Amputés de guerre : des virtuoses en foot sur béquilles !

En Syrie, le football redonne goût à la vie à des amputés de guerre. Un ballet de virtuoses soutenus par leurs béquilles. L'objectif : la rééducation physique mais, surtout, une manière de garder le moral dans un pays toujours déchiré par la vio

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Par Omar Hajj Kadour

Sur le terrain, l'arbitre siffle le début du match. S'appuyant sur ses béquilles, un jeune homme tape dans le ballon, donnant le coup d'envoi d'une partie de football qui va opposer des amputés de la guerre qui ravage la Syrie. S'en suit un ballet de virtuoses. Soutenus par leurs béquilles, les joueurs se passent le ballon, un attaquant progresse vers la cage adverse. Le gardien, à qui il manque un bras, s'avance et tombe à genoux pour bloquer le ballon, qui rebondit et finit dans le but, sous des clameurs. Dans la province d'Idleb, la dernière dans le nord-ouest syrien à échapper au régime de Bachar al-Assad, un centre de physiothérapie a réuni depuis début décembre 2017 19 patients amputés pour monter une équipe de football. Civils ou anciens combattants rebelles, ils ont tous un point commun : la guerre qui ensanglante leur pays depuis 2011 leur a coûté une jambe ou un bras.

La vie ne s'arrête pas

« Parfois le ballon passe devant moi, je veux le taper avec mon pied gauche, mais je réalise qu'il est amputé », raconte, impassible, Salah Abou Ali, assis au bord du terrain. « Il y a de nombreuses difficultés, courir par exemple, ou être rapide », reconnaît-il. Le jeune homme de 23 ans se trouvait devant sa maison de Raqa, l'ancienne capitale du groupe État islamique (EI) dans le nord syrien, quand il a été blessé dans un bombardement il y a près d'un an. L'équipe, qui regroupe aussi bien des adolescents que des quadragénaires, s'entraîne trois fois par semaine, jusqu'à deux heures par séance. L'objectif est double : rééducation physique mais, surtout, une manière de garder le moral. Et pour M. Ali, c'est une « nouvelle vie » qui a commencé. Avant, « je restais à la maison, je ne voulais voir personne, je pensais seulement au passé », se souvient le jeune homme à la silhouette fine, sa barbe noire taillée de près. Aujourd'hui, il aime de nouveau sortir: « Ce n'est pas parce qu'on a perdu un membre que la vie s'arrête ».

Des gros progrès

Fondé il y a un peu plus d'un an par des volontaires, le centre de physiothérapie a soigné quelque 900 personnes, des hommes et des femmes de tout âge, souffrant notamment d'amputation ou de fractures. « Les jeunes » se sont montrés « très réceptifs » à l'idée d'une équipe de foot, confie Mohamed Mareï, physiothérapeute. En quelques semaines seulement, il a constaté des progrès sur le plan physique mais aussi « psychologique et moral ». « Le centre ne compte pas s'arrêter là, et va tenter la musculation en salle ou encore la natation », poursuit-il. Dans le cadre d'une compétition créée par une association caritative, le groupe a récemment disputé un match amical à Idleb. Les joueurs, séparés en deux équipes, enfilent des dossards orange ou vert fluo, avant d'enrouler consciencieusement une bande de gaze autour de leur membre amputé. Avant le début de la partie, ils forment un cercle pour s'encourager: « Olé, Olé, Olé », lancent-ils, hilares.

Un grand choc

Debout près du terrain, Abdel Kader al-Youssef jongle avec le ballon à l'aide de sa béquille, non sans fierté. Cet ancien coiffeur originaire de Homs (centre) a rejoint les rangs de la rébellion, et a perdu une jambe lors de combats face au régime en 2015. Rentré chez lui après le match amical à Idleb, son fils Amer accourt dans ses bras. « Regarde ce que papa a gagné aujourd'hui, tu veux jouer au ballon ?», lance Abdel Kader en souriant, lui passant une médaille autour du cou. Assis en tailleur sur un matelas à même le sol, il reconnaît que son amputation a été un « grand choc ». Mais pour ce mordu de foot, qui avant le conflit évoluait en juniors dans le club de sa ville natale, le centre de physiothérapie a tout changé. « Au début c'était difficile, parce que ça faisait longtemps qu'on n'avait pas couru, depuis des années on restait assis », s'amuse le jeune homme de 24 ans à la barbe clairsemée, ses cheveux bouclés retenus par un bandeau noir.

Une guerre sans fin

« Avec l'entraînement, mon corps est plus fort qu'avant, je peux de nouveau faire pleins de choses que je n'arrivais plus à faire, comme porter une bombonne de gaz », explique-t-il. « Il faut avoir confiance en soi et ne pas perdre espoir. La vie ne s'arrête pas », ajoute le jeune papa devenu chauffeur pour une association caritative. Mais, en Syrie, la guerre n'est jamais loin. Depuis le début du conflit, plus de 340 000 personnes ont perdu la vie. Et l'équipe n'a pas été épargnée. Un des joueurs est mort quelques jours plus tôt dans l'explosion d'une bombe sur une place publique d'Idleb.

© Capture d'écran Youtube/AFP

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