Elles « chantent » La Marseillaise dans le langage des signes et assurent en souriant que « chez les sourds, on bavarde trop » : les volleyeuses françaises sourdes et malentendantes, portées par une joyeuse communauté, ont vécu, du 1er au 11 juillet 2015, leur premier Championnat d'Europe à Paris.
Le stylo calé derrière l'oreille droite - c'est devenu le signe par lequel ses joueuses le désignent -, le sélectionneur Charles Hordenneau gesticule dans sa zone délimitée. Au temps mort, alors que les Ukrainiennes survolent les débats, il se fait comprendre grâce à Julie, son interprète. Sur un point, trois Françaises se gênent et le ballon termine dans le filet. Sur un autre, elles continuent de jouer alors que l'arbitre a déjà tranché en leur défaveur. Pas de fameux « J'ai ! » si caractéristique de ce sport. Les volleyeurs sourds et malentendants n'ont pas de recette miracle pour jouer et communiquer dans le même temps.
« Pas des sourdes qui font du sport mais des sportives qui sont sourdes »
Malgré la défaite sèche (3 sets à 0 en 1h15), la troisième en autant de rencontres, les Françaises veulent garder des motifs de satisfaction : elles ont su hausser leur niveau au fil de la rencontre contre la grande favorite du tournoi, avec la Russie, pour leur tout premier Championnat d'Europe. Une compétition à laquelle elles n'auraient jamais goûté si la France ne l'avait pas accueillie. Charles Hordenneau, 28 ans, coordonnateur de l'équipe technique du comité régional francilien de handisport, s'est lancé bénévolement dans l'aventure de cet Euro organisé à domicile par son employeur, la Fédération française de handisport (FFH). « J'avais envie de connaître ce public, explique ce joueur de volley amateur. Ce ne sont pas des sourdes qui font du sport, ce sont des sportives qui sont sourdes. Je vois des volleyeuses. »
Une chance sur cinq
Le nombre de pratiquantes est réduit et l'accès à l'équipe de France statistiquement aisé : les 13 internationales représentent... un cinquième du total des volleyeuses sourdes et malentendantes de France ! Elles évoluent toutes dans les cinq clubs spécialisés féminins (deux à Paris, Champs-sur-Marne, Bordeaux, Nantes), qui disputent leur propre championnat.
Difficile de lutter contre les pays de l'Est, aux politiques plus volontaristes. La solution : « que les sourds soient formés jeunes chez les entendants », estime l'entraîneur des Bleues. « Le mieux, c'est de faire les deux. Pour être bon, il faut jouer avec les entendants », assure, traduite par une interprète, Laura Groslin, 27 ans, capitaine adjointe de l'équipe.
La réceptionniste-attaquante a commencé le volley à 16 ans avec des entendants, qui « ont plus de cohésion d'équipe. Chez les sourds, on bavarde trop ! » L'intégration dépend évidemment du niveau de surdité, les oralistes (qui parviennent à parler) pouvant plus facilement communiquer. Pour les autres, « les clubs ne sont pas toujours en mesure d'accueillir les jeunes », déplore Charles Hordenneau.
Enjeu sociétal
La Halle Carpentier et ses 50 bénévoles accueillent également le tournoi masculin, qui comprend 10 nations (8 pour les femmes) sur les 11 jours de compétition. Pour le capitaine des Bleus, Xavier Behnert, jouer devant un public nombreux et joyeux n'est pas évident. « C'est plus difficile d'être dans sa bulle et concentré, avec les familles, les amis », explique cet ingénieur Renault de 33 ans qui a joué avec des entendants en Régionale 1 et évolue actuellement au Stade parisien des sourds (SPS), un des sept clubs masculins français.
Cette compétition de volley est la première organisée en France depuis que ce handicap, qui avait sa propre fédération jusqu'en 2007, est passé dans le giron de la FFH. « 500 000 euros, c'est un gros budget pour les sports sourds, se félicite Michel Irdel, président du comité d'organisation. L'enjeu est sociétal, culturel. Il faut un brassage de gens. Regardez les sourds étrangers : avec la langue des signes internationale, tout le monde se comprend. »