Procès Bonnemaison : médecin de la mort ou altruiste ?

Nicolas Bonnemaison, urgentiste accusé d'avoir donné la mort à 7 patients par sédation, comparait en appel. Il est dépeint comme un "hyper-altruiste" apitoyé mais pas un "médecin de mort". Un procès qui relance le débat sur la fin de vie.

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Illustration article Procès Bonnemaison : médecin de la mort ou altruiste ?

Par Colette Larraburu

Le procès de Nicolas Bonnemaison pour « empoisonnement » par sédation de patients agonisants a écarté l'idée d'actes qui seraient liés à une « fragilité » mentale de l'urgentiste, des actes salués par d'ultimes témoins comme les « mouvements de pitié » d'un « médecin de vie, pas de mort ». Ce procès touche à sa fin : après les plaidoiries et réquisitions le 24 octobre 2015, la Cour d'assises du Maine-et-Loire doit rendre le lendemain son verdict sur l'ex-urgentiste bayonnais de 54 ans. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir abrégé les souffrances, la vie, de sept patients incurables en 2010-2011. En première instance à Pau en juin 2014, il avait été acquitté par la Cour d'assises des Pyrénées-Atlantiques.

Pourquoi deux poids deux mesures ?

Après l'inflexibilité, mercredi, du député (et père sur la loi de fin de vie) Jean Léonetti, soulignant l'importance de la « collégialité » de décisions médicales pour les décisions de fin de vie, plusieurs praticiens sont venus parler jeudi de la réalité de la « zone grise » : d'urgences hospitalières où atterrissent des patients en fin de vie « qui n'ont rien à y faire », de choix « qu'on est amené à faire, acculé », car sur le moment « il n'y a pas de collégialité ». « Nous sommes des médecins de la vie, pas des médecins de la mort », a lancé le Dr Frédéric Chaussoy, qui lui aussi fut poursuivi en 2003, pour avoir « franchi la ligne jaune » dans un cas d'euthanasie célèbre, celui du jeune handicapé Vincent Humbert. Il obtint un non-lieu, d'où son exclamation jeudi : « Pourquoi un médecin a bénéficié d'un non-lieu et l'autre se retrouve devant une Cour d'assises » ?

Bernard Kouchner à la barre

« On ne peut pas reprocher à un médecin (...) d'avoir des mouvements de pitié pour un malade qui ne peut plus vivre. Nous médecins l'avons tous fait, dans des circonstances différentes », plaidera à son tour Bernard Kouchner. Celui qui fut ministre ou secrétaire d'Etat à la Santé à trois reprises entre 1992 et 2002 a regretté de n'avoir en son temps « pu convaincre qu'il fallait s'avancer vers la mort choisie ». Mais il n'a pas épargné la loi Leonetti-Claeys en préparation, qui va instaurer un droit à la « sédation profonde et continue en fin de vie » : « La sédation profonde, par rapport à ce qu'a fait Nicolas Bonnemaison, c'est ... une différence de pharmacologie, de bonne culture, de bienséance et parfois d'hypocrisie », a lancé le Dr Kouchner.

Une situation indigne

La Cour s'est aussi efforcée d'entrer dans la « tête » de Nicolas Bonnemaison, à l'heure d'injecter, seul et sans communiquer avec quiconque, des sédatifs à des agonisants. L'élément-clef de ces actes, a déclaré l'expert-pyschiatre Roland Coutanceau, c'est « l'hyper-identification à autrui, souvent une caractéristique des gens sensibles : se mettre à la place des autres », « prêter à l'autre une émotion et déterminer ses actes en fonction». C'est pour cela, a poursuivi l'expert, que l'urgentiste va soulager des gens en fin de vie qui, pour lui, sont dans "une situation indigne ». Pour cela qu'il n'en parlera pas aux infirmières, pour leur éviter de « prendre le poids de donner un médicament qui va soulager mais conduire à la mort ». Pour cela aussi qu'il n'en parlera pas aux familles, les « exonérant aussi de ce poids ».

Aucun trouble mental de l'urgentiste

« Il ne tue pas, il soulage quelqu'un dont l'état est une atteinte à sa propre dignité », « c'est donc par hyper-sensibilité, pour exonérer les autres. Et son autocritique est "Oui, j'aurais dû en parler"», a résumé l'expert. « L'intentionnalité de donner la mort n'est pas le sujet ». Et il a souligné que « les faits reprochés ne peuvent être mis en lien avec aucun trouble mental » de l'urgentiste, sous antidépresseurs à l'époque des faits, mais pas « cliniquement dépressif », malgré « un petit filet d'anxiété ». Mais « banalement, nous sommes tous des névrotiques». Avant lui un autre expert, le psychologue Alain Pénin, a souligné l'absence de « dimension pathologique » mais relevé une « problématique pas résolue avec le personnage paternel », figure tutélaire d'un père admiré, ancien chef de clinique,  qui se suicida en 1987. L'expert a soulevé l'hypothèse d'actes de Nicolas Bonnemaison « pouvant être interprétés comme une forme de suicide professionnel, en parallèle avec le suicide du père ».

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