Prostitution : les enfants handicapés, des cibles aussi?

Entre 7 000 et 10 000 enfants victimes de prostitution en France. Parmi eux, certains sont en situation de handicap, notamment mental. Le gouvernement lance une campagne pour prévenir ce fléau et alerter sur ses dangers. Clip percutant !

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Voir la vidéo Campagne Je gère !

Une jeune fille danse, rigole, s'amuse, agite une liasse de billets péniblement gagnés... Elle « gère », pense-t-elle, jusqu'à perdre pied. Soudain, c'est la dégringolade. Les cris, les larmes et la fatigue s'accumulent, surgissent ensuite les premières les violences, verbales d'abord, puis les premières ecchymoses... Chaque année, en France, entre 7 000 et 10 000 mineurs seraient victimes de prostitution, un chiffre en hausse et bien en-deçà de la réalité, selon le rapport dédié de juillet 2021. Parmi eux, sans qu'on ne puisse réellement estimer leur nombre, certains jeunes sont en situation de handicap mental ou psychique, également autistes, des proies parfois vulnérables du fait de leur incapacité à dire non ou à interpréter certains gestes. En mars 2022, Adrien Taquet, secrétaire d'Etat chargé de l'Enfance et des familles, lance une campagne nationale afin de prévenir ce fléau. Des spots audio et vidéo, sombres et percutants, déclinés en 15, 30 ou 60 secondes, traduits en Langue des signes française (LSF), (vidéo ci-contre) pour faire la lumière sur la vulnérabilité des victimes et les dangers auxquels elles doivent faire face.

Le handicap, facteur aggravant ?

« Les enfants handicapés sont oubliés de la société mais pas des pédocriminels », déplore Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone des femmes autistes. Longtemps passés sous silence, les cas d'agressions sexuelles dans les établissements médico-sociaux défraient de plus en plus la chronique. Selon celle qui milite pour briser l'omerta, « tous les facteurs sont réunis pour que ces enfants soient des cibles idéales : peu de pudeur, une intimité peu respectée dans un lieu en huis-clos, un apprentissage de la soumission qui les éloigne du pouvoir de décision, des difficultés à s'exprimer, à percevoir... » (interview complète en lien ci-dessous). Marie Rabatel, également membre de la Ciivise (Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) précise que « ces ado en devenir seront des proies de choix pour la prostitution et la traite des êtres humains. Trop souvent exclus de la société, ils pensent ainsi trouver un semblant d'appartenance à la vie sociale. De plus, leur manque de discernement ne leur permet pas toujours de se protéger contre la manipulation et la fabrique du pseudo consentement. A qui profite l'ignorance de cette sur-vulnérabilité ? ».

Des établissements pas assez contrôlés ?

Un rapport d'information (de Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien) consacré aux violences sexuelles en établissement en 2019 souligne que les mineurs en situation de handicap sont plus fréquemment victimes d'infractions sexuelles. Plus inquiétant, d'après ce rapport, la vérification préalable d'une absence de condamnation pour crime ou délit d'agression sexuelle avant un recrutement dans les établissements médico-sociaux est loin d'être systématisée. Amélie Charles, universitaire et militante de l'autisme, estime que « certains établissements peuvent devenir des lieux de prostitution d'enfants en situation de handicap si plusieurs pervers s'entendent en ce sens et si des contrôles ne sont pas effectués de l'extérieur ». Julien Landureau, responsable de la communication au sein de Droit d'enfance, fondation de protection de l'enfance, ajoute que les jeunes avec des troubles psychiques pré-existants sont « également surexposés ». Face à cette omerta, des études sur le sujet, pour l'heure inexistantes, sont réclamées afin de mettre en évidence le risque aggravé encouru par certains jeunes handicapés.

Des fragilités psychiques antérieures...

En attendant des données spécifiques, le Centre de victimologie pour mineurs (CVM) a remis, en janvier 2022, un rapport sur la prostitution des mineurs en France à Adrien Taquet (en lien ci-dessous). Ce document de 150 pages vise notamment à cerner le profil des victimes, d'un point de vue sociologique, psychologique et médico-légal. S'il ne fait aucune mention des enfants en situation de handicap, il révèle notamment que six jeunes concernés sur dix ont dû faire face à des évènements antérieurs potentiellement traumatiques : violences sexuelles, physiques, psychologiques, antécédents judiciaires des parents... En 2019, l'auteure et féministe américaine Andrea Dworkin dévoilait à ce titre, dans les colonnes du Monde, que 42 % des femmes se prostituant ont été victimes de pédocriminels. Selon les chiffres de l'AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), dans 20 % des cas, le premier rapport sexuel fut un viol. Ainsi, sept enfants sur dix ont eu recours à une prise en charge psychologique ou psychiatrique avant les faits, notamment pour des problématiques de comportement alimentaire, de scarifications ou des tentatives de suicide.

... accentuées par les traumatismes liés à la prostitution

A posteriori, la situation empire, leur santé mentale décline mêlant symptômes psychotraumatiques complexes et difficultés relationnelles. « Je suis déscolarisée depuis deux ans, témoigne Katia, 14 ans. Quand je ne me sentais pas bien, je me scarifiais, je voulais me suicider. C'est vide à l'intérieur de moi. » « Ces jeunes, lorsqu'ils s'en sortent, mettent des années à retrouver une stabilité psychique », s'inquiète Julien Landureau. Par ailleurs, la prostitution entraîne également des risques sur la santé physique, telles que les infections sexuellement transmissibles ou encore les coups assénés par les proxénètes, alerte le rapport.

L'argent, principale source de « motivation »

La moitié des mineurs est recrutée par l'intermédiaire d'une connaissance antérieure aux faits de prostitution (milieu scolaire, extra-scolaire ou foyer de protection de l'enfance), les autres sur les réseaux sociaux ou lors de rencontres fortuites sur la voie publique, majoritairement des gares, indique le rapport. « La plupart des proxénètes ont entre 18 et 24 ans, explique Julien Landureau. Cela peut commencer par des relations perçues comme amoureuses ou amicales par les victimes, avant qu'elles ne soient monnayées auprès d'amis ou de connaissances via des réseaux composés de trois ou quatre proxénètes dans un premier temps, parfois d'autres plus vastes, qui peuvent même s'étendre aux pays limitrophes. »

Les victimes, elles, sont de plus en plus jeunes, « parfois seulement douze ou treize ans », déplore-t-il. La principale « motivation » ? « Faire de l'argent », répondent sept mineurs sur dix. « Il arrive aussi que des mineures handicapées subissent une pression extrême pour se prostituer afin de gagner de l'argent, dans un contexte d'exclusion sociale forte », tient à ajouter Amélie Charles. Pour Julien Landureau, l'une des principales causes réside dans « le phénomène de banalisation et de « glamourisation » de l'acte sexuel avec contrepartie. Le terme même de « prostitution » est d'ailleurs très peu employé, préféré au terme « michetonnage »».

Des solutions pour prévenir ce fléau

Le rapport du CVM entend alerter mais également proposer des solutions telles que la diffusion des guides existants sur le sujet pour sensibiliser les professionnels, la création d'un poste « référent proxénétisme sur mineurs » dans chaque brigade départementale, le développement d'un outil centralisant les informations de la police et de la gendarmerie ou encore la facilitation de la procédure judiciaire, particulièrement en ce qui concerne les écoutes judiciaires et l'interception d'éléments d'enquête sur les réseaux sociaux. Il appelle également à favoriser l'accès aux soins des mineurs, en facilitant notamment celui des unités d'accueil pédiatriques enfance en danger (Uaped), sans réquisition judiciaire, 7j/ 7, 24h/24, mais aussi à lutter contre le manque d'effectifs et de moyens dans les structures d'accueil collectif et à créer un lieu d'accueil de mise à l'abri d'urgence dans chaque département. Enfin, le guide exhorte à mettre en place une instance nationale interministérielle de ressources, d'aide et de soutien à destination des professionnels et des familles confrontés à la prostitution des mineurs.

Les signaux d'alerte

« Aucun milieu social n'est épargné, affirme Julien Landureau. En revanche, il existe un terreau plus propice au développement de pratiques prostitutionnelles. L'isolement, la solitude, la docilité, l'échec scolaire, les violences créent un faisceau d'indices. » D'autres signes peuvent (doivent !) alerter : traumatismes physiques (cicatrices, ecchymoses...), addictions, fugues et rupture familiale, hygiène inhabituelle (douches très fréquentes ou, a contrario, absence de toilette quotidienne), rapport au corps inadapté (langage cru, évocation de relations sexuelles dégradantes sur un ton différent, utilisation d'une terminologie inadaptée pour son âge), usage intensif des moyens de communication et notamment du téléphone et des échanges avec des inconnus, changement de comportement (agressivité, impulsivité, hyperactivité, dépression, pleurs fréquents, comportements régressifs ou autodestructeurs, troubles du sommeil), possession de sommes d'argent inexpliquées, code vestimentaire hypersexualisé ou, au contraire négligé, difficultés d'apprentissage...

Une ligne d'écoute gratuite

En cas de doute, les jeunes en (risque de) danger, mais aussi les parents et les professionnels des établissements médico-sociaux, peuvent contacter gratuitement et en toute confidentialité le « 119 Allô enfance en danger », disponible 24h/24, 7j/7. Pour les personnes sourdes et malentendantes notamment, un tchat est ouvert aux moins de 21 ans lundi et vendredi de 17h à 21h et mardi, mercredi, jeudi, samedi et dimanche de 15h à 19h. En mars, dans le cadre du lancement de la campagne « Je gère ! », Droit d'enfance, déploie, en partenariat avec le « 119 », une cellule de suivi destinées aux victimes de prostitution, à leurs familles et aux professionnels. Dotés d'une expertise reconnue sur cette thématique, les écoutants traiteront les demandes parvenant au numéro d'urgence et nécessitant un accompagnement. Une équipe pluridisciplinaire (travailleurs sociaux, psychologues, juristes) est dédiée à cette tâche depuis mars 2022 afin de renforcer la lutte contre ce fléau.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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