Mourir d'aider : lorsque les aidants craquent...

Les aidants accompagnent un proche souvent au péril de leur santé, parfois de leur vie. L'épuisement, la précarité et la culpabilité poussent certains à commettre l'irréparable. Un enjeu sociétal majeur peu médiatisé et encore moins quantifié.

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« Il s'occupe à plein temps de sa femme, atteinte de myopathie, totalement paralysée. Il est épais comme un barreau de cage à serins alors qu'elle est bien portante. Pour la soulever, il doit mobiliser toute sa force. Cette femme a beau être fragilisée par son handicap, c'est elle qui, manifestement, donne le cap. (...) Un jour, j'apprends qu'il s'est donné la mort », révèle Suzana Sabino dans son livre Ma vie pour deux (éditions Arthaud). « J'ai toujours senti, en voyant cet homme, que quelque chose n'allait pas. Il se disait très, très, très fatigué, épuisé, vidé... Je l'ai souvent encouragé à chercher de l'aide ; il m'a toujours répondu 'Oui, mais'. C'est sûrement ce 'mais' qui l'a emporté. Le souvenir de cet homme reste très présent car il témoigne de la fragilité de l'aidant et de son immense isolement qui poussent certains à commettre l'irréparable. » Un sujet peu médiatisé et pourtant prégnant, qu'il convient de mettre en lumière à l'occasion des dix ans de la journée nationale dédiée, organisée par le collectif Je t'aide le 6 octobre 2019.

Les origines du mal

« Parfois, ce sont de mamans qui se désespèrent d'être livrées à elles-mêmes, poursuit Suzana. M. est celle d'un jeune garçon trisomique. Elle a enduré le départ de son mari, sollicitant sa fille aînée dans un rôle qui n'est pas le sien. Je la sens fragilisée par l'adolescence un peu compliquée de son benjamin et lis la détresse dans son regard. Elle n'a jamais voulu appeler au secours, j'ai appris sa mort quelques mois plus tard. » Selon une étude américano-australienne réalisée auprès de 120 aidants, 26 % d'entre eux, soit un sur quatre, auraient songé au suicide. Quelles sont les raisons qui les poussent à cette solution radicale ? Au Québec, Audrey Teasdale-Dubé, doctorante de quatrième année en psychologie, s'est penchée sur la question. Elle a réalisé une étude à partir des témoignages de six aidants d'un proche ayant des troubles neurocognitifs. Conclusion : tous se sentent seuls et traversent régulièrement des conflits familiaux. Certains doivent notamment faire face à des reproches sur leur manière de prodiguer des soins ou lorsqu'ils manifestent l'envie d'avoir un peu de répit.

Conséquences sur la santé physique et mentale

Autant de raisons qui font naître les idées noires et une anxiété aux conséquences parfois désastreuses. L'espérance de vie des aidants est plus courte de 15 ans en moyenne et 30 % décèdent avant la personne accompagnée. « Ce qui fait tenir, c'est le sens du devoir. L'amour aussi. Qui leur permettent d'aller très loin. Trop loin ? » questionne Suzana. « Le don de soi n'est pas l'oubli de soi », juge-t-elle bon de rappeler. En France, aucune donnée, aucune statistique officielle, pas même une étude, pour rendre compte de l'ampleur du problème, seulement des témoignages. Certains sont particulièrement éloquents, d'autres plus nuancés, mais laissent entrevoir un mal-être profond. « Mon mari est atteint de la maladie à corps de Lewy. Je n'avais jamais eu de tension artérielle élevée. C'est le cas à présent à cause d'un stress quasi permanent », confie Colette, avant d'évoquer un état « mortifère ». « Je me suis tournée vers l'hypnose médicale et cette pratique m'aide beaucoup », se réjouit-elle. Véronique, quant à elle, est consciente de « mettre en danger sa santé physique et mentale ». L'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) évalue à 20 % la prévalence des problèmes de santé mentale chez les aidants. Les symptômes les plus courants ? L'anxiété et la dépression, a fortiori, pour ceux qui accompagnent une personne souffrant de maladie neurodégénérative. « Noémie Soullier, chercheuse, note huit fois plus de sentiment de dépression (40 %) chez les aidants à charge lourde que chez ceux ne ressentant pas de charge », révèle le collectif Je t'aide dans son plaidoyer 2018 (en lien ci-dessous). Or, la dépression est la première cause de suicide. Selon une étude de l'Académie de médecine (2014), 5 à 20 % des patients souffrant de ce trouble mettraient fin à leurs jours. En cas d'épisode dépressif, le risque de tentative serait multiplié par 21.

Echanger, parler !

« Paradoxalement, les idées suicidaires sont un mécanisme de survie, intervient Alexandra Parois, psychologue chez Ressources mutuelles assistance (RMA). L'intention première n'est pas de mourir mais de trouver une issue à une souffrance devenue insupportable ». Désabusés, honteux, incompris, nombre d'aidants préfèrent se murer dans le silence. Erreur ! « Il ne faut surtout pas rester isolé ; c'est là que la fragilité prend de l'ampleur », poursuit-elle. Plusieurs organismes tels que l'Association française des aidants organisent des « cafés des aidants » pour permettre aux personnes concernées d'échanger entre pairs et de se renseigner sur les dispositifs proposés. Des formations sont également assurées afin de comprendre la pathologie de l'aidé et découvrir les gestes techniques à effectuer. Pour connaître les initiatives locales, rendez-vous dans le CCAS (Centre communal d'action sociale) le plus proche.

S'identifier en tant qu'aidant

Des solutions existent pour sortir de cette spirale infernale mais encore faut-il avoir conscience d'être un aidant... « C'est l'outil de prévention majeur pour bénéficier d'un accompagnement adapté, affirme Alexandra Parois. Malheureusement, de nombreux parents, époux, enfants ne s'identifient pas en tant qu'aidants... » Pour changer la donne, une seule solution, selon elle : « informer et sensibiliser le grand public mais aussi les professionnels de santé pour qu'ils puissent les repérer et les orienter ». Certains signaux donnent l'alerte : harassement, repli sur soi, changements brutaux de comportement et d'organisation, communication rompue entre l'aidant et l'aidé... Pour « désamorcer ses souffrances et réduire l'anxiété », l'aidant peut bénéficier d'un accompagnement psychologique en cabinet, au sein d'associations ou auprès de sa mutuelle. « Cela peut paraître étonnant mais ce lieu est plein de ressources, assure Alexandra Parois. En tant que psychologue, mon objectif est de donner la possibilité à mon patient d'exprimer ses idées noires et leurs causes, avant de trouver, avec lui, des solutions pour les annihiler. D'autre part, certains de nos adhérents peuvent bénéficier du remboursement de leur consultation. » Un coup de pouce non négligeable lorsqu'on connaît les difficultés financières que traversent un grand nombre d'aidants.

Lutter contre la précarité

Dans ce contexte, le PLFSS (Projet de loi de finances de la sécurité sociale) 2020 annonce un congé proche aidant enfin rémunéré à compter de 2020 ; il promet une rémunération de 43,52 euros par jour pour une personne en couple et 52 euros pour une personne isolée, avec un maximum de 3 mois sur l'ensemble de la carrière (article en lien ci-dessous). « Une petite avancée », estime Florence Leduc, présidente de l'Association française des aidants, « mais qui ne concerne que les salariés », regrette Alexandra Parois. « Qu'en est-il des personnes qui ont été contraintes de quitter leur emploi pour s'occuper de leur proche et de tous les autres ? Ce projet de loi ne touche qu'une partie des aidants », déplore-t-elle. La santé, la précarité ; deux préoccupations majeures pour ce public fragilisé. La première était au cœur de la journée nationale 2018, la seconde a été choisie en 2019. Le 6 octobre, de nombreux évènements (conférence, projection de film, débat, spectacle, atelier, ligne d'écoute téléphonique) sont organisés, dans toute la France. Pour faire en sorte qu'aider ne rime plus avec insécurité ?

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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