Patrick Pelloux : autisme lié aux écrans, la "fake news" !

La surexposition aux écrans déclencherait l'autisme. Thèse sans fondement scientifique déroulée en prime-time dans Envoyé Spécial. Certaines associations de personnes autistes ripostent et l'urgentiste Patrick Pelloux assène : "Soyons sérieux!".

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Le fait, pour un enfant, d'être en excès face à un écran peut-il déclencher l'autisme ? Il y a déjà dix ans, cette thèse fut soutenue par Michael Waldman, économiste de la prestigieuse université américaine Cornell.

Une médecin de PMI

Elle a refait surface en France en mars 2017, dans la bouche du Docteur Anne-Lise Ducanda, médecin de PMI en Ile-de-France. Dans une vidéo (en lien ci-dessous) devenue virale, elle dit recevoir des enfants de 0 à 3 ans pour des consultations de routine et affirme constater des symptômes récurrents chez les moins de quatre ans surexposés aux tablettes et smartphones, en moyenne de 6 à 12 heures par jour : retards de développement intellectuel et moteur, troubles de l'attention, agitation, agressivité… Parlant « d'autisme virtuel », elle alerte sur cette « épidémie silencieuse ». Elle explique qu'il suffirait d'ailleurs d'arrêter les écrans pour guérir. « En 1975, curieusement après l'arrivée de la télévision, la courbe de l'autisme commence à augmenter », affirme-t-elle à la fin de sa vidéo. Selon elle, « c'est une urgence sanitaire dont les pouvoirs publics doivent se saisir au plus vite car l'avenir de milliers d'enfants est en jeu et le coût financier colossal. »

Thèse en prime-time

Dans le cadre de son collectif « Surexposition écrans », le Dr Ducanda a également été reçue à l'Elysée en novembre 2017 par Brigitte Macron. Largement relayée par les medias, cette théorie, jugée « subjective » et non fondée scientifiquement, est rapidement mise à mal par la communauté scientifique. Certains ripostent même en affirmant que les écrans peuvent aider les enfants autistes. Elle s'invite pourtant à nouveau le 18 janvier 2018 dans le reportage Accros aux écrans diffusé dans Envoyé Spécial (France 2). Le Docteur Ducanda est l'invitée de la journaliste Elise Lucet et déroule à nouveau son propos en prime-time, devant des millions de Français. Il n'en fallait pas davantage pour faire réagir des associations de personnes avec autisme, notamment SOS autisme. « Je ne veux pas être le gendarme de l'audiovisuel, explique Olivia Cattan, sa présidente, mais ce discours a des conséquences. Je ne doute pas que l'addiction aux écrans puisse provoquer l'isolement et des troubles du comportement mais ça ne s'appelle pas de l'autisme. L'autisme est un trouble neurologique. Est-ce qu'on parle, par exemple, de « troubles trisomiques » ? Soit on est autiste soit on ne l'est pas ! »

Le point de vue du Dr Pelloux

Olivia Cattan a sollicité le Dr Patrick Pelloux, avec lequel elle travaille sur différents sujets liés à la santé. En déplacement à New-York, il a tenu à réagir. Son point de vue est sans appel : jouer avec la santé peut avoir des conséquences. « Nous sommes face de plus en plus à la rumeur, la fake news, le charlatanisme qui est repris dans les médias, lui donnant une sorte de validation, explique l'urgentiste. On ne peut pas donner du crédit à une femme qui, dans son coin, élabore sa propre théorie. C'est grave, dangereux, surtout lorsque l'on parle d'un sujet comme l'autisme. Ce syndrome touche beaucoup de personnes et il ne faut dire tout et n'importe quoi. » Avec SOS autisme, il travaille actuellement sur un projet visant un meilleur accueil des enfants autistes au sein des urgences et fait le constat suivant : « L'autisme est mal pris en charge en France, des urgences jusqu'à l'hôpital. Je n'ai pas honte de le dire et je comprends les critiques des familles à cet égard. Je suis très sensible à l'autisme et conscient des progrès qu'il nous reste à faire en tant qu'urgentistes et en tant que médecins. Nous faisons ça très mal en France parce que nous ne savons pas les accueillir. Nos lieux sont stressants et nous n'avons pas les bons gestes et les bonnes réactions. Pourtant, leur spécificité l'exige ».

Des millions d'autistes ?

Revenant à la théorie des écrans, il poursuit : « Alors, lorsque dans les médias, ce genre de rumeur est propagée, c'est totalement contreproductif et cela ne fait guère avancer les choses. Aux États-Unis, les sujets ne font pas dix minutes, les journalistes vérifient leurs sources. Ici, ce n'est pas toujours le cas. Alors nous pouvons avoir des débats sur le lien entre les métaux lourds, les pesticides… et l'autisme mais pas sur ce sujet. Et puis, il faut le faire sérieusement. Si les écrans étaient à l'origine de l'autisme, nous serions des millions à être autistes. Soyons sérieux ! Il y a quelques années, la théorie du téléphone portable et de la tumeur cérébrale avait aussi défrayé la chronique, sans qu'aucune preuve n'ait été établie. Et nous assistons de plus en plus à ce genre d'information spectacle qui peut avoir de nombreuses conséquences sur la Santé publique et la vie des familles. »

Vus à la télé

Le chercheur en neurobiologie, spécialiste de l'autisme, membre du Comité scientifique de SOS autisme, Yehezkel Ben-Ari, a lui aussi réagi expliquant que cette attraction pour des idées fausses était le « mal du siècle ». « Il n'y a aucune donnée qui puisse attester le moindre lien, explique-t-il. Cela ne colle pas du tout avec la compréhension que nous avons du système nerveux. Les écrans peuvent nuire par leur contenu -cela aussi est débattu-, à la rigueur un excès de plusieurs heures par jour n'est pas recommandé car les enfants doivent communiquer avec leur environnement mais cela s'arrête là. Alors il serait temps de ne pas se fier à des soi-disant experts « vus à la télé » parce que nous finirons par créer une perte de confiance dans l'expertise scientifique. »

École en alerte ?

« Le souci, c'est que ce discours relayé sur une chaîne du service public commence à impacter la communauté pédagogique, conclut Olivia Cattan, maman de Ruben, 12 ans, autiste et scolarisé en 6e. Les professeurs sont persuadés d'être tombés sur une info capitale d'autant plus qu'Élise Lucet a présenté ce médecin de PMI comme une experte ». Et d'expliquer qu'une directrice de collège a demandé à l'Inspection académique de réviser la dérogation qui permet aux élèves autistes d'utiliser un ordinateur en classe pour la prise de note. Elle cite également le cas d'un enfant non verbal qui communique via des pictogrammes sur tablette et dont la maman a été interrogée sur ce sujet. « Cet amalgame remet en question ces outils numériques qui sont de véritables médiateurs de communication, des béquilles qui permettent aux personnes autistes de faciliter les apprentissages. Nous avons déjà des difficultés à l'imposer à certains professeurs alors je n'aimerais pas que cela soit aujourd'hui remis en cause », s'inquiète Olivia Cattan.

© Wikimedia Commons + soupstock/Fotolia

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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