Convention de l'ONU : l'arme fatale explose en silence ?

La ratification par la France de la Convention internationale de l'ONU pour les personnes handicapées s'est faite dans le plus grand silence. Le gouvernement craint-il de communiquer sur une question qui implique, pour lui, de nouveaux engagements

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Handicap.fr : Rappelez-nous en quelques mots le principe de cette convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées ?
Pascale Ribes
: La Convention internationale a pour objet de « promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l'homme et de toutes les libertés fondamentales pour les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque ». Elle a été signée en 2007 par 84 états, dont la France, qui l'a ratifiée le 18 février dernier. Elle est entrée en vigueur le 20 mars 2010 dans une relative indifférence.

H
: Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas davantage communiqué sur cette ratification historique ?

PR
: C'est une question qu'il faut lui poser. Je fais le même constat et m'étonne de son silence sur ce sujet alors qu'il se montre en général assez friand de communication. Par ailleurs, je déplore que l'on ne trouve pas trace de cette convention sur le site du Premier ministre, là où elle avait pleinement sa place. Mais si on insiste un peu, on la déniche sur celui du Ministère de l'écologie et du développement durable. Allez savoir pourquoi... C'est apparemment à la mode de lier les questions du handicap à celles de l'environnement.

H
: Le gouvernement fait-il preuve de discrétion parce que cette ratification induit des obligations qu'il préfère ne pas trop divulguer ?
PR
: Ce serait étonnant car il a passé cette convention au peigne fin avant de la ratifier, pour voir, notamment, si notre loi française de février 2005 était conforme à ses dispositions. Et, de son point de vue, elle ne nécessitait pas de grosses adaptations de notre droit interne. Le gouvernement pense que la convention de l'ONU n'apporte guère plus aux personnes handicapées alors que nous la trouvons tout de même plus large et plus contraignante que la loi de 2005. Il n'a peut-être pas envie de communiquer pour éviter que les ONG (Organisations non gouvernementales) ne s'intéressent d'un peu plus près au texte.

H
: En quoi, la convention serait-elle plus favorables aux citoyens handicapés ?
PR
: Certains nombres de dispositions vont au delà de notre loi de 2005. Elle prévoit un processus de suivi et d'évaluation régulier visant à une amélioration continue dans le temps de la politique du handicap dans tous les domaines.

H
: Il est un domaine qui suscite de grands débats, celui des revenus. Dans la convention de l'ONU, l'article 28 parle de « niveau de vie adéquat »...
PR
: Chaque Etat a quand même, sur la question des ressources, une compétence exclusive car le niveau de vie n'est pas le même d'un pays à l'autre.

H
: Mais, en France, on considère que l'AAH est en dessous du seuil de pauvreté. Ce n'est donc pas un « niveau adéquat » !

PR : Cette notion n'est  pas clairement définie. Mais vivre en dessous du seuil de pauvreté ne peut évidemment être considéré comme adéquat. Nos associations pourront dorénavant s'appuyer sur cet article pour fonder leur revendication du revenu d'existence et mettre l'Etat face à ses obligations.

H
: Et que dit la convention sur le principe de quota d'embauche des travailleurs handicapés dans les entreprises ?

PR : La convention ne prévoit pas de quota. Elle interdit simplement la discrimination fondée sur le handicap dans tout ce qui a trait à l'emploi. En Europe, les pays ayant introduit un système de quotas n'ont pas fait la preuve de leur efficacité, en termes de taux d'emploi, comparativement aux autres pays. En France, ce quota de 6% va à l'encontre des principes du droit international, et est très critiqué par certains pays.

H
: Comment être certains que les objectifs seront respectés
?
PR
: Chaque Etat doit présenter au Comité un rapport détaillé sur les mesures prises et les progrès accomplis, dans un délai de deux ans à compter de l'entrée en vigueur de la Convention. L'adoption et l'efficacité des mesures seront contrôlées au niveau international par un comité d'experts. C'est un outil vivant qui va contraindre l'Etat français à fonctionner différemment.

H
: Les personnes handicapées ont-elles un recours en cas de non-respect des obligations imposées par cette convention ?

PR
: Oui, bien sûr. Le Comité des droits des personnes handicapées peut-être saisi, mais seulement après avoir épuisé tous les recours nationaux. C'est un outil très pragmatique et efficace, ce qui peut en partie expliquer le silence du gouvernement.

H
: L'union Européenne a-t-elle ratifié la convention de l'ONU
?
PR
: Oui, fin 2009. Un acte historique car c'était la première fois que l'Union ratifiait un traité international sur les droits de l'homme. Même si on considère que la loi de 2005 est « parfaite » (et c'est discutable), cette convention constitue un garde-fou précieux contre les risques de retour en arrière. Et lorsqu'on voit comment le gouvernement détricote la loi de 2005... Si nous arrivons à démontrer que ces nouvelles mesures sont défavorables, nous aurons, avec cette convention, un solide atout pour fonder nos revendications.

* Conseil français des personnes handicapées pour les questions Européennes (CFHE)

Interview réalisé par: Emmanuelle Dal'Secco, Handicap.fr

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