulignait Jean Vanier.

150 foyers dans le monde

Aujourd'hui, l'ONG compte plus de 150 foyers sur les cinq continents. Le Canadien a aussi cofondé en 1971 le réseau chrétien Foi et Lumière, qui revendique près de 1 500 communautés de rencontre organisant des temps de prière, de pèlerinage et de fête dans quelque 80 pays. Son message, Jean Vanier a voulu l'inscrire dans un "humanisme universel", davantage que dans une stricte dimension catholique. Les relations avec Rome de ce catholique plutôt en avance dans le dialogue interreligieux n'ont d'ailleurs pas été immédiatement chaleureuses. Mais la situation a changé : Jean Vanier a été accueilli à bras ouverts par les papes Jean-Paul II et François, et encouragé par Benoît XVI. En 2015, il avait reçu à Londres le prix Templeton, décerné avant lui à Mère Teresa, au dalaï-lama ou encore à Desmond Tutu. L'année suivante, il était fait commandeur de la Légion d'honneur, entouré de ses amis handicapés, à Matignon.

Des zones d'ombre

Nombre de personnalités ont visité Trosly, à l'image de l'écrivain Emmanuel Carrère, d'abord sceptique, puis touché par la joie d'une jeune fille trisomique et de ceux qui l'entouraient. "Je suis bien forcé d'admettre que ce jour-là, un instant, j'ai entrevu ce qu'est le Royaume", a-t-il écrit en 2014 dans son grand roman du même nom sur la genèse des Evangiles. De l'aveu même de L'Arche, ce "royaume" a toutefois été entaché de "graves zones d'ombre", autour de la figure du père spirituel de Jean Vanier, le dominicain Thomas Philippe, soupçonné d'agressions sexuelles sur des femmes. "Je veux demander pardon pour tout ce que je n'ai pas fait ou aurais dû faire", avait confié au quotidien La Croix son disciple canadien, disant en 2015 rester "comme un pauvre" devant ces révélations, "choqué et bouleversé".

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