Violences conjugales : les femmes handicapées en 1ère ligne

Quelle place pour les femmes handicapées dans le Grenelle des violences conjugales qui a lieu le 3 septembre 2019 à Matignon ? Des victimes toutes désignées qui peinent à dénoncer et à se faire entendre. 4 sur 5 seraient concernées !

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Une dame de 92 ans vient de mourir ; son mari de 94 ans est soupçonné de l'avoir rouée de coups de canne. Elle est la 101e victime de féminicide depuis le 1er janvier 2019. En 2018, le ministère de l'Intérieur en a recensé 121. Dans ce contexte, le gouvernement lance, le 3 septembre, à Matignon, en présence des familles de victimes, un Grenelle des violences conjugales. Un véritable « fléau » qui n'épargne pas les femmes en situation de handicap. Bien au contraire, leur vulnérabilité ne fait souvent que renforcer les risques.

Des chiffres éloquents

D'après un rapport de l'ONU, quatre femmes en situation de handicap sur cinq seraient victimes de tous types de violences, et notamment sexuelles et conjugales. De son côté, une étude de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) de 2016 montre que les femmes qui courent le plus de risques d'être victimes de violences conjugales sont celles de moins de 25 ans qui se trouvent en situation de handicap. Selon les statistiques du 114, le numéro d'urgence dédié aux personnes sourdes ou malentendantes, la moitié des appels de femmes handicapées caractérisés comme situations d'urgence sont en lien avec des violences conjugales : les conjoints à 40 %, les ex-conjoints à 10 %, les enfants à 14 %, les parents à 9 % et des inconnus à 18 %. Même constat pour l'association FDFA (Femmes pour le dire Femmes pour agir) qui a mis en place un numéro non surtaxé d'écoute pour répondre à la détresse des femmes handicapées (01 40 47 06 06) : 35 % des violences signalées ont lieu dans le couple et sont commises par le conjoint. FDFA constate que ce service « n'a jamais été aussi sollicité », même si « de nombreuses femmes n'appellent tout simplement pas, notamment en cas de handicap mental ». Celles touchées par des handicaps psychiques représentent plus d'un tiers des appelantes (36 %). Par ailleurs, il s'agit de violences psychologiques à 71 %. Enfin, les agressions ont lieu à 60 % au domicile de la victime, ce qui signifie que ces femmes ne sont pas protégées, même lorsqu'elles se trouvent chez elles.

Difficultés à dénoncer

Durant une année, le 3919 (Violences Femmes Info) a mené une enquête qui révèle que 115 femmes déclarent qu'une invalidité ou un handicap est à l'origine de l'apparition ou de l'aggravation des violences subies. Les données issues du Collectif féministe contre le viol (CFCV) vont dans le même sens : dans un tiers des cas, l'invalidité ou le handicap est une résultante du viol, notamment en cas de handicap mental. « La vulnérabilité liée au handicap place bien souvent les femmes dans des situations de dépendance économique et émotionnelle vis-à-vis de leur agresseur. Elles peuvent avoir plus de difficultés à dénoncer les violences du fait de situations spécifiques », explique un paragraphe dans les guides publiés par la MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains). Trois de ses kits sont traduits en Langue des signes française (LSF), sous-titrés et disponibles en audiodescription.

Le Sénat se mobilise

Une table-ronde était consacrée à ce thème le 6 décembre 2018, au Sénat, dans un contexte où la violence faite aux femmes a connu une ampleur sans précédent via le mouvement #MeToo. Son objectif ? Mettre en lumière les difficultés spécifiques de celles touchées par un handicap. Le bilan est sans appel ! C'est l'« angle mort » de cette politique publique. Mais un article spécifique dans la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, adoptée en août 2018, témoigne d'une sensibilisation croissante à la nécessité de mieux prendre en compte la situation de ces victimes méconnues. Son article 4 inclut des actions de sensibilisation, de prévention et de formation sur les violences sexuelles, à destination des femmes concernées mais aussi des professionnels, tandis qu'un groupe de travail sur ce thème est constitué au sein du Sénat. De son côté, Sophie Cluzel précise que le dernier plan interministériel comprend un axe dédié au repérage et à la prise en charge des femmes en situation de handicap victimes de violences, déclinant un ensemble de mesures : former les professionnels qui travaillent au contact des femmes handicapées, renforcer la collaboration entre l'État et les associations dédiées et favoriser l'éducation à la vie sexuelle et affective dans les établissements médico-sociaux. Un outil pédagogique devait voir le jour en 2019 afin de toucher tous les professionnels œuvrant dans le champ du handicap.

Sophie Cluzel sur le terrain

Le 3 septembre, Sophie Cluzel, secrétaire d'État au Handicap, est l'un des dix ministres qui répond à l'appel de ce Grenelle. Le matin, elle va à la rencontre des équipes de FDFA puis dans le FAM (foyer d'accueil médicalisé) Le Moulin à Carrières-sur-Seine (Yvelines), qui propose l'intervention de sages-femmes pour des actions de prévention/dépistages, d'information et de formation des femmes et des professionnels sur la nécessité d'un suivi gynécologique tout au long de la vie, sur la vie affective et sexuelle et sur la problématique de la violence. « En 2019, être une femme et être en situation de handicap reste une double discrimination, le Grenelle doit être enfin l'occasion de mettre fin à l'intolérable face aux violences qu'elles subissent », assure Sophie Cluzel.

Un plan Marshall ?

Plus globalement, les associations féministes mobilisées sur le sujet souhaitent que l'événement débouche sur un « plan Marshall » doté d'« au moins » 500 millions d'euros, voire d'un milliard. Une somme bien loin des 79 millions spécifiquement alloués à cette lutte. Pour faire entendre la contestation, le collectif Nous Toutes milite via le hashtag #1milliardpas1million tandis que des familles marcheront vers Matignon. Le premier ministre, Edouard Philippe, doit annoncer, dans l'après-midi, « des premières mesures d'urgence visant à renforcer la protection des victimes », ont fait savoir ses services. D'autres dispositions « concertées de manière collective arriveront plus tard », a ajouté son entourage. Les conclusions de la concertation sont promises le 25 novembre, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes.

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