Témoignage: Jacques Sémelin, chercheur aveugle

'Vous allez perdre la vue. Votre choix professionnel est limité. Peut-être pourriez-vous devenir kinésithérapeute ou instituteur?': à 16 ans, le couperet est tombé pour Jacques Sémelin. A force de volonté, il est devenu directeur de recherches a

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Par Mié KOHIYAMA

GRENOBLE, -
En apprenant qu'il était touché par une maladie incurable, qui l'a inexorablement entraîné vers la cécité à l'âge de 35 ans, M. Sémelin explique n'avoir été dès lors "hanté que par une seule question: que faire de sa vie".
"La peur de cet avenir tant redouté a surtout nourri une farouche volonté de se dépasser", écrit cet historien et politologue dans son autobiographie, "J'arrive où je suis étranger" (Seuil), qu'il a présentée à Grenoble lors d'un cycle de conférences sur le thème d'"une université non discriminante", en cette semaine pour l'emploi des personnes handicapées.
"C'est par le savoir, l'étude, en engageant une bataille intellectuelle, que j'ai réussi à m'extraire du courant qui pouvait m'emporter. A force d'obstination, en me cherchant, je suis devenu chercheur!", poursuit l'universitaire parisien, soulignant avoir endossé la phrase du sociologue Pierre Bourdieu: "la sociologie est un sport de combat".
"Pour moi, la recherche a été un sport de combat", dit-il.
Auparavant, ce fils de gendarme et d'une mère au foyer, originaire de la région parisienne, évoque son parcours "hésitant, sinueux, incertain".
Son handicap lui fait d'abord renoncer à une carrière médicale. Un médecin le dissuade ensuite de devenir professeur de lycée, par risque d'être refusé à l'examen médical de l'Education nationale.
"Par défaut et peut-être parce que j'avais des problèmes, j'ai choisi psycho", raconte M. Sémelin, aujourd'hui âgé de 57 ans, dont les travaux portent notamment sur l'analyse des génocides.
Un passage à Harvard lui donne la confiance suffisante pour achever sa thèse et postuler à un laboratoire du CNRS, où il est engagé.
Pour ses travaux, M. Sémelin utilise un ordinateur équipé d'une synthèse vocale. Enseignant à Sciences-Po Paris, il évalue oralement ses étudiants.
"Je n'ai jamais voulu faire valoir mon handicap dans mon recrutement professionnel", assure-t-il, ajoutant: "c'était plus fort que moi, je n'arrivais pas à me définir comme un handicapé. Le mot handicap me mettait mal à l'aise".
"Le handicap suscite souvent chez autrui la peur ou la pitié. Or, je n'avais envie de provoquer ni l'une ni l'autre, mais d'être reconnu dans et pour mon travail", poursuit-il.
Ce n'est que récemment, dit-il, qu'il est parvenu à apprécier les avantages de son infirmité: "ne plus voir fait qu'on est contraint à augmenter sa capacité de concentration, qu'on développe des facultés de mémoire, l'esprit de synthèse".
"En quelque sorte, j'ai organisé la résistance à partir de mon cerveau", souligne-t-il.
mie/dth/phi

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