« C'est une consécration, bien sûr. On aurait même jamais imaginé être là », confie Madeleine Louarn, qui travaille, depuis 1994, avec des personnes en situation de handicap mental au sein de l'atelier Catalyse aux Genêts d'Or, un ESAT situé à Morlaix. À l'occasion du 70e Festival de théâtre d'Avignon, son spectacle Ludwig, un roi sur la lune écrit par Frédéric Vossier sera présenté du 8 au 13 juillet 2016 au théâtre l'Autre scène.
« Jouer avec une autre partition »
À l'origine éducatrice, Madeleine Louarn fait connaissance avec le théâtre à travers les ateliers culturels organisés dans les institutions, avec une visée thérapeutique. Au bout de 7 ans de ce travail, elle change de métier et fonde sa compagnie Entresort. « Quand on est sur le terrain social, il y a toujours ce glissement qui fait que vous êtes censés faire du théâtre pour autre chose, pour que ça exprime des difficultés, que ça vous permette d'aller un peu mieux, il y a des volontés sociales et thérapeutiques », explique la Bretonne. Pour moi cela n'a jamais été le but. J'ai toujours pensé que toutes les personnes handicapées avaient une part entière dans le théâtre ».
Convaincue que le théâtre appartient à tout le monde, Madeleine Louarn poursuit deux voies parallèles : un travail théâtral « classique » avec sa compagnie Entresort et une collaboration assidue avec Catalyse, qui aboutira à une quinzaine de pièces avec des comédiens handicapés. « C'est ce travail qui est le plus repéré parce qu'il est le plus singulier », reconnaît-elle. Les acteurs handicapés apportent un « décalage » à l'interprétation classique. « C'est comme si on avait une autre musicalité et une autre partition ».
Des acteurs uniques
Bousculé dans sa perception du théâtre, le spectateur redouble d'attention. L'imperfection de la diction, la présence de corps différents, marqués par le handicap, font de Jean-Claude, Christelle ou Guillaume des acteurs exemplaires et uniques. Leur performance est généralement très bien reçue par le public : « il y a réellement une très grande écoute, le spectateur est particulièrement touché parce qu'il est pris à un endroit inconnu pour lui. Cela produit un effet émotionnel assez fort », témoigne la metteuse en scène.
Le public voit autant l'acteur, avec sa personnalité singulière, que le personnage. « On voit le comédien aux prises avec ses avatars, on repère également les ficelles du jeu. C'est une sorte de genèse du théâtre », explique-t-elle. Un souffleur rappelle parfois leur texte, « un artifice qui n'existe qu'au théâtre et que je trouve magnifique », selon l'ancienne éducatrice.
Interpréter la folie d'un roi
Olivier Py, directeur du Festival d'Avignon, a décidé d'inviter la troupe après l'avoir vue dans Les Oiseaux de Frédéric Vossier d'après Aristophane à Vedène en 2015. Pour la 70e édition du festival, Frédéric Vossier et Madeleine Louarn ont décidé de travailler sur la figure de Louis II de Bavière, un roi paranoïaque et excentrique. « Il y a trois passions essentielles chez Louis II : la musique de Wagner, les châteaux - et tout ce qui est de l'ordre de la beauté - et les jeunes hommes, la troisième étant tout à fait inavouée », précise Madeleine Louarn. Très importante dans la pièce, la musique signée Rodolphe Burger, fondateur du groupe rock Kat Onoma, est interprétée sur le plateau. Deux danseurs, le chorégraphe Loïc Touzet et Agnieszka Ryszkiewicz ont travaillé avec les acteurs de Catalyse. Le choix de la figure du roi romantique n'est pas anodin: Ludwig, destitué pour être interné, pose la question du normal et de l'anormal, comme le font les acteurs choisis pour cette pièce.
© Christian Berthelot / création Ludwig, un roi sur la Lune
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