Handicap.fr : Quelle est la mission de votre association ?
Laurent de Cherisey : Un jour, un de ceux que l'on aime est accidenté, et la vie bascule. Jusque dans les années 80, on devait faire face à une douleur fulgurante, celle du décès. Mais, aujourd'hui, grâce à l'intervention du Samu, 10 000 personnes restent en vie chaque année. Quand elles se réveillent, après six mois de coma, avec des lésions au cerveau, elles posent parfois cette question : « Pourquoi m'avez-vous gardé en vie ? ». Cela fait écho à une question plus profonde : « Quel est le sens de la vie ? N'a-t-elle d'intérêt que lorsque je suis dans la performance ? » Si oui, en effet, il valait mieux débrancher ! Mais parfois, cette nouvelle réalité nous amène à prendre un tout autre chemin, celui qu'on apprend sur les genoux de sa mère : le droit d'être aimé intégralement dans sa fragilité. Même avec un corps cassé, on peut retrouver goût à la vie et au bonheur dans cette relation faite d'amitié et de simplicité.
H.fr : Vous étiez un chef d'entreprise. A quelle occasion votre vie a-t-elle a changé ?
LDC : Dans ma famille, le handicap était une réalité qu'on connaissait peu. Et puis, en 1983, ma sœur, Cécile, a eu un accident de voiture. Elle avait 17 ans. Elle a gardé de graves lésions au cerveau qui l'obligent à se déplacer en fauteuil roulant et provoquent des troubles psychiques. Notre mère a constaté combien elle était heureuse au contact des autres. Elle a fini par trouver un local et fondé une association « Loisirs et progrès ». Cécile et ses amis rêvaient d'un lieu où ils pourraient mener une vie communautaire. Je travaillais dans la pub, près des Champs-Elysées, 60 collaborateurs... Mais fin 2005, j'ai décidé de m'engager pour la création de ces lieux de vie. Je suis alors entré en contact avec l'association Simon de Cyrène, née en 1996, qui partageait ce même objectif sans avoir encore pu le concrétiser.
H.fr : A quoi ressemblent ces lieux d'accueil ?
LDC : Nous développons des lieux de vie communautaires entre personnes valides et handicapées en cours de vie (trauma crâniens, AVC, lésions cérébrales...). Une première communauté a ouvert en 2009 à Vanves (92). Une seconde ouvrira à Angers en 2013. D'autres sont en projet, à Rungis, sur l'île de Ré, Nantes, Bordeaux...
H.fr : C'est une manière innovante pour combattre l'isolement qui affecte si souvent les personnes handicapées ?
LDC : Oui, les personnes handicapées nous disent souvent que c'est en effet cette solitude et cet isolement qui sont les plus douloureux. Alors nous leur proposons un « vivre chez soi » sans être seuls. Au sein de ces « maisons partagées » entre personnes valides et handicapées. Chacun dispose de son propre studio aménagé dans de grands appartements ou maisons. Notre force, c'est le principe du binôme dans l'esprit des communautés de L'Arche de Jean Vanier : un résident et un assistant qui l'accompagne au quotidien (préparation des repas, déplacements, loisirs, vacances...) et agit sous la houlette d'un responsable de foyer.
H.fr : Qui sont ces assistants ?
LDC : Certains sont salariés, d'autres volontaires du Service civique, d'autres bénévoles. Tous s'engagent dans ce projet de « vivre ensemble ». La vie ne prend son sens que dans une relation gratuite à l'autre. Or, depuis qu'ils sont handicapés, certains nous disent que leur plus grande souffrance, ce n'est pas le handicap mais le fait que les seuls gens qui viennent les voir sont payés pour cela. Seule la gratuité dans la relation avec la personne handicapée peut lui rendre sa dignité. Cette relation est à double sens et elle favorise l'épanouissement de la personne handicapée et de l'assistant, à l'image de Philippe et d'Abdel dans Intouchables.
H.fr : Mais comment arrivez-vous à financer de telles initiatives ?
LDC : Grâce en partie au succès du film Intouchables puisque notre association perçoit 5 % des bénéfices de la part des producteurs du film (500 000 euros au total !). C'est d'ailleurs Philippe Pozzo di Borgo, qui a inspiré ce film, qui est le président d'honneur de notre association. Le plus incroyable dans cette aventure, ce n'est pas le succès phénoménal du film mais sa justesse. Il raconte le cœur de notre projet sans le dénaturer, sans faire pleurer dans les chaumières. Mais nous sommes encore loin du compte pour boucler le budget alors nous faisons appel au mécénat et à la générosité publique.
H.fr : Vous employez le même terme « communauté » que L'Arche ou Emmaüs...
LDC : Simon de Cyrène est un peu le petit frère de l'Arche. Cette dernière nous a d'ailleurs accompagnés depuis le début et nous avons signé une convention de partenariat en 2011. Tout comme L'Arche d'ailleurs, nous proposons à des jeunes de se porter volontaires pour accompagner nos résidents. L'une d'entre eux nous a dit : « J'ai découvert un lieu où j'apprends à être et non plus à agir sans cesse... Une place où je me sens bien, ni à l'étroit, ni perdue. » Ils reçoivent évidemment sur place la formation nécessaire à la bonne prise en charge des personnes. Cet engagement « donnant-donnant » favorisera, à leur sortie, leur épanouissement social, professionnel et humain. Mais nous recrutons également des salariés.
H.fr : Pourquoi ce nom ? Qui est Simon de Cyrène ?
LDC : C'est le Romain qui a été réquisitionné pour aider le Christ à porter sa croix. Il ne l'a pas choisi, pas plus que les personnes victimes de lésions cérébrales n'ont choisi leur sort. Et pourtant, en acceptant cette épreuve, il a rencontré la source de l'amour. Ce très beau symbole collait parfaitement aux ambitions de notre association !
H.fr : Il y a donc une connotation religieuse derrière votre action ?
LDC : Il y a en effet une dimension spirituelle dans notre accompagnement, pour les résidents qui le souhaitent. L'association a notamment été initiée par Hélène Mathieu, fondatrice de l'OCH (Office chrétien des personnes handicapées).
H.fr : Tout ceci ne concerne que quelques personnes. Mais comment convaincre le plus grand nombre ?
LDC : Je me plais à croire qu'il y a une « écologie humaine ». Pas du militantisme mais un vrai projet de société. Si nous mettons au cœur de notre société les personnes les plus fragiles, nous nous permettons alors d'accepter nos propres fragilités. Condition nécessaire pour une relation vraie et féconde. Sans pour autant idéaliser la fragilité ! Et cela ne concerne évidemment pas seulement les personnes handicapées. On compte dix millions de mal travaillants, huit millions de mal logés. Les fragilités sont partout. Il faut tomber le masque et ne plus avoir peur... Il y a sept milliards d'humains, de différences, de modes d'emploi... Ensemble, nous pouvons faire la fête.
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Simon de Cyrène : des lieux de vie solidaires
Accompagner la personne cérébrolésée en lui proposant de vivre dans un lieu de vie amical et solidaire, telle est l'ambition de la première communauté Simon de Cyrène, née en 2009. D'autres sont en projet. Dialogue avec Laurent de Cherisey