Croizon : Handicap mental, se soigner, quelle galère !

Pour sa chronique du Magazine de la santé (France 5) du 24 octobre 2015, Philippe Croizon aborde l'accès aux soins des personnes avec un handicap mental. Compliqué! Mais des associations se mobilisent en faveur d'une "santé facile".

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Vous avez choisi de titrer votre rubrique « Handicap mental : se soigner, parcours du combattant ». Cela sous-entend que les personnes avec un handicap mental sont plus souvent malades ?
Pas forcément mais elles n'ont pas toujours les bons réflexes pour accéder aux soins, qu'ils soient liés ou non à leur handicap. Par exemple en cas de problèmes dentaires, ophtalmologiques, gynécologiques. Selon un rapport de l'Unapei, la plus grosse association de défense de personnes avec un handicap mental, elles ont deux fois et demi plus besoin de soins que la population générale.

Mais comment expliquer cela ?
Si on prend l'exemple des personnes trisomiques ; dans les années 70, elles avaient une espérance de vie assez courte, moins de 30 ans, alors qu'aujourd'hui elles peuvent espérer vivre largement plus de 60 ans. Mais, comme pour le reste de la population, cette avancée en âge génère des besoins en soins (cancers, démence, maladies cardiovasculaires, atteintes sensorielles ou musculo-squelettiques) mais avec des conséquences plus sévères et parfois un vieillissement prématuré. La maladie d'Alzheimer semble ainsi apparaître plus tôt chez les personnes trisomiques.

Et certains types de handicaps peuvent-ils générer des pathologies particulières ?
Oui, par exemple la boulimie. Les personnes déficientes intellectuelles sont plus souvent confrontées à des facteurs à risque comme l'alcool, le tabac ou l'obésité, qui favorisent le développement de pathologies. C'est pourquoi il est important d'engager des actions de sensibilisation et d'éducation avec des mots simples que le patient pourra comprendre aisément. C'est ce qu'on appelle le FALC ou Facile à lire et à comprendre. Il faut qu'il puisse participer directement à son parcours de soin.

Mais lorsqu'elles sont face au médecin, les problèmes ne sont pas réglés pour autant…
Evidemment, à commencer par le fait que, durant leur formation, les médecins ne sont pas du tout sensibilisés à la prise en charge de patients en situation de handicap. A cela, il faut ajouter les difficultés de communication chez certaines personnes qui gênent le diagnostic et conduisent parfois à des traitements inappropriés porteurs d'effets secondaires indésirables. Les personnes polyhandicapées, par exemple, qui ont plus de difficultés à exprimer leur malaise, peuvent souffrir des semaines ou des mois avant que leurs douleurs ne soient reconnues et donc traitées.

Face à cette situation, l'Unapei a donc décidé d'agir.
Oui, elle a publié en 2013 un livre blanc « Pour une santé accessible aux personnes handicapées mentales » qui préconise un renforcement des moyens sanitaires dans les différents établissements, avec une présence accrue d'infirmiers. Les professionnels du secteur médico-social doivent aussi être sensibilisés au dépistage de la douleur. En 68 pages, il propose toute une série de recommandations très complètes.

L'association Trisomie 21 France s'est, elle aussi, engagée dans la bataille.
Oui avec la publication d'un « Guide santé » et d'un « Carnet de suivi médical » en écriture simplifiée, accessibles aux personnes déficientes intellectuelles et plus particulièrement avec une trisomie 21.

Quel est l'objectif de ces deux outils également téléchargeables en ligne ?
Leur permettre de mieux connaître leur corps, les aider à surveiller leur santé et les informer sur les professionnels de santé. Cet outil aide ainsi la personne à répondre aux questions pratiques, telles que : « Vers quel professionnel de santé dois-je m'orienter ? », « Qui peut m'aider ? »… Quant au carnet de suivi médical, c'est un outil plus personnalisable, constitué de fiches détachables que la personne peut s'approprier en y portant ses annotations. Tenu à jour, ce carnet lui permet de suivre l'évolution de sa santé et ses différents rendez-vous médicaux. Un site est également en ligne, santetresfacile.fr.

La Ligue contre le cancer prend à son tour ce sujet à bras-le-corps. Pour quelle raison les personnes avec un handicap mental seraient plus exposées au cancer que le reste de la population ?
Elles ne développent pas plus de cancers mais le manque de communication est responsable de diagnostics tardifs et, par conséquent, de traitements lourds et de souffrances supplémentaires. On sait que, d'une manière générale, six patients sur dix sont soignés grâce au dépistage et au diagnostic précoce. Or les patients déficients intellectuels, pris en charge trop tardivement, ont moins de chance de guérison.  Le constat est quasi identique concernant la prise de vaccins. Et pourtant, aucune documentation spécifique n'existe en France pour ces personnes... Elles ont besoin d'infos simples, adaptées à leur niveau cognitif.

Chez les personnes déficientes intellectuelles, les messages de prévention pénètrent-ils moins bien ?
La société, en général, se sent mal à l'aise pour leur parler et leur conseiller d'arrêter de fumer, de faire du sport, alors que dire de ne pas boire à une femme enceinte ou à un enfant est plus ancré dans les mœurs. D'ailleurs, certains centres spécialisés fournissent même des cigarettes à leurs résidents.

Et les médecins y-sont-ils préparés ?
En général, on ne leur a jamais expliqué en quoi cette problématique est importante. Ce n'est pas de la malveillance, c'est juste qu'ils ne savent pas. Il est donc important de pouvoir les sensibiliser à cette question afin de développer des bonnes pratiques.

Existe-t-il des centres spécialisés qui sont plus à même d'accueillir ces personnes ?
Dans les 19 centres de lutte contre le cancer, par exemple, il existe le plus souvent une prise en charge adaptée ; cela varie généralement en fonction des chefs de service. La situation est identique dans la plupart des hôpitaux publics mais les dispositifs spécifiques sont trop rares.

C'est pourquoi la Ligue lance, dans le cadre de son projet Oncodéfi, un site dédié. De quoi s'agit-il ?
C'est le 1er site internet de sensibilisation au cancer pour les personnes en situation de déficience intellectuelle. Il a pour objectif de faciliter la communication avec les personnes concernées et d'améliorer ainsi la détection et le traitement de la maladie.

Ce site a déjà vu le jour ?
Non, il est en cours. La Ligue a lancé une campagne de financement participatif ; 25 000 euros sont nécessaires mais elle n'arrive pas vraiment à mobiliser sur ce thème. Alors si vous souhaitez apporter votre aide, elle sera la bienvenue…

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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