Une grande école ouvre ses portes au handicap: à suivre !

Les grandes écoles font-elles toute leur place aux étudiants handicapés ? UniLaSalle, école d'ingénieur en sciences de la terre et environnement, fait figure de pionnier. Sa mission handicap propose un accompagnement sur-mesure. Exemple à suivre ?

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Handicap.fr : UniLaSalle, la grande école spécialiste des sciences de la terre, accueille une centaine d'étudiants en situation de handicap. Sur combien ?
Xavier Quernin : Au total, 2 800, sur les trois campus, à Beauvais, Rennes et Rouen.

H.fr : Ça ne fait que 3.5 %. Un chiffre satisfaisant selon vous ?
XQ : Lorsque j'ai pris mon poste, il y a sept ans, il n'y avait que sept étudiants en situation de handicap pour 1 750. Le ratio a donc bien augmenté, en constante évolution. La dynamique inclusive de notre école commence vraiment à être reconnue et les candidats en situation de handicap n'hésitent pas à parler de leur handicap lorsqu'ils viennent nous rencontrer à l'occasion de journées portes-ouvertes ou lors des entretiens. Ils savent que leur situation ne sera pas un frein et qu'ils auront droit aux aménagements dont ils ont besoin. On sent les parents particulièrement soulagés de voir une équipe, notamment pédagogique, engagée ; c'est vraiment un investissement global qui ne se limite pas à la seule mission handicap.

H.fr : De qui est venue cette impulsion ? Quelqu'un concerné lui-même par le handicap de son enfant, comme c'est souvent le cas ?
XQ : Non, absolument pas. Il y a, d'abord, les obligations légales. Il y a ensuite les valeurs « lasalliennes » qui ont toujours défendu un enseignement accessible à tous. Le troisième point, c'est le soutien de Total qui, il y a huit ans, est venu nous voir parce que le groupe peinait à recruter des candidats en situation de handicap de haute compétence, notamment pour sa filière géologie. A l'époque, nous faisions un peu au cas par cas, et cette opportunité a lancé notre dynamique. Total a soutenu durant les cinq premières années la création de notre mission handicap. Aujourd'hui, six entreprises partenaires* ont pris le relais.

H.fr : A quoi sert ce soutien financier d'entreprises privées ?
XQ : A financer les aménagements pour nos étudiants handicapés car nous avons très peu de subventions publiques : parmi nos deux ministères de tutelle, seul celui l'Agriculture nous aide. Avec les entreprises, c'est un partenariat gagnant-gagnant : elles s'engagent à soutenir la recherche de stages et d'apprentissages des étudiants en situation de handicap.

H.fr : N'est-ce pas surprenant que les entreprises privées soient obligées de suppléer ce qui devrait être fait par les pouvoirs publics ?
XQ : D'une manière générale, les grandes écoles ont très peu de subventions de la part de leur ministère de tutelle pour le financement de leur mission handicap, contrairement aux universités qui sont soutenues par celui de l'Enseignement supérieur.

H.fr : Vous n'avez donc jamais d'aide de la part des deux fonds (Fiphfp et Agefiph) dédiés à l'emploi des travailleurs handicapés ?
XQ : Non pas dans le cadre de la scolarité, il faut qu'il y ait une mise en situation professionnelle via un contrat en alternance ou un stage. Par exemple, pour une étudiante sourde en apprentissage chez Nestlé, tout l'interprétariat en langue des signes de sa formation a été financé par l'Agefiph.

H.fr : La scolarité est payante ?
XQ : Oui mais nous avons pas mal d'élèves boursiers, à hauteur de 20 %.

H.fr : Certains handicaps coûtent cher et certains parents n'ont certainement pas les moyens d'assurer, en plus, les frais de scolarité…
XQ : Je n'ai  pas eu de demande particulière à ce sujet. Je sais que certaines grandes écoles offrent les études à leurs étudiants handicapés, ce qui n'est pas notre cas, d'autant que nous ne sommes pas favorables à ce qui pourrait être perçu comme une discrimination positive. Par contre, nous assumons tout le surcoût engendré par le handicap.

H.fr : Au-delà des obligations légales, par quoi est motivée votre envie, visiblement manifeste, d'être handi-accueillant ? En quoi l'accueil d'étudiants handicapés a pu être bénéfique ?
XQ : Déjà, d'un point de vue personnel, en tant qu'éducateur spécialisé de formation, je trouve il essentiel que chacun puisse accéder au savoir et à la formation professionnelle qu'il souhaite. Et, plus globalement, ce qui est intéressant, c'est la mobilisation des équipes pédagogiques autour de ce « challenge ».

H.fr : Un exemple concret ?
XQ : Oui, celui d'une étudiante sourde bientôt diplômée. Nous n'avons pas réussi à trouver un interprète en langue des signes suffisamment calé en maths. Le professeur, en cours magistral devant 150 élèves, s'est posé la question : comment écrire au tableau tout en étant face à la salle pour que cette étudiante puisse lire sur ses lèvres. Elle a alors utilisé une tablette numérique qui projetait ce qu'elle écrivait, ce qui lui permettait de rester face à elle. Il y a chez mes collègues cette volonté de trouver les bonnes astuces.

H.fr : Ce sont des élèves qui réussissent ?
XQ : Oui, bien sûr, avec parfois des particularités cognitives très intéressantes qui permettent d'avoir de nouvelles dynamiques. Parmi les cent que j'accompagne, une cinquantaine a des troubles « dys ». Parce que ces profils ont besoin de mettre en relation le concret et l'abstrait, ils sont nombreux dans les filières en lien avec les sciences de la terre et l'environnement, notamment en agronomie et en géosciences.

H.fr : Cette dynamique a-t-elle pour effet d'impacter aussi les autres étudiants ?
XQ : On constate de beaux élans , notamment au sein des associations étudiantes qui, peu à peu, nomment un référent handicap et pensent l'accessibilité de tous leurs évènements. Sur notre campus de Beauvais, la configuration est un peu à l'américaine, ambiance village, propice à l'engagement associatif. Nous voulons donc que la vie étudiante soit rendue accessible.

H.fr : Certaines se sont vraiment saisies du sujet…
XQ : Oui, je pense à une asso qui s'appelle Vach'Expo -parce qu'on a aussi soixante vaches laitières-, et qui, depuis quatre ans, tous les quinze jours, reçoit un groupe d'enfants sourds via leur programme Handi-Ferme. Nous n'avons rien imposé, ils ont vu que l'école était engagée, croisent des camarades sourds et malentendants et cela devient naturel . Le championnat des Ovalies UniLaSalle, qui propose chaque année des initiations au rugby-fauteuil, avait décidé l'an dernier de valoriser son engagement inclusif et solidaire en demandant à Michaël Jeremiasz de parrainer sa 24ème édition.

H.fr : Votre campus de 1 200 chambres propose-t-il des logements adaptés ?
XQ : Oui, qui ne se contentent pas de répondre aux « normes » et sont réaménagés et équipés sur mesure selon les besoins de chaque étudiant, par exemple la pose d'une sonnette lumineuse, d'un oreiller vibrant ou d'un siège de douche.

H.fr : Menez-vous des actions en faveur des étudiants qui souhaitent partir à l'étranger ?
XQ : Oui, la mobilité internationale est un enjeu majeur. Face aux freins encore nombreux, nous engageons toutes les démarches pour permettre à nos étudiants handicapés d'aller au bout de leur projet, y compris sur des aspects très pratiques, par exemple avoir le droit de prendre un traitement en bagage cabine avec des pains de glace réfrigérés alors que c'est interdit, trouver le bon médecin sur place… Je refuse qu'un étudiant choisisse sa destination par rapport à son handicap. Même s'il faut y passer des mois, nous trouvons la solution. Notre credo c'est qu'aucun domaine de la vie de l'étudiant ne doit être freiné par la maladie ou le handicap.

H.fr : Vous représentez également la Conférence des grandes écoles (CGE) au sein du CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées)… Un statut international fait partie des chantiers en cours ?
XQ : Oui, depuis un an, avec quelques homologues de grandes écoles, nous travaillons sur un plaidoyer en faveur de la création d'un statut international d'étudiant-e en situation de handicap. Nous sommes allés jusqu'à l'Onu pour le défendre mais, en tant qu'ONG (organisation non gouvernementale), nous ne pouvons aller plus loin et devons mener des actions de lobbying afin d'inciter un Etat membre à le porter. Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap, nous a annoncé en mai 2018 que la France s'était saisie du sujet, et les choses avancent.

H.fr : D'autres pistes à venir ?  
XQ : Oui, une deuxième charte handicap devrait être signée d'ici fin 2018 dans le cadre de la Conférence des grandes écoles, avec des axes nouveaux sur l'international, l'accueil des sportifs de haut-niveau et la vie étudiante. La première était très orientée scolarité, la seconde ouvre d'autres horizons. Cette Conférence prépare par ailleurs un baromètre inédit qui fera le bilan de la situation des étudiants handicapés dans les grandes écoles, un questionnaire ayant été envoyé à chacune d'elles. Il devrait être rendu public avant fin 2018. Ce que l'on observe, c'est un nombre croissant de candidats et donc d'étudiants handicapés dans ces écoles. Pour certaines, nous en sommes à la prise de conscience, pour d'autres, il y a un engagement réel des référents handicap. Nous nous donnons des conseils, échangeons nos bonnes pratiques. Il y a une belle dynamique globale qui porte vraiment ses fruits…

*Nestlé France, Mutualité Sociale Agricole, Ginger CEPTP, IFP Energies Nouvelles, Néovia, Silliker Mérieux NutriSciences

© UniLaSalle + La Salle France

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