Personnes handicapées : nous ne sommes pas des adjectifs !

Maudy Piot* est une battante, le verbe toujours haut et les yeux rivés sur le monde. Aveugle, elle n'en est pas moins une femme libre qui refuse de se laisser entraver par son handicap. Pour elle, pour elles, Maudy ne cesse de militer...

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*En 2003, Maudy Piot, psychanalyste, auteur de nombreux ouvrages, crée l'association « Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir » qui lutte contre toutes les discriminations, notamment celles qui s'exercent contre des femmes ayant un handicap. Elle a reçu la Légion d'Honneur en octobre 2012.

Handicap.fr : Pourquoi avoir donné ce nom à votre association ?

Maudy Piot : Il est important qu'il y ait à la fois « dire » et « agir ». Pas seulement des mots ! Il y a beaucoup d'idées et de belles intentions mais il faut surtout des mises en actes. Et surtout ne pas ghettoïser. C'est facile de mettre tous les aveugles ensemble car ils ont les mêmes besoins. Mais, dans notre association, tous les handicaps sont confondus. Vous ne pouvez pas vous imaginer la richesse de toutes ces femmes, qui permettent, petit à petit, de porter un nouveau regard sur la différence. Chacune avec son histoire personnelle a réalisé un travail incroyable.

H.fr : Je vous ai entendue un jour vous mettre en colère parce qu'une personne avait dit « les handicapés »...

MP : En effet, cela arrive encore trop souvent. Nous ne sommes pas des « handicapés » mais des « personnes handicapées » ! Ce n'est pas un détail ; les mots ont une importance considérable. Nous ne sommes ni des substantifs ni des adjectifs qualificatifs. Je suis aveugle depuis quinze ans, à cause d'une rétinite pigmentaire. Le handicap n'est pas mon identité. Le fait d'être aveugle n'est qu'un hasard de la vie. Mon identité, c'est d'être une citoyenne, une femme battante, une mère de famille... Dans le même ordre d'idées, parmi ces poncifs que l'on entend fréquemment, « on ne surmonte pas son handicap », pas plus qu'on ne l'accepte, mais on vit avec... C'est une réalité, et ses difficultés, que l'on doit apprivoiser.

H.fr : La personne handicapée est enfermée dans une cage de représentations négatives ?

MP : Oui, encore aujourd'hui, évidemment. Avant, elles restaient cloitrées chez elle. On a même parfois fait le choix de les supprimer car il faut éradiquer ce qui est mauvais et difficile. Moi, personne handicapée, je dérange, et j'en suis bien contente, je l'assume, car c'est justement en dérangeant l'autre que je vais pouvoir entrer en contact avec lui. Déranger c'est permettre de penser autrement, pour changer.

H.fr : Lors d'un récent colloque, le thème de votre propos était « Je hais l'autonomie ». Qu'entendez-vous par là ?

MP : C'était évidemment une vue de l'esprit car nous en avons tous besoin. Je dis haïr l'autonomie car je suis autonome et je ne veux pas qu'on me parle comme si je ne l'étais pas. Je rêve que la personne handicapée soit abordée avec un regard constructif qui lui permette d'être pleinement autonome. Je hais, par exemple, la personne qui, dans un ascenseur, demande à mon chien à quel étage va sa maîtresse. Drôle de façon, pour ceux qui se sentent coupable de ma différence, de vouloir m'aider. D'autant que je ne veux pas qu'on m'aide mais qu'on m'accompagne. Je vous regarde, vous savez ! J'ai perdu la vision mais jamais le regard. Je suis autrement capable de vous aborder et de vous demander un accompagnement. Ce qui est important, c'est ce qu'on porte en soi et la façon dont on communique avec les autres.

H.fr : Pour vous, la situation de handicap vient principalement de l'inadaptation de l'environnement ?

MP : Oui, bien sûr, il nous renvoie sans cesse à nos limites. Je suis autonome si je peux aller faire mes courses moi-même parce que mon chien m'accompagne et que tous les produits sont étiquetés en braille.

H.fr : Vous êtes une battante mais il y a des moments où le moral flanche ?

MP : C'est une souffrance d'être handicapé, et on a parfois besoin de pleurer et de se sentir désespéré de ne pas pouvoir accéder à nos désirs. Lorsque je suis déprimée, je me réfugie dans mon imaginaire, dans ce petit « si », adverbe qui ouvre tant d'horizons... Avec ce « si », je pourrais changer le monde.

H.fr : Il faut donc être assez solide pour laisser place à l'imaginaire ?

MP : L'environnement n'est pas propice mais ce n'est pas pour autant que notre autonomie est entravée dans notre tête. L'autonomie n'est pas seulement dans nos gestes. Elle s'exprime aussi dans l'intelligence, le désir... Je me sens autonome dans ma façon d'aborder les autres, dans ma façon d'imaginer cette rencontre. Ma liberté, c'est aussi de pouvoir me dire : « Je renonce à faire quelque chose mais je choisis de renoncer ». Etre handicapé, cela peut devenir une extraordinaire aventure qui nous déconcerte car on ne sait jamais comment on va la gérer, qui nous oblige à regarder l'autre différemment.

H.fr : L'assistanat sexuel en faveur des personnes handicapées est au coeur des débats. Vous en êtes une fervente opposante ?

MP : Je dénonce l'assistanat sexuel en tant que femme et personne handicapée. A 95 % ce sont les hommes handicapés qui désirent avoir recours à ces services, que j'assimile à de la prostitution. Le vrai problème n'est pas là. Il faut, pour rencontrer quelqu'un, pouvoir sortir, au restaurant, chez des amis, en boite de nuit. En dépit du handicap, nous sommes des êtres pensants qui pouvons établir des relations avec les autres. Or, faute d'accessibilité, les personnes handicapées restent chez elles et y subissent une immense solitude.

H.fr : C'est d'ailleurs à ce sujet que vous étiez mardi 4 décembre 2012 au parlement européen de Bruxelles ?

MP : Entre autres. Je participais à un colloque qui avait pour thème « Ensemble pour une Europe libérée de la prostitution ». Près de 200 associations de lutte contre les violences faites aux femmes, issues de 25 Etats membres et 4 autres pays étaient présentes.

www.femmespourledire.asso.fr

A lire : "La violence envers les femmes : le non des femmes handicapées", édition L'Harmattan.


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