Bosnie : des enfants handicapés nagent contre l'indifférence

Un seul club de natation pour enfants handicapés en Bosnie. En matière de handicap, sauf pour les vétérans de guerre, l'Etat n'apporte aucune aide. Alors des bénévoles se mobilisent. A 6 ans, Ismaïl rêve de Jeux paralympiques.

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Par Rusmir Smajilhodzic

Né sans bras, il enchaîne les longueurs dans la piscine olympique de Sarajevo : Ismaïl Zulfic, 6 ans, a appris à nager grâce à son entraîneur, qui lutte contre l'inaction publique sur le sort des personnes handicapées de Bosnie. Le 3 décembre était organisée par l'ONU la Journée internationale des handicapés, dont un des objectifs est d'améliorer leur accès à la vie sociale. En Bosnie, où près de 10% de la population est considérée en situation de handicap, la route est longue.

Un seul club pour nageurs handicapés

Trois fois par semaine, les parents d'Ismaïl font les allers-retours depuis la ville industrielle de Zenica, à 70 kilomètres au nord. Un effort financier considérable pour cet ouvrier et son épouse sans emploi. Pour son handicap, leur fils perçoit chaque mois de l'État 400 marks (200 euros), soit la moitié d'un salaire moyen en Bosnie. Une somme insuffisante selon eux, censée couvrir l'achat de matériel médical et le paiement d'assistance. Mais Ismaïl nage désormais seul, grâce à son entraîneur, Amel Kapo, 30 ans, et une poignée de bénévoles, étudiants en sport à Sarajevo.
En rang derrière Ismaïl, sept filles et garçons longent le bassin, emmitouflés dans des serviettes, certains boitant. Ce sont de jeunes nageurs du Spid, unique club de natation pour enfants handicapés en Bosnie.

Pas d'aide de l'État

Entraîneur de natation, Amel Kapo raconte avoir remarqué ces enfants qui venaient à la piscine, sans être encadrés professionnellement. Il crée en février un club pour eux, convaincu que personne ne refusera de soutenir un tel projet, surtout pas les autorités. Il se trompe, malgré une aide unique de 1 000 euros du ministère de la Culture, seule subvention des pouvoirs publics. L'école est gratuite. Mais la facture mensuelle pour utiliser la piscine municipale est d'environ 650 euros. Une somme versée par deux entreprises, une de télécommunication, l'autre de pharmaceutique, démarchées par le jeune homme. Amel Kapo et trois autres moniteurs entraînent les enfants bénévolement pendant que les parents regardent depuis un café en haut des tribunes. « Nous sommes devenus une famille », se félicite Amel Kapo. Il y a désormais au club une cinquantaine d'enfants de toute la Bosnie. C'est lui qui a contacté les parents d'Ismaïl, après avoir vu un cliché de l'enfant dans un concours photographique.

Handicap : les vétérans privilégiés

État pauvre, la Bosnie compte, selon le recensement de 2016, 300 000 personnes considérées comme handicapées sur 3,5 millions d'habitants, dont 84 000 vétérans de la guerre communautaire de 1992-95. Les allocations sociales pèsent lourd sur le budget d'un pays où près de la moitié de la population active est au chômage. Et les anciens combattants sont clairement favorisés. Selon Zarko Papic, président de la Fondation pour l'inclusion sociale, la pension d'un handicapé civil de première catégorie s'élève à 200 euros, alors qu'elle s'élève à 650 euros pour une victime civile de la guerre et à 950 pour un vétéran. « Il s'agit d'une discrimination systématique, établie par la législation (...) Avec une violation aussi grave des droits de l'Homme, la Bosnie ne pourra pas obtenir la statut de candidat d'adhésion à l'Union européenne », affirme Zarko Papic.

Rêves paralympiques

Responsable au ministère des Droits de l'Homme, Saliha Djuderija admet qu'une réforme est indispensable. Mais une répartition plus égale des allocations rencontre une forte résistance dans un pays où le poids politique des vétérans est important. « Les personnes handicapées sont la population la plus exposée à diverses formes d'exclusion », reconnaît Saliha Djuderija, même si elle relève que la Bosnie a ratifié en 2010 la Convention de l'ONU sur les handicapés et vient d'interdire par la loi toute discrimination en raison de l'invalidité. « L'État est tel qu'il est, mais je suis un parent fier », dit au bord du bassin le père d'Ismaïl, Ismet, 32 ans, dont le fils est trop timide pour s'exprimer. Aux Jeux paralympiques de Rio, la Bosnie n'a envoyé qu'une équipe de volley et deux lanceurs de poids. Mais Ismet Zulfic croit en l'avenir : « Ce pays ira mieux un jour et notre fils défendra ses couleurs ».

© Photo d'illustration générale

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