L'Apajh réagit au plan pauvreté : "Ils nous endorment !"

Les personnes handicapées ont-elles été suffisamment prises en compte dans le plan anti-pauvreté dévoilé par Emmanuel Macron ? Malgré de "bonnes nouvelles", Jean-Louis Garcia, président de l'Apajh, durcit le ton : "Les paroles, ça suffit !".

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H.fr : Emmanuel Macron a dévoilé son plan de lutte contre la pauvreté le 13 septembre 2018. Les titulaires de l'AAH vont pouvoir bénéficier de la CMU-c à compter du 1er novembre 2019 (article en lien ci-dessous). Une bonne nouvelle ?
Jean-Louis Garcia : A l'époque où Jean-François Chossy était député, et alors président du groupe handicap à l'Assemblée, sous le gouvernement Sarkozy, l'Apajh avait déposé avec lui une proposition de loi en ce sens. Les allocataires de l'AAH pouvaient déjà bénéficier de l'ACS (aide à la complémentaire santé) mise en place en 2005 mais avec des garanties nettement moins favorables. Le seuil pour prétendre à la CMU-C était juste au ras de l'AAH ; il ne fallait pas faire un grand effort ! C'est donc évidemment une très bonne nouvelle. Mais il y a une chose que le chef de l'Etat n'a pas mentionné dans son discours, c'est que les allocataires de l'AAH vivent toujours en dessous du seuil de pauvreté fixé à 1 026 euros en France, et le resteront même avec les deux revalorisations prévues, à 860 euros le 1er novembre 2018 et 900 le 1er novembre 2019. C'est pour cette raison que le mouvement Apajh insiste : « Les paroles ça suffit ! ». Ca ne bouge pas beaucoup pour les personnes handicapées et pas assez vite.

H.fr : Une autre annonce, c'est le projet de revenu universel d'activité. Va-t-il aussi concerner les allocataires de l'AAH ?
JLG : Tout d'abord, j'ai écouté le discours d'Emmanuel Macron : « Il faut travailler, moi je ne crois qu'au travail ». Or accrocher ce revenu universel, appelé « d'activité », au travail va à l'encontre de nos revendications car il y a des personnes en situation de  handicap qui ne travailleront jamais, et ce n'est pas parce qu'elles sont paresseuses ou qu'elles ne se lèvent pas tôt, c'est parce qu'elles n'ont pas le potentiel pour cela. Pour répondre à votre question, oui l'AAH est a priori concernée.

H.fr : Le gouvernement n'aurait donc pas prévu des exceptions pour les personnes qui ne sont pas en mesure de travailler ?
JLG : Il n'y a rien de clair pour le moment. C'est comme pour l'article 18 de la loi ELAN sur les logements accessibles dans la construction neuve ; nous avons vu Sophie Cluzel (secrétaire d'Etat au Handicap) il y a quelques jours et lorsqu'on lui demande de nous réexpliquer la différence entre adaptables et évolutifs, elle n'en est pas capable. On en a plein le dos d'écouter des fables et de voir des mesures qui vont à l'encontre des besoins du terrain. J'étais dans la Drôme mi-septembre où j'ai rencontré des parents à qui on a dit : « Vous n'avez pas d'AVS pour votre enfant alors il ne rentre pas à l'école ! ». Et, face à eux, des inspecteurs d'académie amorphes qui ne bougent pas ! Or le secrétariat d'Etat continue d'affirmer que tout le monde est mobilisé. Pourtant, trois semaines après la rentrée, certains gamins ne sont toujours pas scolarisés. Et la ministre nous explique : « Il faut que vous m'aidiez, n'inquiétez pas les familles, dites-leur qu'on règle les problèmes ». Mais ce n'est pas notre rôle ! Ministres et présidents associatifs n'ont pas la même responsabilité.

H.fr : En dehors de ces deux mesures qui concernent directement les personnes en situation de handicap, d'autres plus transversales pourraient-elles les impacter ? Si oui, cela vous parait-il intéressant que ces dispositions s'inscrivent dans le droit commun ?
JLG : Que ce soit dans le droit commun, c'est en effet notre demande. Pour toutes les organisations du champ du handicap, et l'Apajh en particulier, chaque fois qu'on peut passer une loi dans le droit commun, avec un éclairage à certains moments sur le handicap, c'est mieux que de faire des lois spécifiques. Mais je regrette néanmoins que la population en situation de handicap n'ait pas été associée à la réflexion menée en amont de ce plan pauvreté. Le gouvernement ne nous a pas sollicités. L'Apajh, qui est tout de même la deuxième association du champ du handicap, n'a même pas été conviée à assister au discours d'Emmanuel Macron au Musée de l'Homme à Paris le 13 septembre.

H.fr : Une CNH (conférence nationale du handicap) est-elle bientôt prévue pour donner la parole aux associations ?
JLG : On en parle mais personne ne sait sous quel format. Le secrétariat d'Etat explique qu'il prévoit une dizaine de forums sur les territoires où l'on va rassembler des « vrais gens ». C'est quoi les « vrais gens » ? Et les organisations nationales ? Réponse : « On vous rencontre déjà régulièrement ». Voilà comment le gouvernement imagine la prochaine CNH. Cela avait déjà été fait sous le président Hollande, en délocalisant des rencontres en province sur différents thèmes,  et en plus il y avait eu une conférence de clôture à l'Elysée. J'observe un rejet du milieu associatif et des corps intermédiaires qui est impressionnant.

H.fr : C'est la première fois que l'Apajh a la dent si dure…
JLG : Oui, lorsqu'il y a du bon, nous nous y accrochons, en essayant d'être moins virulent et plus constructif, nous ne sommes par exemple jamais sur les manifestations de rue, mais, depuis un an, disons-le clairement, on se moque de nous. J'ai suffisamment d'heures de vol, cela fait dix ans que je suis président national, j'ai vu la droite, j'ai vu la gauche, et maintenant, je vois ceux-là et, franchement, ils nous endorment, sans jamais nous prendre de face. Pour l'école, on nous dit : « Téléphonez au 800 machin chose (ndlr : 0 800 730 123 Cellule aide handicap école) et on va régler vos problèmes. » On colle des rustines et on réagit aux difficultés d'untel ou untel, c'est bien, mais ça ne règle pas une mauvaise rentrée. Le handicap, on connait, et on sait donc ce qui va dans le bon sens ou pas. Cette rentrée scolaire 2018, malgré les discours de satisfaction, n'est pas une bonne rentrée.

H.fr : Pour revenir au plan pauvreté, il y a eu pas mal de réactions d'associations qui ne sont pas issues du champ du handicap et semblaient plutôt satisfaites…
JLG : Les intentions sont bonnes mais tout passe par les moyens ; nous attendons de voir s'ils vont être mobilisés.

H.fr : Le budget de 8,5 milliards peut-il suffire à mettre en œuvre ce qui a été promis ?
JLG : Non. C'est mieux que rien mais c'est insuffisant. Sur quatre ans, ça fait 250 euros par personne. Et, en même temps, l'augmentation du coût de la vie, la reprise de l'inflation, la baisse des APL (allocation logement) vont venir atténuer les efforts engagés.

H.fr : En matière de pauvreté, l'abandon de la prise en compte des ressources du conjoint pour l'attribution de l'AAH reste une revendication majeure mais qui peine à faire écho…
JLG : En effet. On ne peut pas continuer à sanctionner le conjoint ni la personne en situation de handicap au motif qu'ils vivent ensemble. Et nous pensions vraiment qu'une ministre issue du champ du handicap serait attentive à cette question, une vraie combattante de la cause. Pour autant, qu'elle est la marge de manœuvre du secrétariat d'Etat au Handicap ? On a vu ce qui s'est passé avec Nicolas Hulot…

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