Handicap.fr : 20 milliards d'euros pour les personnes handicapées en 2013. Vous semblez satisfaite mais, pour les personnes concernées, est-ce suffisant ?
Marie-Arlette Carlotti : Dans une période de contrainte où le gouvernement met en œuvre le redressement des comptes publics, le budget dédié au handicap ne n'en sort pas si mal. Je suis plutôt satisfaite même si, évidemment, j'aurais aimé aller plus loin. Sans compter tous les budgets transversaux, sur le logement, l'éducation, l'accessibilité... En matière d'inclusion, tous les ministres devront mettre la main à la pâte. C'est ce que nous a rappelé Jean-Marc Ayrault début septembre...
H.fr : Avec un chômage en hausse perpétuelle, quels espoirs pour les travailleurs handicapés ?
MAC : Il est vrai qu'en période de montée du chômage, on constate un recul de l'emploi des personnes handicapées. Je mène un vaste travail avec Michel Sapin pour maintenir l'élan engagé afin de leur permettre d'accéder à la formation et à l'emploi, notamment en s'assurant que toutes les entreprises respecteront le quota d'embauche de 6 % minimum. Nous allons lancer une négociation interprofessionnelle au premier semestre 2013. Il y a évidemment beaucoup à faire... Il n'est pas normal que la France ne compte que 11 000 étudiants en situation de handicap ou que des personnes qui désirent travailler doivent se contenter de l'AAH (Allocation adulte handicapé).
H.fr : En matière d'accessibilité des établissements recevant du public, la publication récente d'une étude qui affirme que l'échéance de 2015 ne sera pas respectée suscite de légitimes réactions. Que comptez-vous faire à ce sujet ?
MAC : La sénatrice Claire-Lise Campion a été chargée d'analyser cette étude. C'est une femme obstinée, qui va au bout des choses. Elle a trois mois pour discuter, négocier et rendre ses conclusions. Nous verrons alors comment tenir le cap car il est évident qu'il y a eu un immense laisser-aller dans ce domaine. Mais, je le répète, pas question de déroger !
H.fr : Mais ce rapport existait depuis tout de même depuis un an...
MAC : Que pouvais-je y faire ? Je me suis mise à « crier » lorsque je l'ai eu entre les mains. Il avait été commandé par le gouvernement précédent, écrit en octobre 2011 et tenu secret. Mais il reste encore deux ans, et nous allons faire des choses. Tous les ministères sont concernés ; je ne suis pas seule au milieu d'un univers hostile. Nous allons agir ensemble.
H.fr : J'ai bien peur que le dossier de l'AAH (Allocation adulte handicapé) fasse aussi grincer quelques dents... Elle reste encore en dessous du seuil de pauvreté !
MAC : Le budget de l'AAH atteint 8.2 milliards d'euros en 2013, pour 1.2 millions de bénéficiaires. Il s'élèvera probablement à 9 milliards dans un an. Il ne cesse de progresser... J'ai bien conscience que, ramené à chaque bénéficiaire, le montant, 776.59 euros par mois, reste encore trop faible, malgré sa revalorisation depuis 5 ans. Mais, selon les contraintes imposées par la loi de finances, nous ne pourrons le réévaluer qu'au 1er septembre 2013. Je sais que je vais faire des mécontents. Mais ce que nous souhaitons avant tout, c'est permettre aux bénéficiaires de sortir de l'AAH, en favorisant notamment leur accès à l'emploi, que ce soit en milieu adapté ou ordinaire. Avec une réelle volonté d'inscrire le travail dans le parcours de vie de toute personne en situation de handicap.
H.fr : Le « gros morceau », c'est aussi l'accompagnement des élèves handicapés en milieu ordinaire ?
MAC : Oui, évidemment. Mais sur cette question, j'ai des alliés. Au sein d'un groupe de travail dédié, je collabore avec Vincent Peillon, ministre de l'Education nationale, et George Pau-Langevin, ministre déléguée en charge de la réussite éducative, avec l'ambition d'œuvrer pleinement pour la Refondation de l'école qu'ils viennent d'annoncer.
H.fr : Vous étiez aux Jeux paralympiques de Londres ? Qu'est-ce que cette expérience a changé ?
MAC : Je n'ai pas vu, là-bas, des personnes handicapées mais des sportifs de très haut niveau. J'en suis revenue avec un tout autre état d'esprit. Alors, on va se servir de ce qui s'est passé à Londres pour permettre l'accès au sport au plus grand nombre, en favorisant la pratique jusque dans les petits clubs de quartier.
H.fr : Quelle sera la tessiture de votre mandature, son empreinte ?
MAC : Quelque chose qui n'est pas inscrit dans une loi de finances : changer le regard sur les personnes handicapées. Je veux une société où l'on respecte à la fois les différences en ayant conscience de ce qui nous unit. Je souhaite que chacun de nous finisse par percevoir leur richesse, et que l'on respecte leur parcours de vie.
H.fr : Dans l'absolu, c'est ce que nous souhaitons tous mais, dans les faits, ce regard change-t-il vraiment ?
MAC : Oui, c'est certain. La loi handicap de 2005 y est pour beaucoup. Elle a fait évoluer l'image de la personne handicapée auprès du grand public. On parle plus librement du handicap, il a cessé d'être invisible. Il y a l'impact des films aussi, de la télé... J'ai vu récemment une toute nouvelle série : Caïn. C'est un flic, beau, méchant et misanthrope. Comme tout le monde... et en fauteuil-roulant ! C'est une symbolique très forte.
H.fr : Et ce Caïn est aussi Marseillais... Votre ville ! Etre handicapé à Marseille, ça ressemble à quoi ?
MAC : Je vais être franche. Dans certains domaines, il y a de belles choses, de belles associations, une MDPH impliquée. Mais là où je me montre très négative, c'est dans le domaine de l'accessibilité, à la fois sur la voie publique et dans les établissements. J'ai peur qu'elle ne figure parmi les plus mauvais élèves dans nos grandes villes. En 2013, Marseille sera la Capitale européenne de la culture. Alors, évidemment, il y a un problème ! Il va falloir remédier à cela, à la fois pour permettre l'accessibilité du public mais aussi pour favoriser la pleine expression des artistes handicapés. Gommer les disparités territoriales, cela fait aussi partie de mes engagements.
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Politique du handicap, pas question de déroger !
Appliquer pleinement la loi handicap de 2005 ! La tâche est immense pour Marie-Arlette Carlotti tant les retards sont importants. La détermination affichée par la nouvelle ministre suffira-t-elle à relever le défi ?