Pour le jeune styliste Chris Ambraisse Boston, tout a commencé dans le métro, quand il esquissait un modèle: "C'est classe ! Nous aussi, on aimerait porter de beaux vêtements", lui a lancé une passagère handicapée. Son idée d'une mode pour tous était née. "Cette remarque m'a fait cogiter pendant des mois. J'ai rencontré des médecins, des associations. Je ne voulais pas faire des 'vêtements pour personnes handicapées', ne pas les stigmatiser encore", explique à l'AFP cet élégant jeune homme de 32 ans d'origine antillaise, voix douce mais décidée, dans son atelier et show-room à la devanture rose de la rue de l'Ourcq à Paris. "Alors, j'ai décidé d'inventer des vêtements esthétiques, innovants et fonctionnels qui puissent être portés par les personnes valides comme par celles en situation de handicap".
Le rejet et la souffrance, il connaît
Le pari était osé: "J'étais très jeune. Je suis valide. Je suis black. Certains m'agressaient : 'Tu veux te faire de l'argent sur le dos des handicapés'". Le parcours du combattant a débuté pour convaincre de la pertinence du concept, trouver des aides.... "Après beaucoup de refus, le Fonds social européen a été mon premier financeur", raconte Chris Ambraisse Boston, également président de l'association Mode et Handicap, qui a créé sa première collection en 2009 sous sa marque de prêt-à-porter A&K Classics. Si Chris ne savait rien au départ du handicap, le rejet et la souffrance, il connaît. Placé à la DDASS, victime, avec son frère, de maltraitance de la part de ses parents, il en a bavé. "Après une thérapie, la seule séquelle qui me reste, c'est la dyslexie ! Mais je n'ai jamais voulu pleurer sur mon sort et je me suis battu pour faire financer mes études de stylisme".
Une mode aimantée
Enfiler une veste, une jupe ou un pantalon, c'est pour la majorité d'entre nous banal. Pour d'autres, s'habiller seul peut s'avérer très difficile, voire impossible. Pour les personnes en fauteuil ou souffrant d'autres handicaps, Chris crée des modèles transformables, à la fois originaux, fonctionnels et beaux, en jouant sur des ouvertures placées à des endroits stratégiques. "Zips, velcros, aimants... On fait presque de la haute-couture sans couture !" sourit-il. Ici une longue cape imperméable, qui protège les jambes quand on est dans un fauteuil (plus courte, grâce à un zip, elle sert aussi aux cyclistes). Là, une chemise avec pressions et zips sur toute la longueur des manches, un pull pour homme avec fermetures croisées aimantées ou un blouson dont tout le dos s'enlève pour les personnes portant des coques dorsales...
Un partenariat avec LVMH
Les tissus sont de qualité, les modèles fabriqués à l'atelier. Chris a notamment un partenariat avec LVMH qui lui fournit la matière première. "La France est très en retard dans ce domaine", déplore ce pionnier. Il se réjouit en revanche que la haute-couture commence à ouvrir la mode aux personnes handicapées, comme à la récente Fashion week de Tokyo. "Je crée au moins une collection par an, en innovant à chaque fois, et organise de nombreux défilés, avec des valides et des personnes handicapées", précise le créateur dont les modèles sont visibles sur le site (lien ci-dessous). Un défilé A&K Classics a ainsi eu lieu le 27 mars 2015, à la mairie du 16e, dans le cadre des Journées européennes des métiers d'art.
Un fashion angel
"La vente des modèles se fait rue de l'Ourcq, mais aussi au Canada, grâce à une récompense qui m'y a fait connaître. Bientôt, on pourra acheter mes vêtements sur internet", ajoute-t-il, "très fier" d'avoir déjà reçu douze prix pour son travail. Ses créations coûtent de 30 à 300 euros en moyenne. "On arrive à s'en sortir grâce à des aides". Ce "fashion Angel" emploie et forme aussi des jeunes en insertion sociale. Ainsi, son modéliste est un réfugié politique afghan, arrivé en France à 16 ans. "Lui, dit Chris, il a connu la guerre, des atrocités, c'est pire que ce que j'ai vécu".
Crédit photos : Valerio Geraci