Handicap Interview: Jean Vanier, fondateur de L'Arche

L'Arche : un navire pour tous les Intouchables ?

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Sa parole apaise, son propos rend serein. Jean Vanier milite pour tous, les personnes handicapées mentales, ceux qui les aide et ceux qui, simplement, se plaisent à l'écouter. La sortie du manifeste « Tous intouchables » est l'occasion d'en redemander.

Handicap.fr
: Comment a commencé l'incroyable aventure de L'Arche ?
Jean Vanier
: Lors de ma rencontre avec Philippe. Handicapé mental, il vivait avec 80 autres personnes entre les murs d'une institution. J'ai eu envie de lui rendre sa liberté. Il a emménagé chez moi. C'est moi qui faisais la cuisine. Puis il y a eu Raphael... D'autres par la suite. De cette rencontre a surgi la conviction qu'une vie communautaire avec des personnes ayant un handicap mental est l'une des réponses pour leur permettre de trouver leur place dans notre société. J'ai créé la première communauté de L'Arche en 1964. Elles sont aujourd'hui présentes sur les cinq continents. En 50 ans, nous avons ouvert 31 communautés en France (soit 1 100 personnes accueillies) et 140 dans le monde.

H.fr
: Qu'est-ce qui différencie vos communautés d'une institution ?
JV
: Il y a les progrès apportés par l'internet, google, facebook mais est-ce qu'on se regarde ? Que veulent les personnes vivant en institutions, avant tout ? Un ami ! Or ils y crèvent de solitude. Dans les hôpitaux psychiatriques, j'ai vu que les personnes handicapées mentales étaient les plus fragiles de notre univers. Je les ai accueillies dans ma maison et, en vivant avec elles, je suis redevenu un enfant. Ce fut aussi une chance pour moi...

H.fr
: Et désormais, vous encouragez d'autres personnes à vivre auprès d'eux ?
JV
: Oui, c'est la vocation de L'Arche. Nous œuvrons pour une vie partagée avec les personnes en situation de handicap mental. Pour cela, nous avons conçu des hébergements communs, répartis en petites unités de 6 ou 7 résidents qui leur permettent de vivre en autonomie tout en restant ensemble. Deux ou trois assistants viellent à leur bien-être. Il y a beaucoup de joies, de rires, les repas sont gais. Il y a ce lien de presque frère qui nous unit... Mais au-delà de la dimension communautaire, il y aussi deux autres dimensions : spirituelle, mais aussi professionnelle à travers des lieux de travail ou d'activités de jour.

H.fr
: Vous en appelez donc aux volontaires, aux bénévoles, aux salariés, à toutes les bonnes volontés ?
JV
: Oui, avec l'idée que le volontariat de l'Arche, c'est une expérience pour la vie. Le mot clé : se rencontrer ! J'ai découvert ta fragilité et tu découvres la mienne. Et on se retrouve entre êtres humains. Chaque année, nous invitons des jeunes « valides », notamment dans le cadre du Service civique, à venir vivre plusieurs mois dans nos foyers, en leur offrant ainsi une expérience humaine unique, porteuse de solidarité. Ils en ressortent avec l'envie de construire une société plus humaine, avec l'idée que de petits miracles locaux ont souvent de grands effets. La fête des voisins, par exemple. C'est l'une des rares initiatives qui invite à la convivialité. Il ne faut rien négliger...

H.fr
: Le handicap mental, plus qu'un autre, nourrit pourtant les pires inquiétudes et clichés auprès de ceux qui ne le connaissent pas. Comment briser cette peur ?
JV
: La violence jaillit de l'humiliation. La question qu'il faut se poser, c'est « Est-ce qu'il y a quelqu'un qui me reconnait en tant que personne ? ». Nos résidents ont parfois accumulé des décennies de brimades. Cette femme, par exemple, dont on se moquait déjà à l'école, qui était la honte de sa famille... Violente, agressive, aigrie... Grâce à notre aide, elle a fini par découvrir qu'elle était plus belle qu'elle ne voulait le croire. Mais combien de temps faut-il pour passer de la violence à la tendresse ? Car le contraire de la violence ce n'est pas la non-violence mais bien la tendresse...

H.fr
: La « fragilité », c'est un mot qui revient souvent dans votre bouche ; d'autres la considèrent comme un défaut...
JV :
Depuis 50 ans, je n'ai jamais cessé de militer pour le respect des personnes fragiles. Faut-il bannir ce mot ou celui de handicap ? La société est faite de gens vulnérables que ni le savent pas. J'ai 83 ans et, l'autre jour, j'ai reçu une très gentille lettre de l'association des malades d'Alzheimer, avec la liste de tous les symptômes. Et je les avais tous. Nous sommes tous humains, avec ce doux mélange de vulnérabilité et de force.

H.fr
: Vous venez de publier « Tous intouchables », un manifeste qui prolonge la magie et l'impact du film. Mais avant cela, qu'avez-vous pensé de ce film ?
JV
: C'est un cri d'espérance. Il prouve qu'il est possible que des jeunes s'engagent pour célébrer notre humanité commune. Dans ce film, le rire est sans pitié mais c'est un rire qui sauve ! 20 millions de spectateurs qui, je l'espère, ont changé, et même si c'est encore inconscient, oseront un jour briser les murs pour que notre humanité puisse jaillir... C'est une leçon de positivisme dans un monde obscure.

H.fr
: Ce qui vous a donc poussé à accepter la rédaction du manifeste « Tous intouchables » ?
JV
: Oui. Je l'ai rédigé avec Philippe Pozzo di Borgo dont l'histoire a inspiré le rôle tenu par François Cluzet, et Laurent de Cherisey, qui dirige une autre association « Simon de Cyrène » qui œuvre, elle aussi, en faveur du « Vivre ensemble ». Ce manifeste est en librairie depuis le 15 mai 2012 ! Nous l'avons officiellement présenté le 16 mai lors de la très belle journée « Intouchables : fiction ou réalité ? » organisée à Paris au sein du CESE (Conseil économique, social et environnemental ».

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