Ascenseurs à R+3 en cas de handicap : pas pour tous !

Pour faciliter l'accès au logement des personnes à mobilité réduite, le gouvernement annonce en septembre 2018 que les ascenseurs seront obligatoires à R+3. Un projet de décret, très restrictif, ternit cette annonce. Certains parlent "d'enfumage".

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Illustration article Ascenseurs à R+3 en cas de handicap : pas pour tous !

Les fuites révélées dans notre précédent article (en lien ci-dessous) sont confirmées. Dans un projet de décret dont handicap.fr a pu se procurer une copie, la promesse des ascenseurs à R+3 dans le neuf est ternie par des dispositions qui limitent son impact et pourraient même revenir sur l'acquis. On explique… Jusqu'à ce jour, la législation française rend obligatoire l'installation d'ascenseurs dans les bâtiments neufs seulement à R+4 (bâtiments à partir de 4 étages). Une réalité qui limite donc l'accès aux logements des personnes à mobilité réduite, le plus souvent cantonnées dans de trop rares appartements situés au rez-de-chaussée. Les associations militent depuis des années pour que ce seuil soit abaissé à R+3, comme cela est le cas dans la plupart des pays européens (et même à R+ 2 dans les pays nordiques selon une étude 2017 d'European Lift Association).

Une petite victoire…

Leurs revendications semblaient avoir été entendues puisque le 26 septembre 2018, Edouard Philippe en personne annonce que les ascenseurs seront « dans les mois qui viennent » obligatoires à R+3 (immeubles de trois étages au-dessus du RDC) dans la construction neuve (public et privé). Une mesure décidée dans un contexte « logement » plutôt agité puisque la loi ELAN prévoit que seuls 20% des logements construits dans le neuf doivent être accessibles, les 80 % restants étant « évolutifs ». Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au handicap, avait alors déclaré : « Nous rattrapons notre retard sur la conception universelle… La France se singularisait de manière défavorable (ndlr : au même titre que deux autres pays d'Europe rarement cités en exemple en termes d'accessibilité, la Hongrie et la Tchéquie), ce qui explique la sensibilité des associations sur ce sujet. ». Cette « petite victoire » avait été relayée par de nombreux medias…

… puis la douche froide

Or, deux mois plus tard, un projet de décret modifiant l'arrêté du 24 décembre 2015 relatif à l'accessibilité aux personnes handicapées des bâtiments d'habitation collectifs et des maisons individuelles lors de leurs construction (NOR : LOGL1833057A), vient définir explicitement les modalités de mises en œuvre de cette mesure. Et, là, c'est la douche froide ! Il est écrit dans son article 1er que l'obligation d'installation d'un ascenseur sera désormais à R+3. Promesse tenue ! Le hic, c'est qu'il précise également que cette obligation ne concerne que les « parties (ndlr : comprendre les cages d'escalier) de bâtiments d'habitation collectifs comportant plus de deux étages accueillant au moins douze logements situés en étages, au-dessus ou au-dessous du rez-de-chaussée ». Soit, si le compte est bon, ceux ayant au moins 4 appartements par niveau dans le cas d'un R+3. Pour les petits immeubles qui ne comportent, par exemple, que trois appartements par étage, pas d'obligation ! Or la réglementation actuelle qui impose, depuis 1985, l'ascenseur dès R+4 ne définit aucune condition de ce type. Dans l'absolu, l'ascenseur est donc obligatoire dans un immeuble constitué de quatre studios superposés hébergeant quatre habitants. Pourquoi deux poids deux mesures ?

Un contexte alarmant

Cet engagement, présenté comme une grande avancée par le gouvernement, ne portera donc, in fine, que sur une part dérisoire de logements. « Des immeubles R+3 avec quatre appartements ou plus par niveau, c'est très rare, à part dans les résidences étudiantes. Ils sont contents, ils vont pouvoir vieillir chez eux », ironise Christian François, qui planche sur l'accessibilité de l'habitat dans un cadre associatif depuis des années. A titre d'exemple, selon une enquête de l'Anil (Agence nationale pour l'information sur le logement) publiée en 2010, 63 % des immeubles collectifs en copropriété ont moins de dix logements et 22% de 10 à 19 ; sur le total, la taille moyenne est à peine de 11 logements. « On peut donc en conclure que plus de deux immeubles sur trois n'auront pas d'ascenseur si on 
en reste au critère unique du nombre de logements », poursuit-il. Dans les autres pays d'Europe, qui sont cités en exemple, aucun quota n'est fixé. On estime aujourd'hui que 60 % des immeubles construits dans le neuf en France ont trois étages et moins et ne sont donc pas soumis à l'obligation d'ascenseur. Sur ce total, entre 15 et 30 % en seraient, malgré tout, équipés. La promesse gouvernementale devait donc permettre d'atteindre 100 % et ainsi d'étoffer l'offre de logements pour les personnes handicapées ou âgées. Le contexte est en effet alarmant : selon une estimation réalisée à partir des données de l'INSEE, avec la recrudescence de construction de petits immeubles en France, deux sur trois sont livrés sans ascenseurs en 2012 alors que ce ratio n'était que d'un sur deux en 2001 !

Pas d'ascenseur à R+11 ?

Reste encore un dernier point, particulièrement fâcheux… Tel qu'il est rédigé, le nouveau décret, en imposant un quota à 12 logements et plus au-dessus du rez-de-chaussée à partir de R+3, pourrait même signer un retour en arrière. Par exemple, pour un immeuble de 5 étages n'ayant que deux logements par niveau, soit 10 au total, rien n'empêchera un promoteur de s'appuyer désormais sur ce texte pour faire l'économie d'un ascenseur. En poussant même le bouchon encore plus loin, un immeuble de 11 étages avec un seul appartement par niveau ne serait donc pas soumis à cette obligation. Absurde, vraiment ? Presque autant que les engagements d'un gouvernement qui peinent à prendre de la hauteur…

Le décret n'est pas encore finalisé, ce qui laisse encore aux associations une petite marge de manœuvre pour agir avant que le Premier ministre n'y appose sa signature…

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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