Soins à domicile : leurs minutes sont comptées ?

La gratuité du stationnement pour les professionnels de santé et autres intervenants à domicile ? Oui, mais seulement dans une partie de la ville. Cette décision du maire d'une commune des Yvelines soulève la colère de certains praticiens.

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La volonté politique actuelle tend à favoriser le maintien à domicile des personnes en perte d'autonomie. A quel prix ? Le 16 avril 2019, le maire du Chesnay-Rocquencourt (Yvelines), Philippe Brillault (LR), a instauré un abonnement résidentiel de stationnement pour les professionnels de santé intervenant à domicile, notamment auprès des personnes handicapées. Problème : il serait gratuit en « zone verte », près des zones résidentielles, mais payant en « zone rouge », à proximité des commerces, au-delà de 30 minutes de stationnement (ou deux fois quinze minutes) par jour. Une décision qui suscite l'incompréhension et la colère de certains praticiens.

Temps précieux

Pas de temps à perdre ! « Le temps s'écoule dès que l'on a claqué la portière de la voiture et s'arrête à l'instant où l'on remet le moteur en marche », précise Jean-Luc Corne, un kinésithérapeute spécialisé dans la prise en charge à domicile de patients en situation de handicap lourd, habitant au Chesnay-Rocquencourt. Deux abonnements distincts ont été créés, l'un pour les professionnels des secteurs médical et paramédical libéral, intervenant à domicile et l'autre pour les professionnels du maintien à domicile (auxiliaire de vie libérale, infirmier, aide-soignant, agent des services d'aide à la personne), mais avec la même finalité. Comment faire en cas de « dépassement d'horaire » ? Quid des séances de kiné qui durent près de 45 minutes et des infirmier(e)s ou aides-soignant(e)s qui sont amené(e)s à se rendre chez leur patient trois fois par jour ? Devraient-ils effectuer des soins en un temps record, au détriment du bien-être du patient ou se délester de 30 centimes toutes les 15 minutes ?

L'opposition crie au scandale

Jean-Luc Corne dénonce une proposition « ubuesque et illégale » au motif d'une « discrimination d'accès aux soins à domicile pour les citoyens qui ont la malchance d'habiter dans une zone rouge ». Cet obstacle vient s'ajouter à celui de trouver un professionnel de santé qui accepte de se déplacer. « Soit les professionnels sont contraints de payer sur l'ensemble du territoire, soit ils ont la gratuité partout, c'est logique », estime-t-il. Sur ce point, il est rejoint par Martine Bellier, conseillère municipale de l'opposition (Le Chesnay avenir, groupe divers droite). « C'est discriminant pour la liberté de choix du soin », approuve-t-elle. Elle estime par ailleurs que cette décision « ajoute un paramètre stress aux patients et aux soignants » qui sont contraints « d'évaluer le temps de chaque séance » à l'avance.

Entrave au secret médical ?

De son côté, le maire explique que « l'urgence était de supprimer 30 % des voitures ventouses », celles qui utilisent de manière prolongée un espace de stationnement. « Depuis, on a retrouvé de la respiration dans la commune et tout le monde le reconnait sans réserve », assure-t-il. Selon lui, il y a « très peu de zones rouges, 90 % de la ville est en zone verte ». Par ailleurs, il explique vouloir partir « des besoins de la personne en perte d'autonomie plutôt que des professionnels ». « Toute personne habitant le Chesnay-Rocquencourt, qui a un besoin d'accès à un professionnel de soin pour son handicap temporaire, définitif ou évolutif bénéficiera de la gratuité du stationnement pour son personnel, en instruisant un dossier très simple au Centre communal d'action sociale (CCAS) qui fera ensuite le nécessaire », affirme-t-il. « C'est du pur délire, réagit Martine Bellier. Personne n'a à savoir qui soigne qui, ça relève du secret médical. » « Seuls les fonctionnaires de la Sécurité sociale peuvent avoir accès à ces informations et ils sont liés au secret. Toute transgression relève d'une faute grave pouvant entraîner leur révocation, intervient Jean-Luc Corne. Ce serait pour une municipalité la possibilité de créer un fichier sur l'état de santé de tous les citoyens malades au long cours ou momentanément, des personnes handicapées ou encore celles opérées en ambulatoire... »

Annuler cette délibération

D'autre part, tous deux déclarent n'avoir jamais eu connaissance de cette possibilité. « Cette mention n'est pas inscrite sur la délibération du conseil municipal, indique Martine Bellier. Par ailleurs, de nombreux professionnels ne travaillent pas avec le CCAS ». Contacté par notre media, ce dernier n'a pas souhaité répondre et nous a redirigés vers le service de stationnement de la mairie qui affirme qu'un dossier peut être créé « dans l'immédiat » au CCAS, en cas de besoin. Jean-Luc Corne, également responsable santé de l'APHPP (Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques), entend saisir le préfet pour « annuler cette délibération non conforme ». Il affirme que le Conseil de l'Ordre des sages-femmes appuie sa démarche. « Les sorties maternité se font parfois après 24 heures d'hospitalisation et leurs collègues libérales suivent les mamans à domicile, explique Jean-Luc Corne. Egalement impactées par le paiement en zone rouge, elles entendent solliciter les autres Conseils des Ordres de Santé pour m'accompagner dans cette lutte ». « C'est la seule solution pour ne pas voir pénalisés certains citoyens de ma ville », conclut-il.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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