Par Jessica Lopez
14h30. Dans une salle de la crèche parisienne Ernest May, Paul (prénom modifié) vient de se réveiller de la sieste. Slip rouge, tee-shirt vert et doudou à la main, le garçonnet déambule entre les jouets en souriant et s'installe avec ses camarades Louison et César. Autour du robot Leka, une boule intelligente qui fait du bruit, vibre et s'illumine pour stimuler les enfants par le jeu, le petit groupe crie et rigole. Il y a quelques mois encore, Paul, atteint de troubles du spectre de l'autisme (TSA), était "très renfermé". "Quand il est arrivé, il ne parlait pas, ne jouait pas avec ses camarades et avait des troubles obsessionnels", se souvient Noëlla Manquin, directrice adjointe de cet établissement du XVIIe arrondissement, constatant une "belle évolution depuis un an".
12 berceaux pour enfants autistes
Sur ses 62 berceaux, cette crèche de quartier gérée par la Croix-Rouge en réserve 12 depuis un an pour des enfants autistes, un trouble neurodéveloppemental qui affecte environ une naissance sur cent. Dans cet établissement, quelques portes mais peu de cloisons. Les enfants, classés par degré de mobilité plutôt que par âge, sont libres de circuler entre les différents espaces, traînant un petit sac bleu avec tétine, doudou et feuille de suivi remplie par le personnel le long de la journée. "On a cassé les barrières. Le pari, c'était de mélanger tout le monde pour permettre un maximum d'interactions entre les enfants, mais aussi le personnel. Sans stigmatisation", explique à l'AFP Fabien Roussel, le directeur. De fait, "les parents connaissent notre projet mais il arrive encore qu'on nous demande quand est-ce qu'on va commencer à accueillir des enfants autistes", s'amuse-t-il.
La tête contre les murs
L'endroit est rare. Peu de structures de petite enfance accueillent des enfants en situation de handicap, malgré une volonté unanime "d'inclure" dès le plus jeune âge. Le 4e plan autisme, récemment annoncé par le gouvernement, s'engage d'ailleurs dans le diagnostic précoce des enfants et la scolarisation en maternelle pour tous (articles en lien ci-dessous). La Croix-Rouge, qui gère 57 crèches volontaires pour accueillir les enfants en situation de handicap, a décidé de consacrer son 3e Pacte Santé au thème "Enfance et Handicap". Dans ce rapport, présenté le 19 avril lors d'une table-ronde en présence de la secrétaire d'Etat chargée du handicap, Sophie Cluzel, elle détaille ses engagements et défend un accueil "inconditionnel" dans les dispositifs de la petite enfance, à l'école et en centre de loisirs.
Désacraliser le handicap
"Un enfant handicapé, c'est d'abord un enfant", déclare à l'AFP le Professeur Jean-Jacques Eledjam, président de la Croix-Rouge française. "Il faut s'adapter à un besoin, plutôt que répondre à une offre globale". "Ainsi, pour éviter d'enlever l'enfant de son espace de vie, des équipes mobiles spécialisées (psychomotricien, psychologue...) interviennent au sein même des crèches", détaille Céline Poulet, déléguée nationale handicap à la Croix-Rouge. Et pour "désacraliser le handicap", la majorité des personnels ont été sensibilisés. "Il a fallu revoir les pratiques... et les a priori, poursuit M. Roussel. Un enfant handicapé n'est pas synonyme d'enfant à problème, un enfant autiste n'est pas un enfant qui se tape la tête contre les murs".
Des places encore libres
Pourtant, sur les 12 places dédiées à Ernest May, seules sept sont prises. Par manque d'information, peur de l'échec ou autocensure, peu de parents demandent une place en crèche, regrettent ces professionnels. "Souvent, quand le diagnostic est posé, un des parents s'arrête de travailler alors ils ne se sentent pas forcément légitimes. Pourtant, c'est vital pour souffler", constate Noëlla Mangin. Selon un sondage réalisé par l'institut CSA pour la Croix-Rouge, un tiers (33%) des parents d'enfants en situation de handicap ne se déclare pas satisfait des conditions de scolarisation de leur enfant.