Hélène, la jeune femme autiste filmée dans le documentaire Dernières nouvelles du cosmos de Julie Bertuccelli, semble bien venir d'une autre planète, dépourvue de langage mais pleine d'émotions, de perceptions débordantes et d'écrits foisonnants.
Des petits cris et beaucoup de rires
A 30 ans, Hélène ne parle pas, n'émettant que de petits cris et beaucoup de rires, mais elle écrit, grâce à de petites lettres plastifiées qu'elle aligne un peu dans le désordre, mais sans jamais faire de faute d'orthographe. Concentrée, elle pioche à toute vitesse les lettres dans une boîte en bois. « Mes mots ne s'improvisent qu'au rythme endiablé du va-et-vient de ma lanterne », écrit-elle. Ses textes, traversés de fulgurances poétiques, sont publiés sous le nom de Babouillec qu'elle s'est choisi. L'un d'eux, Algorithme éponyme, a été adapté au théâtre par Pierre Meunier sous le titre Forbidden di sporgersi (Interdit de se pencher, dans une sorte d'esperanto).
Au festival d'Avignon 2015
Le film suit pour une grande part Hélène tout au long de la création de la pièce, jusqu'à la Chartreuse de Villeneuve-Lès-Avignon où elle a été programmée dans le festival d'Avignon 2015. La caméra ne triche pas : elle ne cherche pas à embellir Hélène, à gommer l'autisme et ses manifestations les plus embarrassantes, lorsque la jeune femme s'énerve, jette bras et jambes en l'air ou se mord férocement la main. Mais elle sait aussi saisir l'intensité de sa pensée, filmer son visage au repos, l'oreille tendue vers un pépiement d'oiseaux, le regard perdu dans un paysage d'arbres frissonnants. « La rencontre avec Hélène m'a rappelé ma rencontre avec les aborigènes d'Australie, il y a quelques années, lors du tournage de mon film L'Arbre », explique la réalisatrice. « Hélène a le même rapport primordial avec l'univers. »
Trouver une porte
La jeune femme entretient un rapport à la nature extrêmement joyeux, sensuel, que nous semblons avoir perdu, nous qui sommes si « communicants », si « connectés ». Hélène a mis 20 ans à savoir communiquer par écrit avec son entourage, mais son cerveau a stocké des quantités incroyables de sensations, d'interrogations, qu'elle partage désormais, grâce à l'entremise de sa mère, Véronique Truffert. Cette dernière raconte comment elle a réussi à « trouver une porte » pour entrer en contact avec sa fille, sortie d'une institution à l'âge de 14 ans « comme un corps muet ». Cette « porte » de l'écriture s'est ouverte à Babouillec à 20 ans comme une seconde naissance.
Le mystère de l'écriture
La pièce de théâtre de Pierre Meunier et Marguerite Bordat (20 au 28 février 2017 au Théâtre des Abbesses à Paris) explore le mystère de l'écriture d'Hélène, avec force machines dont le bricoleur Pierre Meunier a le secret : souffleries, ventilateurs, objets musicaux divers... Le film, lui, explore plutôt le mystère que représente Hélène, « la dichotomie extraordinaire entre son corps, qui est ce que nous percevons d'elle en premier, et tout ce qu'elle recèle de passionnant, de génial, de si perturbant pour nos petites logiques humaines », dit Julie Bertuccelli. La réalisatrice s'intéresse de longue date aux différences entre les êtres, et aux « difficultés de la vie qui nous rendent plus fort et nous construisent », de La Fabrique des juges (1997) sur les magistrats, à La Cour de Babel (2014) sur des adolescents.
La différence d'Hélène nous saute au visage, lorsque la caméra montre sa figure barbouillée de nourriture ou son corps pataud, si loin de l'intelligence de son regard à l'affût d'une conversation ou d'une sensation. Le film ne prétend pas résoudre l'énigme, mais nous pousse à nous interroger : et si, derrière chaque personne dite « handicapée », se cachait un voyage dans le cosmos ?
Dernières nouvelles du Cosmos, documentaire de Julie Bertuccelli, 1h25, en salles le 9 novembre 2016.
Projection en présence de la réalisatrice le dimanche 6 novembre à 16h au CNP Terreaux (Lyon 2e).
Autres dates d'avant-premières dans toute la France sur la page Facebook du film en lien ci-dessous.