Handicap et sexualité : abstinence ou maltraitance ?

Oser parler de la sexualité des personnes handicapées, c'est l'ambition du tout nouveau Centre Ressources Handicaps et Sexualités (CeRHeS). François Crochon, son chef de mission, dénonce le poids du silence qui confine à la maltraitance...

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Handicap.fr : Imaginer la sexualité des personnes handicapées, c'est dérangeant ?
François Crochon : Oui, encore bien trop souvent, malheureusement ! La sexualité est souvent assimilée à la peur et au danger alors que c'est avant tout un vecteur d'épanouissement et de bien-être. Il y a du travail pour amener les équipes d'encadrement à réfléchir dans ce sens. Mais il y a tant de paramètres qui rentrent en jeu : le droit, la morale et l'éthique !

H.fr : En septembre 2012, le CeRHeS a ouvert ses portes. Un espace ressource dédié à la sexualité des personnes handicapées ?
FC : Oui, c'est un groupement de coopération sociale ou médico-sociale qui réunit l'APF, l'AFM, le GIHP, Handicap international et qui a vocation à s'ouvrir rapidement à d'autres associations. Sa mission est de promouvoir la santé sexuelle pour les personnes en situation de handicap. Il est hébergé à Villeurbanne, dans la banlieue de Lyon. Nous avons conçu un blog ( www.cerhes.org ) et prévoyons l'ouverture d'un centre de documentation au deuxième semestre 2013. Nous souhaitons également mettre en place un réseau d'intervenants qualifiés sur l'ensemble du territoire français.

H.fr
: À qui s'adresse le CeRHeS ?
FC : Il est ouvert à tous, y compris les familles, car les personnes handicapées ont un défaut d'informations dans ce domaine et trop peu d'espaces de paroles. Mais, pour le moment, ce sont surtout des professionnels qui nous contactent. Ils réclament des interventions au sein de leurs établissements pour former leur personnel sur cette question. Nous proposons des formations pour l'animation de groupes d'expression autour de la vie affective et sexuelle (à Lyon au 1er trimestre 2013 et à Paris au 4ème trimestre 2013).

H.fr : Vous en avez pris la direction. Pour quelle raison ?
FC : Psychomotricien à l'origine, je suis devenu sexologue clinicien. J'ai travaillé dans le service AVAS, initié par Handicap International, jusqu'à sa fermeture en 2009, après dix ans d'existence. Le CeRHeS est un peu son prolongement...

H.fr : Pourquoi avoir choisi de devenir sexologue ?
FC : J'ai travaillé dans de nombreux établissements et institutions pour personnes handicapées, et leur sexualité baigne dans un silence assourdissant. C'est un sujet éminemment politique mais on a peur de l'aborder. Il en va d'ailleurs de même pour les personnes âgées. On n'est plus dans le champ de la frustration mais dans celui de la privation. Ces questions concernent tout le monde, mais alors qu'un valide peut « transgresser », c'est chose impossible pour un résident qui n'a aucun espace de liberté et d'échange. Ça peut vraiment faire des ravages. Le plus souvent, on lui répond : « Tu ne peux pas ! » C'est une mutilation de la personne, à bien des niveaux.

H.fr : Vous considérez qu'il y a un lien étroit entre la santé physique et psychique ?
FC : Oui, et cette abstinence peut devenir une véritable maltraitance. Il est inacceptable de prendre des décisions à la place de l'autre. La sexualité clandestine accroît le risque de violence sexuelle, et là je parle bien des violences sexuelles qui sont également le fait des personnes handicapées car elles n'en sont pas toujours victimes. Parfois, on applique la loi du silence, on négocie des arrangements à l'amiable... Comme chacun d'entre nous, la personne en situation de handicap a des droits, mais également des devoirs. En reconnaissant la dimension affective et sexuelle comme un élément fondamental, il s'agit avant tout d'associer pleinement la personne handicapée pour lui donner les moyens de son propre développement et de son autonomie, en adoptant des conduites responsables en conscience des risques et des singularités liés à sa situation de handicap.

H.fr : Rien ne change donc dans ce domaine ? Et la loi de 2005, qu'en dit-elle ?
FC : Si, bien sûr. Le tabou commence à se fissurer. Les avancées de la loi de 2005 ont permis de booster le regard sur les personnes handicapées en ce qui concerne le champ affectif et sexuel. Le mot « sexe » n'est pas explicitement cité dans la loi mais il est dit qu'on doit désormais associer la personne à toutes les actions qui la concernent. Le projet de vie, porté par les MDPH, raisonne en termes de compensation, et cette question n'est pourtant jamais abordée. Alors qu'on pourrait, là aussi, proposer des aides techniques et humaines.

H.fr : Et à quoi ressembleraient ces aides ?
FC : Les ergothérapeutes peuvent installer dans le lit du matériel adapté comme des jouets sexuels. Ils doivent accueillir sans critique ni jugement le fait qu'une personne achète des sex-toys, voire demande de l'aide pour les installer. Et cela avant même de penser à la prostitution ou à l'acte sexuel rémunéré. Evidemment, poser un sex-toy engage les deux personnes à un autre niveau ! Globalement, cela pose la question du plaisir qui n'est presque jamais pris en compte. Le massage est pourtant un biais intéressant. C'est une première étape facile à mettre en œuvre. Et pas forcément par le personnel de l'établissement. Le corps de la personne handicapée doit passer du statut d'objet de soin à celui de sujet de désir.

H.fr : Mais quand il n'y a pas de solution pratique, que faire ?
FC : Il faut alors prendre soin d'entendre sa parole, lui permettre de développer sa pensée, de dire ses besoins et ses aspirations, d'échanger entre pairs. Le silence est mortifère. Mais encore faut-il que, en face de lui, il n'est pas madame Contraception ou monsieur Préservatif ! Face à l'impossibilité de passer à l'acte, le fait de parler peut être salvateur. Libérer la parole, c'est libérer la pensée. Le premier organe sexuel, c'est le cerveau. Vient ensuite la peau et, seulement après, les organes génitaux. On peut même imaginer, pour ceux qui n'ont pas accès au langage verbal, des pictogrammes dédiés à la vie affective et sexuelle. C'est encore une fois une question de santé globale !

H.fr : J'ai rencontré des travailleuses d'ESAT en logements collectifs à qui l'on interdit de faire venir leur petit ami dans leur chambre. L'une d'elle est pourtant en couple depuis des années...
FC : Mais c'est carrément hors-la-loi. Un abus de droit ! Au nom de quoi leur interdit-on une vie sexuelle et sentimentale ? On ferait mieux de les accompagner dans leur projet. La question du couple au sein des institutions pose de sérieux problèmes. Les règlements exigent, des personnes handicapées, quelque chose de l'ordre de l'idéal, de l'impossible. Et puis comment peut-on dire à une personne IMC de 45 ans qu'on doit remplacer son lit à deux places par un lit médicalisé à une place ? Que se passe-t-il si elle rencontre quelqu'un ? Il existe des lits à deux places mais qui ne sont pas remboursés par la Sécu. Finalement, un autre obstacle majeur, c'est l'argent !

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Tél. : 09 53 07 34 82 ou 06 52 22 16 01

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