Syndrome d'Angelman : ces anges aux ailes brisées

Les anges, c'est le nom qu'on donne aux enfants atteints du syndrome d'Angelman. Cette maladie n'est pourtant pas en odeur de sainteté... Témoignage de Virginie Raymond, une maman concernée, à l'occasion de la journée mondiale du 15 février 2020.

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Les montagnes russes, voilà à quoi ressemble notre vie. Depuis la naissance d'Arthur, mon mari et moi sommes des funambules, toujours en équilibre sur un fil si mince que la moindre poussière peut tout faire basculer. Pourtant, rien ne laissait présager un tel chamboulement durant ma grossesse : des échographies « normales », pas de douleur, ni même l'ombre d'une complication... On peut difficilement rêver mieux ! Pour preuve, je travaillais encore une semaine avant de donner la vie. Le 15 mars 2002, le rêve se transforme brusquement en cauchemar : un accouchement terrible, digne du moyen-âge. Les sages-femmes montent sur mon ventre pour faire sortir le bébé mais rien n'y fait... Je m'évanouis à plusieurs reprises… Heureusement que mon mari est présent…

Un instinct maternel puissant

Il s'en est fallu de peu... Après des heures d'effort, vient finalement le réconfort. Un bref, très bref réconfort. Dès ses premiers jours, je sens que quelque chose ne va pas. Arthur ne dort pas, mange à peine par manque de réflexe de succion, n'est jamais serein, jamais apaisé.Très vite, un lien fusionnel se créé. Telle une maman louve, je le (sur)protège, je sens qu'il est fragile -bien plus que je ne le crois- et refuse qu'on l'approche. Je ne saurais expliquer pourquoi, c'est de l'ordre de l'instinct, un instinct animal. Plus les jours passent, plus mon inquiétude s'intensifie mais, à l'hôpital, les soignants évoquent un baby blues et taxent mon bébé de « faire la comédie ». Pas de suivi, aucune écoute... Simplement Arthur et moi contre le reste du monde. Quatre jours (laborieux) plus tard, ils me renvoient chez moi, comme pour un accouchement ordinaire, malgré mes interpellations.

2 ans d'errance médicale

La première année d'Arthur, en un mot ? Catastrophique. Aux troubles de l'alimentation, s'ajoutent les problèmes de digestion, de sommeil...Il se réveille toutes les heures, en pleurs. Nous retournons plusieurs fois à l'hôpital pour subir une batterie d'examens mais, à mon grand étonnement, ce sont toujours les mêmes. Résultat, aucune évolution en perspective. Nous tentons de récupérer le dossier médical d'Arthur pour nous adresser à d'autres médecins mais la maternité fait barrage. Tenterait-elle de camoufler ses méthodes ancestrales, brutales ? Après deux années d'errance médicale, à sillonner la France à la recherche d'un médecin bienveillant, un neuropédiatre parisien nous oriente vers un centre de génétique à Saint-Etienne. En juin 2004, le couperet tombe: syndrome d'Angelman, une maladie génétique rare. Arthur a une « délétion » sur le chromosome 15, l'allèle maternelle a pêché. Les signes annonciateurs : une peau très claire, une appétence pour l'eau, des accès de rires, une absence de langage oral, des troubles de la motricité, du sommeil et de l'équilibre et ces mystérieux « battements d'ailes », lorsqu'il secoue ses bras comme s'il voulait s'envoler. Tout s'explique... Si j'ai tant souffert lors de l'accouchement, c'est parce qu'Arthur était hypotonique, il n'avait pas les moyens de faire son travail de bébé.

Mon couple bat de l'aile

Les professionnels de santé sont extrêmement bienveillants. Nous qui redoutions le milieu médical après une première expérience traumatisante, nous recevons enfin l'accompagnement dont nous avions besoin.« Un diagnostic n'est pas un pronostic », annoncent-ils. 17 ans après, cette phrase résonne encore en moi, elle m'a permis de garder espoir. Sur le chemin du retour, plusieurs sentiments s'entrechoquent : la colère, la tristesse, l'incompréhension mais aussi un certain soulagement, on connaît désormais l'ennemi à abattre. Mais avant cela, il nous faut faire le deuil de l'enfant dont nous rêvions. Notre couple en prend un coup car nous n'évoluons pas à la même vitesse, mais restons soudés face à l'adversité. De nombreux parents prennent le large à l'annonce du handicap de leur enfant. Malgré quelques bourrasques, notre couple a tenu le cap. Après un an coupés du monde, nos proches nous font un électrochoc : « Pour nous aussi c'est difficile mais il faut continuer à vivre ! ». Nous nous étions tellement repliés sur nous-mêmes que nous n'avions pas envisagé la douleur des autres. A plusieurs, on sera plus forts.

Ses premiers pas

Ils ont raison, pas question de se laisser abattre ! Entre-temps, j'avais inscrit Arthur à des séances de rééducation en kiné, de bébé nageur ainsi que dans un Sessad (service d'éducation spéciale et de soins à domicile) pour bénéficier d'un accompagnement psychomoteur et orthophonique. Malgré nos innombrables sollicitations et notre détermination à toute épreuve, à 3 ans, il ne tient toujours pas debout. Pour se déplacer, trois solutions : on le porte, le met dans la poussette ou il avance sur les fesses. Le fauteuil roulant ? Impossible, blocage psychologique... A 4 ans, Arthur fait ses premiers pas. Instables, fragiles, saccadés mais il marche ! Un moment d'une intensité folle... En parallèle, nous l'inscrivons en maternelle car il est très sociable et a besoin de contact. C'est simple, sa vie c'est les autres, n'en déplaise à Sartre ! Mais notre motivation est rapidement ébranlée par la multitude d'obstacles qui se dressent sur notre route. Le premier : obtenir un AVS, désormais appelé AESH (accompagnant d'élèves en situation de handicap). Une lutte lourde, harassante, qui marque le début d'un parcours du combattant incessant pour la scolarisation. Je remporte finalement ce premier round avant de me prendre un sacré revers. A 5 ans, Arthur fait une crise d'épilepsie, la première d'une longue série.

Rêve d'inclusion brisé

La réalité des familles concernées par un handicap est très loin de tout ce que l'on peut voir dans certains médias. Malgré les initiatives annoncées par le gouvernement, les AESH ne sont toujours pas formés, les enseignants non plus, faute de moyens. J'en parle en connaissance de cause, étant moi-même accompagnante de jeunes en Ulis (unité localisée pour l'inclusion scolaire). Je voulais passer mon concours pour devenir professeur des écoles mais le destin en a décidé autrement. Envolés mes rêves de scolarité en milieu ordinaire... Arthur ne sachant ni lire ni écrire, ni parler, je dois me rendre à l'évidence. Après son cycle de maternelle, je l'inscris dans un IME (institut médico-éducatif). Un nouveau deuil à surmonter. Mais, avec le recul, je me demande ce qu'Arthur aurait fait en CP sans moyens adaptés. L'inclusion en milieu ordinaire pourrait avoir un sens si elle tenait compte des besoins spécifiques de chaque enfant mais cela va prendre du temps, et nous n'en avons pas.

Aidante à plein temps

Durant 16 longues années, j'ai réussi à cumuler mon emploi et mon rôle d'aidante, le tout parsemé de nuits blanches, jusqu'à ce qu'un burn out me dissuade de continuer à travailler. Mon disque dur a littéralement « grillé » : d'ordinaire hyperactive, je n'ai plus aucune énergie vitale, incapable de cuisiner ni même de parler. A force de thérapie et de remise en question, je reprends peu à peu du poil de la bête et consacre désormais littéralement ma vie à mon fils ainé. Moi qui ne voulais plus entendre parler d'enfant, un professionnel de santé m'a aidée à envisager les choses différemment. Nous l'avons appelé Ange, comme le deuxième prénom d'Arthur et celui donné aux enfants atteints du syndrome d'Angelman. Une pure coïncidence... Au début, Ange prenait plutôt des allures de démon et nous en faisait baver, il voulait attirer l'attention, c'est bien normal... Aujourd'hui, âgés de 14 et 18 ans, les deux frères sont très proches et, surtout, Ange n'a pas honte d'Arthur, au contraire, il est même très protecteur.

Pour le meilleur comme pour le pire

Notre quotidien ? Un ascenseur émotionnel constant, des émotions exacerbées... Il faut être vigilant en permanence, on ne se repose jamais psychiquement. Une simple gastro suffit à envoyer Arthur à l'hôpital pendant une semaine et a chamboulé la vie de toute la famille. A contrario, il nous fait vivre des aventures incroyables, comme l'Iron man de Vichy en 2019. Lui, dans une poussette de course, moi derrière en train de le pousser, mon mari et Ange qui veillent au loin à vélo et, à l'arrivée, une ovation de plusieurs minutes ! Vous imaginez le tableau ? Impensable qu'une ombre ne puisse l'obscurcir, et pourtant... La vie sociale d'Arthur est en sursis. Dans deux ans, il aura dépassé l'âge maximum pour être accueilli dans un IME. Nous voilà face à un nouveau challenge. Alors voilà, notre vie est un combat permanent : social, administratif, médical... Mais nous avons remporté le plus précieux de tous, celui contre la fatalité.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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