Camille, sourde : son combat contre le harcèlement scolaire

Camille Moysan naît sourde profonde. Rejetée et humiliée tout au long de sa scolarité, elle a dû se forger une épaisse carapace. Elle réclame des cours d'éducation à la bienveillance et des adaptations via l'Education nationale. Silence radio !

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A l'âge où les enfants formulent leurs premiers mots, après avoir fait leurs premiers pas, je ne marche ni ne parle toujours pas. Inquiets, mes parents m'emmènent dans un grand hôpital parisien. Après une batterie de tests, le diagnostic tombe alors que j'ai 18 mois. J'avais une « chance » sur 25 000 d'être atteinte du syndrome d'Usher... Et j'ai gagné le gros lot. Parmi les trois types existants, j'ai réussi à avoir le plus grave, le premier, qui se caractérise par une surdité congénitale profonde, une perte progressive de la vision... Et le numéro complémentaire : des troubles de l'équilibre ! Cette maladie génétique est, par définition, due à l'altération d'un gène. Aucun autre membre de ma famille n'est concerné mais mes parents étant, tous deux, porteurs du « mauvais gène », c'est tombé sur moi. De fait, mon éventuel futur enfant aura 50 % de risque d'avoir les mêmes atteintes que moi. C'est un peu la loterie...

Mes premiers mots

Sourde mais pas muette pour autant ! J'ai deux ans lorsqu'on me pose mon premier implant cochléaire, à l'oreille droite. A trois, je m'exprime comme un bébé, en décalage total avec les autres enfants. Mais ce n'est rien comparé à ce qui m'attend... En parallèle, j'apprends le LPC (langage parlé complété) en même temps que mes parents. A la maison, aucun problème pour communiquer mais, à l'école, ça se corse... Il est vrai que je parle peu avec mes camarades, non par timidité mais par peur de ne pas saisir ce qu'ils disent ni de me faire comprendre. Une poignée d'années plus tard, à force de détermination et de séances hebdomadaires chez l'orthophoniste, je parle presque « normalement ». Je poursuis donc toute ma scolarité en milieu ordinaire, avec l'aide d'une codeuse LPC. A 8 ans, mon second implant me donne un sacré coup de pouce dans ma vie sociale, je vais davantage vers les autres, j'ose plus... Du moins, c'est ce que je croyais.

Mes premiers maux

Comme beaucoup de jeunes « différents », je suis victime de harcèlement scolaire. Isolée dans la cour de récréation, rejetée en cours, moquée, insultée et même violentée... Après cette seconde opération, les médecins m'avertissent que mon crâne est encore fragile et que je dois brosser mes cheveux avec délicatesse. Mes camarades n'en n'ont que faire, l'un d'entre eux me les tire violemment pour « me donner une bonne leçon ». L'objet de leur haine ? La jalousie qui, elle-même, découle de la méconnaissance. Selon eux, ma codeuse LPC me « donne toutes les réponses et m'avantage ». Le handicap, un privilège ? Drôle de point de vue, mais le pire reste à venir... Longtemps condamnée au silence pour ne pas attiser plus de jalousie, je finis par me confier à mon institutrice qui convoque aussitôt les parents de mes agresseurs. C'est là que je saisis le sens de l'expression « tel père tel fils »... Outrés que j'aie « osé » dénoncer leur petit « chéri », ils déboulent chez mes parents, en trombe, et me taxent de « jeune fille trop sensible ». Dans le village, je deviens la cible à abattre. Leurs enfants restent impunis et les discriminations vont bon train... Jusqu'au lycée, où les mentalités évoluent et les élèves viennent de tous horizons.

Nécessité d'une éducation inclusive

Pour riposter aux critiques, j'ai dû me forger une épaisse carapace. Mais cette déferlante de haine n'a pas épargné ma famille... Plus d'une fois, mes larmes se sont mêlées à celles de mes parents, démunis, impuissants. Pour changer la donne, l'un de mes professeurs avait consacré un cours au handicap afin de faire comprendre que différence ne devait, en aucun cas, rimer avec violence. En vain. Une initiative pourtant judicieuse qui devrait être mise en place, dès l'école maternelle, pour éduquer les tout-petits à la diversité et à la tolérance. Mais le gros du travail revient, selon moi, aux parents, qui doivent délivrer les bases d'une éducation bienveillante. Si l'on m'avait demandé quel était mon handicap ou encore à quoi servait ma codeuse LPC, j'aurais répondu avec joie mais ça n'a jamais été le cas... Pourquoi ? Parce que, face au handicap, certains parents demandent à leurs enfants de détourner le regard et de ne pas poser de question. Parce que, lorsque les jeunes regardent la télévision, ils voient très peu, si ce n'est aucun, enfant différent. Plusieurs hypothèses, un même constat : il y a encore du boulot en matière de sensibilisation et d'inclusion, peu importe l'âge.

Des aides non respectées ?

Si le harcèlement a enfin cessé, les discriminations persistent. Après un bac en arts appliqués, j'intègre un BTS design de produit et suis de nouveau confrontée aux carences de cette école inclusive dont on nous parle tant... Je suis apparemment trop âgée pour bénéficier d'une codeuse LPC et donc contrainte, pour la toute première fois, d'étudier sans adaptation. Quelques semaines plus tard, une codeuse se porte finalement volontaire, mais seulement de septembre à décembre, ce qui équivaut à une facture de plusieurs milliers d'euros. Or cette jeune femme n'a jamais été payée et l'Education nationale refuse de le faire. D'autre part, âgée de 20 ans et désormais en licence, je ne bénéficie toujours pas de codeuse et dois me contenter d'une AESH (accompagnante d'élève en situation de handicap) qui m'aide, certes, à prendre des notes pendant les cours et à construire correctement mes phrases, mais ne reste pas la meilleure solution. Pour preuve, j'ai redoublé mon année... Pourtant, en tant qu'étudiante handicapée, j'ai techniquement le droit de bénéficier d'aides individualisées à hauteur de 10 000 euros maximum, par an.

Cela fait deux ans que je tente d'obtenir gain de cause pour ces deux affaires mais je ne récolte que des galères administratives, comme nombre de mes camarades « ch'tis » en situation de handicap. On se demande pourquoi nous ne représentons qu'1 % des élèves dans l'enseignement supérieur (article en lien ci-dessous) ? Après avoir contacté l'Education nationale, j'ai envoyé une lettre à la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) du Nord, au président du Conseil régional des Hauts-de-France, au rectorat de Lille... Silence radio. C'est à se demander qui est sourd dans l'histoire ?

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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