Notre système de santé : une "passion" à la française !

La Sécu a 70 ans. A cette occasion, le CRAPS* publie La protection sociale en 500 mots : dictionnaire passionné. Un cri d'amour à un système précieux mais menacé ; faut-il craindre pour sa santé ? Diagnostic de Jean-Claude Mallet, son président.

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*Club de réflexion sur l'avenir de la protection sociale.

Handicap.fr : Quand le CRAPS a-t-il vu le jour et pour quelles raisons ?
Jean-Claude Mallet : J'en ai été le président fondateur en 2009, avec Fabien Brisard (délégué général). Après une longue carrière (NDLR : ancien président de la caisse nationale d'assurance-maladie, secrétaire confédéral au sein du syndicat FO…), passionné par le dialogue social, nous avons donc songé à un lieu où toutes les parties pourraient se rencontrer et réfléchir sur cette question en toute liberté. Six ans après, ce Club de réflexion sur l'avenir de la protection sociale, reconnu d'intérêt général et public en janvier 2015, a dépassé toutes nos espérances.

H.fr : Qui rassemble-t-il ?
JCM : Tous les acteurs de la protection sociale : syndicats, employeurs, parlementaires, anciens ministres. Ces derniers ont le nez collé sur les échéances électorales et les lois de finance mais la protection sociale est quelque chose qui ne peut évoluer que dans le temps. On entend dire qu'il faut des réformes mais sans se donner le temps de la réflexion puis de l'action. Alors ce think-tank tente d'apporter modestement sa pierre à l'édifice ; c'est la seule structure de ce type sur ce sujet.

H.fr : Le 13 octobre 2015, le CRAPS publie La protection sociale en 500 mots : dictionnaire passionné. De quoi s'agit-il ?
JCM : C'est notre contribution aux 70 ans de la Sécurité sociale, fêtés cette année. Ce dictionnaire apporte des clés pour comprendre la protection sociale.

H.fr : Le sujet est-il si complexe ?
JCM : Si on prend l'exemple des ALD (Affection longue durée), elles représentent 60% des dépenses de l'assurance maladie mais les gens ne savent pas vraiment de quoi il s'agit. Cela donne le sentiment que la protection sociale appartient à quelques technocrates ; le CRAPS est dans une logique différente et souhaite que le grand public puisse s'approprier ce sujet.

H.fr : Par qui ce dico a-t-il été rédigé ?
JCM : Par un grand nombre d'acteurs de la protection sociale, trente-cinq contributeurs au total. Ce dictionnaire traduit leur reconnaissance envers les pères fondateurs de notre système, unique au monde, ainsi que leurs incertitudes quant à sa pérennité au sein d'une société à la recherche de toujours plus de sécurité pour ses membres. Après l'intro, dans laquelle on retrouve les grands évènements de la protection sociale, ses grandes figures et ses grands concepts, sept thèmes sont développés : aussi bien la maladie, le vieillissement, pas seulement en termes de retraite d'ailleurs mais aussi de conditions de vie, que les politiques de l'emploi et familiales.

H.fr : Et quelle place pour le handicap ?
JCM : Sur ces 500 mots, il y en a presque 70 qui se rapportent au handicap. Nous avons lancé plusieurs groupes de travail, dont un sur ce thème, qui a permis passer en revue de nombreux points : l'accès à la santé mais aussi l'accessibilité, les aidants familiaux, l'amendement Creton, le braille…

H.fr : Cet ouvrage est une première ?
JCM : Au risque d'être démenti, oui ! Je comprends d'ailleurs pourquoi car c'est un travail de titan, un an au total !

H.fr : Et pourquoi ce titre, « passionné » ?
JCM : Nous voulions, au départ, le mot « amoureux » mais les éditions Plon avaient déjà déposé le nom pour leur Dictionnaire amoureux.

H.fr : « Amour », « passion », à ce point ?
JCM : En tant que président de la CNAMTS (Caisse d'assurance maladie des travailleurs salariés) durant six ans, j'ai beaucoup voyagé à travers le monde pour observer les différents systèmes. Et je suis toujours ébahi de voir à quel point le modèle français est envié et admiré à l'étranger alors que je déplore qu'il soit à ce point critiqué en France. Voilà pourquoi on peut vraiment parler de passion ! Je pense que nous avons le meilleur système au monde, construit sur la solidarité, ce que les autres n'ont pas ou parfois ne veulent pas comme les Etats-Unis. Cela nous oblige également à le faire évoluer, pour le sauvegarder.

H.fr : Vous employez le terme « consumériste » pour définir la relation entre les Français et ce système…
JCM : Oui, le danger c'est que notre santé devienne un bien de consommation courante ; or la maîtrise des dépenses, il faut en parler. Prenons l'exemple des cures thermales ; quelle est la frontière entre la santé et le bien-être, même s'ils ne sont pas indépendants l'un de l'autre ? Autre exemple : qu'est-ce qui justifie qu'une personne qui s'est cassé le bras ait besoin d'une ambulance plutôt que d'un VSL (véhicule sanitaire léger) pour se rendre dans un centre de soins ? Sans parler de tous les médicaments jetés à la poubelle ou des actes redondants. En 1992, j'ai été l'un de ceux qui ont initié une maîtrise des dépenses de santé, et donc vivement critiqué. Vingt-trois ans plus tard, la loi de finance semble enfin se préoccuper de cette question.

H.fr : Avec la recrudescence de pathologies lourdes et chroniques qui touchent une majorité de Français au cours de leur vie et des traitements aux prix prohibitifs, comment le système peut-il rester viable ?
JCM : En effet, le vrai problème de la protection sociale, c'est de répondre aux évolutions de la technologie, de plus en plus coûteuse. Les progrès font qu'on vit de plus en plus longtemps. On considère qu'un enfant sur deux qui naîtra demain sera centenaire. La France est la première nation, avec le Japon, en termes d'espérance de vie. Alors, évidemment, une telle longévité coûte cher. Il faut donc trouver des financements plus importants, mais peut-être aussi, à un moment, faudra-t-il augmenter les cotisations sociales. Il n'y a pas de solution miracle et c'est l'objectif du CRAPS : amener toutes les parties à réfléchir.

H.fr : Il n'y a donc pas d'autres solutions pour compenser, notamment en réduisant certains coûts ?
JCM : Si, bien sûr, par exemple en matière d'hospitalisation. Alors qu'il y a encore quelques années, un patient restait 20 jours à l'hôpital, avec la chirurgie ambulatoire, il ressort le soir même. Les budgets économisés dans certains domaines peuvent être réinvestis dans d'autres. Et puis il y a des soins qui ne seront plus nécessaires car, en parallèle, certaines maladies auront disparu. On doit également faire de gros progrès en matière de télémédecine et de télésurveillance : cela ne signifie pas forcément faire des économies mais prendre en charge autrement.

H.fr : Cela vaut aussi dans le domaine du handicap ?
JCM : Evidemment. Il faut développer d'autres comportements, d'autres prises en charge. Le système actuel d'hospitalisation coûte très cher ; or il y a plein d'alternatives, bien plus viables.

H.fr : Vous avez donc bon espoir que l'on puisse sauver ce système précieux ?
JCM : Oui, c'est peut-être mon côté naïf mais j'y crois profondément. Et si nous devions supprimer du jour au lendemain la protection sociale, ce serait pour reconstruire aussitôt ce même système, à la française. Nous ne pouvons pas nous en passer. A ce titre, acceptons de supporter les louanges que nous font les autres pays. C'est aussi cela qui peut sauver notre Sécu, le financement par une clientèle étrangère venue chercher en France notre savoir-faire.

H.fr : Vous dites aussi que le vrai problème c'est celui du chômage…
JCM : Trois millions de chômeurs, ce sont trente milliards de cotisations en moins pour le régime général. Sans chômeurs, notre protection sociale, qui accuse aujourd'hui un déficit de 14 milliards, serait excédentaire. C'est donc bien évidemment sur ce terrain qu'il est urgent de lutter…

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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