" Accessibilité : on évoque la crise, elle a bon dos ! "

Son commerce est enfin accessible. Jean Luc Hoffmann, héritier d'une dynastie de bouchers-charcutiers à Haguenau (Bas-Rhin) a dû investir 100 000 euros ! Mais le bilan est ultra-positif : + 20 % de chiffres d'affaires et une clientèle aux anges.

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Handicap.fr : En octobre 2011, votre boucherie, refaite à neuf, ouvre ses portes, entièrement accessible...
Jean Luc Hoffmann : Oui, nous avions décidé de rénover ce bâtiment qui datait des années 50 et obligeait à gravir sept marches. Alors nous avons profité du chantier pour moderniser le laboratoire, le magasin et surtout le rendre accessible à la clientèle handicapée.

H.fr : Combien cela vous a-t-il coûté en plus ?
JLH : Sur les 900 000 euros engagés dans la rénovation et l'agrandissement de la boutique, nous avons consacré 100 000 euros aux travaux d'accessibilité. Nous avons opté pour une rampe élégante, un peu plus chère qu'un produit standard mais qui met la façade en valeur. Il faut savoir qu'aucune subvention n'est prévue pour ce type d'aménagement mais je ne regrette rien. Le coût est souvent présenté comme une contrainte supplémentaire alors qu'il faut en faire un atout puisque les usagers valides y trouvent aussi leur compte. Mon chiffre d'affaires a, depuis, grimpé de 20 %. De toute façon, je n'ai fait qu'anticiper les obligations d'accessibilité qui seront imposées à tous les établissements recevant du public en 2015. Tous mes confrères devraient y penser maintenant car ce n'est pas une mince affaire.

H.fr : C'est tout de même une somme importante que tous les commerçants ne sont peut-être pas en mesure d'investir ?
JLH : Oui, bien sûr, mais j'ai un principe : pour réussir, il faut s'en donner les moyens. Je ne suis pas homme à faire les choses à moitié ni à me décourager face aux difficultés.

H.fr : Quels sont ces aménagements spécifiques ?
JLH : Une rampe d'accès en Z de 25 mètres de long munie d'une barrière de sécurité et une place de parking réservée aux personnes handicapées. Il a fallu batailler avec la commission locale de l'accessibilité pour cette pente car une dérogation prévoit qu'elle soit à 6 % pour les bâtiments existants au lieu des 5 % pour le neuf. Mais la commission n'en démordait pas ! Mon projet a été retoqué deux fois mais mes arguments ont fini par être entendus. Il y a une station de repos à mi-parcours. A l'intérieur, poussettes et fauteuils circulent facilement et, sur la caisse, une tablette en décroché facilite les paiements. Nous avons également prévu une bande podotactile destinée à alerter les clients déficients visuels et installé un éclairage adapté (20 lux minimum).

H.fr : Une boutique accessible, c'est bien mais encore-faut-il que la voirie de la ville soit aménagée... Est-ce le cas ?
JLH : Notre boutique est un peu excentrée, mais la ville est en train de mettre en place pas mal de choses.

H.fr : Comment réagit votre clientèle handicapée ? Est-elle plus nombreuse ?
JLH : Oui. Le jour de l'ouverture, une dame est venue avec son fils en fauteuil roulant ; j'étais très fier. Mais le handicap n'est pas toujours aussi visible, et, pour les personnes qui ont simplement du mal à marcher, c'est aussi un confort appréciable.

H.fr : Vos clients « valides » optent-ils dorénavant pour la rampe ou les escaliers ?
JLH : Disons que les enfants apprécient le côté ludique de la rampe. Et lorsque la boutique est fermée, elle devient le terrain de jeu favori des jeunes skateurs du quartier ! Mais c'est aussi un vrai plus pour les parents qui viennent avec des poussettes, les mamies avec leurs caddies... Chacun y trouve son compte.

H.fr : Cette réalisation est devenue un modèle exemplaire dont s'est emparée votre Chambre des métiers...
JLH : Oui, d'autant que je représente ma profession au sein de cette instance. Je suis également vice-président de la corporation des bouchers-charcutiers du Bas-Rhin, et nous avons mis en place un audit qui permet à mes confrères alsaciens de mener une étude d'accessibilité de leur commerce pour 150 euros. Je fais du lobbying pour les convaincre de suivre mon exemple.

H.fr : Au point qu'on vous surnomme maintenant « Monsieur handicap » !
JLH : Oui, on a tendance à me solliciter sur cette question, par exemple pour animer une conférence. Cette nouvelle notoriété m'a valu la visite du député européen Adam Kosa (lui-même sourd) et de Marie-Prost Coletta, déléguée ministérielle à l'accessibilité.

H.fr
: Vous avez également été récompensé par le Ministère de l'économie et des finances...
JLH : Oui, le 11 février 2013. On nous a remis le Trophée de l'accessibilité lors d'une magnifique cérémonie, à Paris, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin.

H.fr : On constate qu'une telle implication vient souvent de personnes qui sont confrontées au handicap à titre personnel. Est-ce votre cas ?
JLH : Non, pas du tout. C'était un engagement totalement citoyen, même si, dans deux ans, la loi ne nous laissera pas vraiment le choix. Depuis que j'ai réalisé ces aménagements, j'ai eu l'occasion de rencontrer pas mal de personnes handicapées et je comprends mieux leurs doléances. Elles veulent être libres de leurs mouvements sans avoir besoin de demander de l'aide à tout bout de champ. C'est bien légitime...

H.fr : Une toute nouvelle campagne de l'APF (Association des paralysés de France) met en lumière des commerçants qui ont rendu leur commerce accessible. Son slogan : « On m'a dit que ce n'était pas possible mais je l'ai fait ! ». Elle condamne les lobbies qui freinent des quatre fers. Percevez-vous une telle réticence chez vos confrères ?
JLH : Oui, bien sûr, certains disent qu'ils ne pourront pas. Mais c'est souvent de la mauvaise foi, un parti pris négatif. Evidemment, on évoque la crise mais elle a bon dos la crise ! Justement, en temps de crise, pourquoi se priver d'étendre sa clientèle, pourquoi se couper du monde ? Evidemment, tout se juge au cas par cas. Il est vrai que, pour certains, ça risque d'être très compliqué. Dans notre centre-ville, par exemple, certains commerces sont semi-enterrés ; c'est une contrainte énorme en termes d'accessibilité.

H.fr : On a parlé de vous dans Le Point et de nombreux medias. Cet intérêt médiatique vous a-t-il surpris ?
JLH : Franchement, oui. Mais même si elles sont difficiles à chiffrer, ces retombées médiatiques nous ont apporté un réel bénéfice.

H.fr : Que votre boutique soit à ce point montrée en exemple, n'est-ce pas inquiétant...
JLH : Oui, d'une certaine façon ; cela prouve qu'il y a assez peu de « bons exemples » à se mettre sous la dent. C'est dire la quantité de choses qu'il reste à faire pour que tous les ERP (Etablissements recevant du public) soient accessibles. J'ai bien peur que nous ne soyons pas nombreux à être aux normes en 2015. Nous aurons pourtant eu dix ans, depuis 2005, pour nous y préparer.

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