Livre : Grégory Cuilleron croque "La vie à pleine main "!

"Né avec une seule main, je suis devenu handicapé à 27 ans. Avant, je n'avais jamais pensé l'être." Dans son livre, "La vie à pleine main", le cuisinier Grégory Cuilleron revient sur son parcours avec énergie et humour. Défi relevé haut la main ?

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« Je suis agénésique, je suis né avec une seule main mais suis devenu handicapé à vingt-sept ans, quand on m'a vu à la télé, parce qu'avant je n'avais jamais pensé l'être. Je menais une vie normale à quelques détails près. Maintenant, je sais ce qu'est le handicap, je l'ai vu de dehors, puis de dedans, et je trouve qu'il est important d'en parler. » Grégory Cuilleron croque « La vie à pleine main », comme en témoigne le titre de son livre (éditions Albin Michel), en librairie depuis le 2 mars 2020 (commande en lien ci-dessous). Cuisinier, vainqueur et présentateur d'émissions culinaires, conférencier, ce touche-à-tout s'improvise écrivain, avec la collaboration de son co-auteur, Alexis Jenni. Retour sur son parcours et cette expérience à « quatre mains »...

Handicap.fr : Aujourd'hui, vous considérez-vous comme une personne en situation de handicap ?
Grégory Cuilleron : J'ai conscience d'en faire partie mais n'ai pas l'impression d'être handicapé parce que mon agénésie ne m'empêche pas de faire quoi que ce soit.

H.fr : Le percevez-vous comme une contrainte ou, au contraire, une opportunité ?
GC : Une opportunité, sans aucun doute. Ce n'est pas moi qui suis allé vers le handicap, c'est le handicap qui est venu à moi. C'est une chance de connaître ce milieu et, le cas échéant, de faire bouger les lignes. Pour ma part, je l'ai découvert à l'issue de ma participation aux émissions Un dîner presque parfait, en 2009, et Top Chef, en 2010, en rencontrant d'autres personnes handicapées, ce qui n'était pas le cas avant, étant notamment scolarisé en milieu ordinaire.

H.fr : Avez-vous été victime de discrimination à l'école ? Et depuis ?
GC : Très sincèrement, pas du tout. Au collège, ça n'a pas toujours été facile, comme pour de nombreux autres jeunes ; j'ai dû faire face à deux trois brimades, mais j'ai juste une main en moins ça ne va pas chercher bien loin... A l'âge adulte ? Encore moins.

H.fr : A quel moment avez-vous eu envie de faire de la cuisine votre métier ? A-t-on cherché à vous en dissuader ?
GC : Je suis passionné de cuisine depuis mes 7 ans mais je l'ai toujours perçue comme un loisir, un hobby... Jusqu'à mes 30 ans. C'est en côtoyant de grands chefs lors du tournage de Top Chef que j'ai eu le déclic. Certaines personnes ont bien essayé de me mettre en garde sur le fait qu'un métier manuel n'était sans doute pas la meilleure option mais je ne les ai pas écoutées.

H.fr : La filière de la gastronomie vous semble-t-elle suffisamment inclusive ?
GC : Ce n'est ni la pire ni la meilleure dans ce domaine. D'un autre côté, peu de personnes handicapées s'orientent dans cette voie, notamment à cause d'une autocensure encore trop prégnante. Pour preuve, le seul chef handicapé que je connaisse est Jean-Christophe Ansanay-Alex, qui souffre d'un plexus brachial, tout comme le comédien Jamel Debbouze. C'est d'ailleurs lui qui m'a « tendu la main » à mes débuts en cuisine.

H.fr : Le fait de ne pas avoir de main a-t-il pu, un jour, être un atout ?
GC : Oui et non. Mais il est vrai que cela me rend plus reconnaissable car, pour nombre de gens, c'est plus « extraordinaire » de faire la cuisine à une main qu'à deux.

H.fr : Comment est née l'idée d'écrire La vie à pleine main ?
GC : Elle a germé à la suite d'une prise de bec dans un groupe Facebook de personnes agénésiques auquel j'appartiens. Des parents voulaient porter plainte contre un échographe qui n'avait pas vu l'agénésie de leur enfant avant sa naissance. Avoir du mal à accepter le handicap, je le conçois, mais vouloir chercher à tout prix un responsable ne fait pas avancer les choses... En parallèle, je recevais beaucoup de sollicitations de personnes handicapées et de leur famille qui me demandaient des conseils ou encore mon avis. J'espère leur apporter des réponses avec ce livre.

H.fr : En deux mots, que contient-il ?
GC : C'est un partage d'expériences autour de grands axes auxquels on peut être confronté quand on est en situation de handicap : éducation, emploi, santé, sport, rapport à la famille, à l'amour... Le but n'est en aucun cas de donner des leçons, ce n'est pas une autobiographie à proprement parler du type « ma vie, mon œuvre », mais simplement l'occasion d'aborder des sujets qui parlent à près de 12 millions de Français et d'éveiller les consciences.

H.fr : L'enjeu n'est-il pas aussi d'inspirer ?
GC : Inspirer ça serait un peu prétentieux mais, en effet, c'est pour montrer que, quelle que soit sa « situation », on peut réaliser de belles choses et faire ce qu'on veut dans la vie. En réalité, il y a non pas un mais deux enjeux : dire aux personnes handicapées de croire en elles, d'avancer, lever les freins et l'autocensure mais aussi inciter les « valides » à leur faire de la place dans cette société pour que nous puissions jouir des mêmes droits et être traités sur un pied d'égalité.

H.fr : Depuis quelques années, on observe une véritable recrudescence de livres-témoignages sur le handicap. Quel est l'intérêt de raconter son parcours « hors normes » ?
GC : Pour ma part, j'interviens souvent dans les entreprises pour expliquer mon parcours, ce livre est une manière de toucher plus de gens, de sortir du cadre de l'emploi et de lancer des idées pour construire un monde plus inclusif.

H.fr : Quel message souhaitez-vous transmettre lors de vos interventions en entreprise ?
GC : L'idée, c'est de montrer que ce n'est pas parce qu'on est handicapé qu'on n'est pas compétent, il suffit de faire des aménagements du poste de travail. Une fois que ces petits détails sont réglés, les personnes handicapées sont tout aussi performantes que les autres. Mais, pour le constater, il faut leur laisser une chance. Avis aux employeurs, nous sommes des travailleurs avant d'être handicapés ! Mon truc à moi pour convaincre les plus réticents ? La preuve par l'exemple. Au cours de mes interventions, il m'arrive parfois de réaliser des démonstrations de cuisine.

H.fr : Vous avez également été ambassadeur de l'Agefiph (fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans le privé). Quel était votre rôle ?
GC : En effet, j'ai succédé à Jamel Debbouze de 2011 à 2018. Essentiellement un travail de sensibilisation en entreprise. J'ai adoré cette expérience, qui m'a permis d'en savoir plus sur le milieu du handicap et de rencontrer des personnes formidables et inspirantes. J'aurais bien aimé continuer mais, depuis, l'Agefiph a changé de politique et ne fait plus appel à des ambassadeurs.

H.fr : Pour finir sur une touche « salée », quelle est votre recette préférée ?
GC : Il y en a plein mais je dirais le taboulé libanais. Pourquoi ? C'est bon pour la santé, c'est bon tout court et j'adore la cuisine libanaise. Ce n'est pas un handicap, si ?

© Alexandra Battut et Julien Bouvier

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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