Par Hélène Duvigneau
"Quand Charlotte est arrivée dans notre vie, et qu'on a découvert son handicap, on a reçu une grosse gifle", témoigne Isabelle Taymans-Grassin dans son ouvrage intitulé D'étranges coïncidences (Cherche Midi), à paraître le 18 février 2020. Un bouleversement d'autant plus grand qu'aucune des trois échographies prénatales n'avait permis de détecter l'agénésie de sa fille. "On a beau en détester l'idée mais l'image d'une amputation était là, violente, brutale", écrit ce médecin généraliste, qui vit à Bruxelles après avoir habité Guidel, 11.000 habitants, dans le Morbihan
Des questions en suspens
Dans ce témoignage qu'elle présente auprès de l'AFP comme "une trace écrite" pour sa fille, Isabelle Taymans-Grassin livre toutes les émotions traversées dans les mois qui ont suivi son accouchement : détresse, larmes, sentiment d'abandon et de culpabilité. "C'était évident: nous n'avions pas bien 'fabriqué' notre fille", écrit-elle. A la maternité, aucun médecin n'est capable d'expliquer les raisons de la malformation. Le gynécologue qui l'accouche a "tout de suite rebroussé chemin, comme effrayé par ce qu'il constatait". Celui qui a suivi sa grossesse tente, lui, de se dédouaner en expliquant que Charlotte a "perdu" son avant-bras en fin de grossesse... "Je commençais à anticiper les mensonges qui allaient désormais joncher notre recherche de la vérité", commente la mère. Si la famille s'est agrandie en 2014 et que les parents ont accepté le "petit bras" de leur fille, restent les questionnements.
Pas de hasard possible
Lorsque le couple découvre en 2015, grâce à une association, l'existence de deux autres enfants nés au même moment que Charlotte et porteurs de la même malformation, c'est un nouveau choc. "Trois cas identiques, aussi proches dans l'espace que dans le temps: c'était ce que l'on appelle un 'cluster'", explique Isabelle Taymans-Grassin. Avec un cas de malformation pour 10.000 naissances, trois bébés malformés en 18 mois dans une même commune ne peut, statistiquement, relever du hasard. Pour ce médecin, c'est l'occasion de trouver une cause commune, d'autant qu'elle apprend l'existence d'autres "cas groupés" en Loire-Atlantique et dans l'Ain, mis en évidence par le Remera, seul registre indépendant parmi les six chargés de consigner les malformations congénitales en France. En tout, une quinzaine d'enfants sont concernés.
Enquête au point mort
Après deux ans pendant lesquels "rien ne se passe", les médias s'emparent de l'affaire à l'automne 2018, quand Emmanuelle Amar, directrice générale du Remera, tire la sonnette d'alarme. "On a assisté à un réel élan politique pour mettre en place une enquête, un comité d'experts et un comité d'orientation avec les familles. Mais depuis que les choses se sont calmées médiatiquement, l'enquête est au point mort, le comité d'orientation a été dissous et les familles n'ont plus accès à l'information", dénonce la mère de Charlotte. "Il y a eu un semblant d'enquête qui a consisté à regarder la qualité de l'air ou l'eau dans les bases de données. C'est vraiment très léger, car ce n'est pas parce que ce n'est pas dans la littérature scientifique que ça n'existe pas", poursuit l'auteure, qui se dit "furieuse".
Règle de la dissimulation
Manque d'indépendance des experts, manque de rigueur, statistiques manipulées, guerre de la communication, "la dissimulation règne à tout point de vue", critique Mme Taymans-Grassin, pour qui les autorités cherchent "à masquer leur inaction pendant des années". Certes, les malformations ne concernent qu'un petit nombre d'enfants, qui "sont en bonne santé", reconnaît-elle, mais cela n'en constitue pas moins "un réel défi scientifique en matière de recherche des causes". Parmi les hypothèses soulevées, celle des pesticides revient régulièrement, mais ça pourrait "être tout à fait autre chose", admet l'auteure, qui entend poursuivre le combat "pour Charlotte, pour que jamais elle ne puisse douter du fait que j'ai tout tenté afin d'élucider l'origine de son handicap".