Thaïlande: orchestre d'enfants aveugles, un meilleur karma?

Le handicap, une punition divine ? Sur une scène dressée au milieu d'un parc national de Thaïlande connu pour ses éléphants sauvages, ils sont une trentaine de jeunes aveugles à jouer de la musique, défiant les préjugés de la société bouddhiste

• Par

Voir la vidéo Titre de la vidéo

Par Ju Apilaporn

Composé de musiciens âgés de 8 à 15 ans, le Thai Blind Orchestra, unique en Thaïlande, offre une rare plate-forme d'expression à une trentaine de jeunes aveugles. Sous les arbres luxuriants du parc national de Khao Yai, dans le centre du pays, des bénévoles guident les musiciens sur la scène en plein air.

Un mauvais karma

En préambule du concert, le violoncelliste Joe dénonce la croyance traditionnelle dans le karma. « Si nous perdons quelque chose, il y a une compensation », explique-t-il. « Je ne peux pas voir, mais j'ai de bonnes oreilles...». Les croyances locales affirment que les personnes handicapées payent pour des méfaits commis dans une vie passée, leur « mauvais karma » leur valant d'être handicapés une fois réincarnés. « Au début, c'était vraiment difficile pour moi... Je voulais arrêter », explique ensuite à l'AFP Joe, un jeune violoncelliste de 14 ans qui a commencé à travailler l'instrument il y a neuf mois. « Mais quand j'ai réalisé que d'autres pouvaient le faire, j'ai fait un nouvel essai », ajoute-t-il, enthousiaste.

Une attirance des enfants pour la musique

La Thaïlande compte 1,8 million de personnes handicapées, dont 180 000 d'aveugles, pour un peu plus de 64 millions d'habitants. Les enfants du Thai Blind Orchestra, qui utilisent des instruments provenant de dons, ont été réunis par un musicien classique professionnel, Alongkot Chukaew, dont le métier est aujourd'hui de prendre soin des éléphants du parc national de Khao Yai. Alors que l'orchestre se produit aujourd'hui jusqu'à Bangkok, cette idée est née ici même, après la rencontre entre ces élèves aveugles et le maestro de 43 ans lors d'une sortie scolaire au parc national. Le musicien a noté l'attirance des enfants pour la musique, lors de ses intermèdes à la guitare, entre deux explications sur la faune et la flore du parc. Il a alors demandé à leurs professeurs de jouer de différents instruments face aux écoliers et d'encourager les jeunes à repérer le son qu'ils préféraient. Alongkot a ensuite eu l'idée de créer un système pour les aider à lire les partitions. « C'était difficile parce qu'on ne pouvait pas leur montrer où placer leurs doigts et comment tenir l'instrument », explique Alongkot. « Mais c'était amusant ».

Les plus pauvres des pauvres

Sur le papier, les personnes handicapées ont les mêmes droits d'après les lois thaïlandaises. Mais la réalité est bien différente. Pas d'accès facilité aux bus publics, pas de signal de voix pour traverser les rues, pas de rampes pour monter ou descendre du métro aérien... La Thaïlande est même à la traîne par rapport à ses voisins en matière d'équipements. En Asie du sud-est, l'idée bouddhiste du destin karmique empêche la mise en place d'une réelle politique progressiste et laisse beaucoup de personnes handicapées dans la pauvreté ou cachés par leurs familles honteuses. « Les personnes handicapées sont les plus pauvres des pauvres. Ceux qui sont déjà pauvres font face à des coûts de vie élevés, de sorte qu'ils sont encore plus pauvres », déplore Suporntum Mongkolsawadi, militant, amputé des deux jambes depuis l'enfance. « La croyance dans le karma fait que les personnes pensent qu'elles doivent accepter leur sort », ajoute l'homme de 48 ans, qui se réjouit toutefois de chaque victoire.

En route vers l'accessibilité ?

En janvier 2015, un tribunal a ordonné à l'opérateur du métro aérien de la ville de Bangkok d'installer d'ici un an des ascenseurs dans toutes les stations. Sur 23 stations, seules quatre sont pourvues d'ascenseur, un problème contre lequel Suporntum se bat depuis huit ans. Mais pour qu'un réel changement ait lieu en Thaïlande, il faudra d'abord effacer les idées préconçues sur le handicap, estime Rosalina Alexander McKay, militant de la Fondation Rainbow Room. Pour Rosalina, qui a une fille trisomique de sept ans, « il ne faut pas changer le système de croyance, mais changer la façon de regarder les choses ».

Partager sur :
  • LinkedIn
  • Twitter
  • Facebook
« Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© (2024) Agence France-Presse.Toutes les informations reproduites sur cette page sont protégées par des droits de propriété intellectuelle détenus par l'AFP. Par conséquent, aucune de ces informations ne peut être reproduite, modifiée, rediffusée, traduite, exploitée commercialement ou réutilisée de quelque manière que ce soit sans l'accord préalable écrit de l'AFP. L'AFP ne pourra être tenue pour responsable des délais, erreurs, omissions qui ne peuvent être exclus, ni des conséquences des actions ou transactions effectuées sur la base de ces informations ».
Commentaires0 Réagissez à cet article

Thèmes :

Rappel :

  • Merci de bien vouloir éviter les messages diffamatoires, insultants, tendancieux...
  • Pour les questions personnelles générales, prenez contact avec nos assistants
  • Avant d'être affiché, votre message devra être validé via un mail que vous recevrez.