Aidant-patient : une douleur partagée !

Comment Bruno Haulot, ergothérapeute, trouve-t-il la force d'aider ses patients lourdement handicapés lorsque les situations qu'il rencontre ravivent ses propres douleurs ? Accompagner c'est parfois, aussi, se mettre en danger...

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« Je veux mourir... J'ai envie d'aider ». Quatre ans séparent ces deux phrases, prononcées par Michel, un homme tétraplégique de 44 ans. C'est Bruno Haulot, ergothérapeute dans un centre de rééducation fonctionnelle, qui l'a pris en charge et lui a permis de se relever. Dans un document, Bruno raconte sa rencontre avec Michel, comment il l'a aidé à reconstruire son estime de soi, à retrouver le sourire et l'envie de vivre. Un accompagnement qu'il assure depuis 23 ans, dont 20 ans passés auprès des grands brûlés. La souffrance, il connaît. Celle du patient ! Mais qu'en est-il de celle de l'aidant qui jour après jour doit soutenir, se laisser apprivoiser, encaisser parfois rejet et hostilité ?

Handicap. fr : On évoque souvent la souffrance des personnes handicapées mais qu'en est-il de celle des professionnels qui les prennent en charge ?
Bruno Haulot
: Elle existe bel et bien. Lorsque je suis rentré pour la première fois dans la chambre de Michel, j'ai été saisi par son immobilité qui a déclenché un violent pique au fond de ma poitrine car elle réveillait un souvenir d'enfance que j'explique dans mon témoignage. Nous sommes tous sensibles à ce jeu du miroir qui nous interpelle personnellement.

H : Comment, dans ces cas là, avoir la force de maintenir le contact ?
BH
: Il y a 2 solutions : vous vous blindez, vous effacez votre propre douleur et vous vous contentez d'une prise en charge technique, ou alors vous vous arrêtez, vous la laissez venir, vous vous mettez en face d'elle pour mieux la comprendre. L'accompagnement de Michel a été possible à partir du moment où j'ai ressenti sa souffrance et reconnu ce qu'elle provoquait en moi. Cet homme ne se sentait pas rejeté. J'ai alors été capable de lui dire « Vous avez droit d'avoir mal, de vouloir mourir » au lieu de « Mais non, c'est un mauvais passage ».

H : L'empathie est-elle systématique envers tous vos patients ?
BH :
Non, il y a parfois des gens qui restent tellement en retrait, sur la défensive, dans l'agressivité, la provocation, qu'il m'est difficile de construire une relation. Ils en ont évidemment le droit et j'essaie alors de les aider à formuler leur douleur, sans m'attacher aux apparences. Mais, lorsqu'après 3 ou 4 séances, je sens qu'il n'y a pas de demande de leur part, je choisis de leur apporter essentiellement mes compétences techniques.

H : Y'a-t-il des moments où vous avez envie de baisser les bras, de ne plus aider ?
BH
: Rarement. Parfois je me sens démuni, impuissant, très faible comme le jour où j'ai rencontré une personne amputée des quatre membres. Dans ce cas, j'essaie de parler à cette « partie géniale » en moi qui sait aimer.

H : Comment porter ces personnes et leur donner l'envie de se battre ?
BH : Je garde un axe très précis lors des activités : les obligations, les besoins, et certaines fois les envies. Après une séance de rééducation, synonyme de grands efforts, je demande au patient « Qu'est-ce qui vous ferait du bien maintenant ? ». Je prends alors le temps de lui accorder un petit moment : une personne que j'avais accompagnée a ressenti le plaisir de boire un coca au soleil sur la terrasse. En général, les prises en charge se succèdent et on pense que les personnes sont satisfaites en remplissant leur planning mais, il suffit parfois de quelques minutes, ce que j'appelle des « fenêtres vivantes » pour qu'elles soient « nourries » et présentes à ce qu'elles font. L'aspect technique est important mais le plaisir est primordial. L'estime de soi, c'est ce qui donne la force de se redresser et de sortir du désespoir.

H : La prise en charge psychologique est-elle abordée dans votre cursus d'étude?
BH
: Il y a en effet une formation en psycho dans le cursus des ergothérapeutes mais libre à chacun, dans son parcours professionnel, d'approfondir ensuite ou pas l'aspect psychologique. Cet approfondissement est important pour le patient mais aussi pour soi-même. Encore une fois, j'ai la conviction que la douleur ressentie par le professionnel devant le patient fait écho à son propre passé. Au cours de cette formation, on devrait avant tout apprendre à prendre soin de nous. On peut davantage aider l'autre lorsqu'on s'est aidé un peu plus soi-même et qu'on a appris à mieux s'aimer.

H : Y-a-t-il également une prise en charge psychologique du personnel souvent confronté à des situations difficiles ?
BH : Nous avons fréquemment des réunions collectives, supervisées par un psychologue du travail. Mais elles ont lieu avec l'équipe et il est donc plus difficile de parler de douleur personnelle et de soi devant le groupe. Elles ont davantage pour but de trouver des solutions au problème comportemental d'un patient. Actuellement, aucun entretien individuel n'est proposé aux professionnels, mais cela pourrait être une solution. Alors à chacun de trouver son exutoire à l'extérieur : une aide psychologique ou plus simplement une activité sportive. Le monde de l'hôpital est à mon avis encore un monde du silence retenu, un univers où les choses ne sont pas dites. La souffrance personnelle est rarement abordée.

H : Quelle est la plus grande satisfaction dans votre métier ?
BH
: Ce qui me donne du bonheur, c'est de voir des yeux gris et tristes qui commencent à sourire et deviennent brillants. J'ai conscience de l'étendue de mon service : je ne suis pas là pour sortir mes patients du puits mais pour les aider à gravir une ou deux marches, même de quelques millimètres. Là, je suis heureux. Et puis, j'apprends aussi beaucoup d'eux. Ils me permettent de prendre du recul sur ce qui est important dans la vie.

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