Ergo : la France doit apprendre à prévenir plutôt que guérir

Ergothérapeute, une pratique en expansion dans un pays qui comprend peu à peu qu'il vaut mieux prévenir que guérir. Et pourtant toujours pas remboursée ! Eric Trouvé, président de l'ANFE, milite pour faire des ergos des piliers de notre santé.

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Handicap.fr : L'ANFE, c'est quoi ?

Eric Trouvé : L'ANFE est le principal organisme représentatif de la profession d'ergothérapeute en France. Il ne s'agit pas d'une organisation syndicale. Elle a pour but de défendre et de promouvoir notre profession et se veut également un espace d'échanges et de rencontres pour les professionnels et les étudiants. Elle représente 13% des 9 000 ergothérapeutes exerçant en France. Elle a fêté ses 50 ans en 2011.

H.fr : Les jeunes étudiants s'intéressent-ils à cette profession ?

ET : Oui, de ce côté, nous n'avons aucun souci. Le recrutement se fait sur concours ou après une 1ère année des études de santé (PACES) à l'université : en moyenne 500 candidats pour 40 places. Je me demande même souvent comment les étudiants peuvent connaître ce métier car il est n'est absolument pas médiatisé. En général, ils me disent qu'un de leur proche a été suivi par un ergo et ils se sont alors sentis concernés par cette problématique.

H.fr : Que fait la profession pour faire reconnaître ses bienfaits ?

ET : Les médecins, les kinés ou même les éducateurs ont longtemps fait sans nous, car la nature a horreur du vide ! Mais, désormais, nous faisons la démonstration de notre expertise et développons les actes qui relèvent de notre champ d'actions, ce qui peut parfois créer des conflits avec les collègues qui ne nous reconnaissent pas. Notre challenge, aujourd'hui, c'est de faire la preuve de la plus-value de l'ergothérapie.

H.fr : Les prestations des ergo exerçant en libéral sont-elles remboursées par la sécurité sociale ?

ET : Et bien non. Et c'est là que le bât blesse. Le problème, c'est que le tissu réglementaire date des années 70 et la Sécu n'avait pas jugé bon de créer des nomenclatures d'actes pour trois « clampins » qui n'exerçaient même pas en libéral à l'époque. Mais, aujourd'hui, le besoin se fait réellement sentir. Nos interventions en libéral, notamment auprès des enfants, peuvent être prises en charge par la MDPH dans le cadre de l'AEEH (Allocation d'éducation de l'enfant handicapé) mais certains départements commencent à dire que ce n'est pas leur rôle et se désengagent. C'est vraiment dramatique pour les familles ! J'ai rencontré, il y a quelques semaines, la FFDYS (Fédération française des dys) qui est très inquiète et souhaite interroger les ministres Carlotti (personnes handicapées) et Touraine (santé) à ce sujet. Mais je ne suis pas très optimiste car nous en avons déjà parlé et le gouvernement a peur d'ouvrir la boite de Pandore. Pourtant, faire intervenir les ergothérapeutes à domicile permettrait de grandes économies de santé, de nombreuses études étrangères l'ont démontré.

H.fr : Pour les adultes qui sollicitent un ergo en libéral, il n'y a donc aucune prise en charge ?

ET : Non, même si certaines mutuelles offrent cette garantie dans leur prestations mais c'est encore trop rare ! Évidemment, pour les personnes qui vivent en institution, cette prise en charge rentre dans le budget de fonctionnement global. Pour pallier l'absence d'ergothérapie libérale, le système de santé a misé davantage sur la création de structures d'accompagnement à la vie à domicile, comme les SAMSAH (Service d'accompagnement à la vie sociale) ou les ESA (Equipe spécialisée Alzheimer) où les ergothérapeutes sont salariés. Mais la liste d'attente est très longue. Et ça ne concerne que des personnes qui sont dans des situations complexes, ce qui n'est pas le cas de l'enfant dyspraxique ! Nous pouvons toujours nous installer en libéral dans une maison de santé mais personne ne viendra nous voir si les séances ne sont pas remboursées...

H.fr : Combien coûte une séance ?
ET : Dans la mesure où il n'y a pas de nomenclature, il n'y a pas non plus de tarif réglementé. Il faut compter entre 40 et 50 euros pour une heure.

H.fr : Mais les ostéopathes ont bien réussi à s'imposer même sans être remboursés ! Pourquoi pas les ergos ?

ET : C'est vrai, l'ostéopathie a fini par entrer dans les habitudes des Français. Mais, avec l'ergothérapie, nous n'en sommes pas encore là. Il faudrait un plan média d'envergure nationale pour faire connaître notre métier. C'est peut-être dans l'air du temps car nous sommes approchés par des sociétés expertes en communication pour faire des plans medias bien ficelés qui pourraient ensuite être « vendus » au ministère de la santé, comme par exemple des spots à la télé et des annonces dans la presse.

H.fr : Et le projet de loi autonomie, il en dit quoi ?

ET : Michèle Delaunay, la ministre déléguée aux personnes âgées, a annoncé un projet de loi autonomie qui devrait être présenté fin 2013 et qui abordera forcément le maintien à domicile dans de bonnes conditions ainsi qu'un volet prévention. Nous avons été auditionnés par deux des chargés de mission qui travaillent sur ce projet. Plusieurs rendez-vous, depuis, avec le ministère, nous ont confirmé qu'il était convaincu de la plus-value de notre pratique. Mais reste encore à trouver un modèle économique viable.

H.fr : Ce qui signifie plus de budget ? Mais on entend de toutes parts que les caisses sont vides...

ET : Non, avec la même enveloppe globale. Ce qui signifie transformer des prestations existantes en prestations ergo, imaginer des financements sur certains actes. Par exemple, transférer des budgets dédiés à l'hospitalisation vers des prises en charge plus souples, au domicile. La France a développé un modèle « hospitalo-centré » qui mange tous les budgets alors que l'hôpital ne devrait être réservé qu'aux situations de crise. En gros, diminuer les ressources d'autres spécialités ou d'autres structures. Cela risque effectivement de ne pas être du goût de certains.

H.fr : Et du côté du ministère délégué aux personnes handicapées ?

ET : Nous n'avons pas travaillé avec madame Carlotti cette année, elle n'est pas non plus la seule ministre de référence de notre profession. Je n'ai malgré tout pas entendu parler de projet particulier qui nous concernerait. Dans les mois à venir, un rapprochement nous semble nécessaire...

H.fr : Et dans les autres pays, ça se passe comment ?

ET : La France est à la traîne. Les fers de lance ce sont le Canada, les Etats-Unis, l'Australie ou les pays d'Europe du Nord. Dans ces pays, il y a presque autant de kinés que d'ergos alors qu'en France on compte quinze fois plus de kinés. 14 ergothérapeutes pour 100 000 habitants chez nous contre 100 pour 100 000 en Suède. Je crois que notre pays est à l'avant-dernière place dans ce domaine, peut-être juste avant la Roumanie ! C'est le propre de la médecine à la française, une médecine de réparation dans laquelle les médicaments et la rééducation trouvent pleinement leur place. Dans d'autres systèmes, on a compris qu'on avait tout intérêt à remettre les patients sur les rails au plus vite, c'est à dire à favoriser leur reprise d'activités dans leur milieu de vie, avec une prise en charge qui leur permet de s'auto-rééduquer. Et c'est justement le boulot des ergos. En d'autres termes, la France doit apprendre à prévenir plutôt que guérir.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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