La vie est jalonnée de joies et de tristesses, de passions et de contraintes. Il appartient à chacun de trouver son équilibre. Alors que certains subissent, d'autres ouvrent grands leurs bras à la vie, pratiquent avec ferveur de nombreuses activités ou encore s'émerveillent des offrandes de la nature... Je suis de ceux-là.
A 45 ans, ma vie bascule...
C'est dans la force de l'âge, à 45 ans, que ma vie bascule. En juillet 2005, une gêne apparait entre le pouce et l'index, qui se prononce au fil des semaines. Mais je suis loin d'associer ces premiers symptômes à une pathologie grave même si je m'interroge lors de certaines activités qui requièrent un peu d'adresse. Je n'oublierai jamais mon dernier concours de pétanque au cours duquel chacun de mes tirs était systématiquement dévié de quelques centimètres sur la gauche, de mes dernières parties de ping-pong ou de bowling, de ma dernière grosse gamelle à la patinoire ou encore de ma dernière sortie de pêche au Frioul, en septembre 2005, que j'ai dû écourter car je n'arrivais plus à mettre l'appât sur l'hameçon.
Le verdict tombe : 5 ans à vivre maxi
Le premier diagnostic penche pour une anomalie du canal carpien mais il ne me convient pas. Je réclame des examens plus approfondis : un électromyogramme (EMG). Assez pénible ! Il consiste à implanter de fines aiguilles dans les muscles, qu'un courant traverse pour mesurer et enregistrer les réponses musculaires. On ne me dit rien mais rendez-vous est pris aussitôt au CHU de la Timone, à Marseille, pour passer un second EMG plus approfondi. On rédige un courrier pour la neurologue qui me suivra par la suite. C'est de retour à la maison que je lis qu'une probable SLA est évoquée. SLA ? Qu'est-ce ? Je vais sur internet. Le couperet tombe. Espérance de vie : 3 à 5 ans, avec quelques détails sur la dégénérescence musculaire conduisant à la paralysie totale. Drôle de manière d'apprendre qu'on fonce droit dans un mur ! Les médecins n'ont pas eu la franchise d'annoncer la couleur. C'est tellement mieux de le découvrir par soi-même ! A la suite de ce diagnostic, la dégénérescence touche progressivement ma main gauche, mes bras puis mes jambes...
• 2006. J'arrive encore à marcher avec l'aide d'une personne. Je conduis, me rends sur mon lieu de travail et peux écrire de la main gauche. En fin d'année, j'aménage mon bureau au rez-de-chaussée car prendre l'escalier devient trop pénible.
• 2007. Je dois acquérir un fauteuil roulant, être accompagné en véhicule spécialisé pour me rendre au boulot (45 km) puis je m'équipe d'un petit fauteuil d'intérieur qui me permet de passer les portes de la maison sans devoir les élargir. Fin septembre, je cesse mon activité professionnelle et, à partir de ce moment, j'ai recours à une auxiliaire de vie pour me lever, me déplacer mais aussi pour prendre mes repas à mon domicile.
• 2008. J'ingère des aliments de plus en plus liquides et mes membres deviennent inévitablement inertes, jusqu'à utiliser un lève-personne pour aller et venir du lit au fauteuil du salon ou aux toilettes.
• 2009. Progressivement, je ne sors plus de mon lit que pour aller aux toilettes et, en fin d'année, ne pouvant plus m'alimenter en quantités suffisantes, nous envisageons la pose d'une gastrostomie (sonde gastrique) pour injecter directement dans mon 'estomac une nourriture protéinée et vitaminée.
• 2010. Le 17 janvier au soir, je fais un blocage respiratoire, trop faible pour expectorer (tousser). Dans le plus grand calme, Valérie me tient la main. Je la regarde, je suis bien et l'oxygène ne me manque pas. Puis, juste avant de perdre connaissance, après quatre à cinq minutes d'apnée, elle me demande si je veux bien qu'elle appelle les pompiers. La réponse n'est pas prompte mais, commençant à y voir tout gris, je dis « Oui » puis je perds connaissance. Je me réveille trois jours plus tard aux urgences de Martigues, avec une trachéotomie.
Depuis, je suis accompagné par un ou une auxiliaire de vie, six jours sur sept, et par une infirmière deux fois par jour pour les toilettes, les soins, les changements de canules... Après une période, dans l'ensemble fort désagréable, d'hospitalisation à domicile (HAD), j'ai recours à deux infirmières libérales et une équipe d'auxiliaires de vie qui se stabilise. Les toilettes, beaucoup plus agréables, sont souvent accompagnées d'éclats de rires, ce qui rend, bien évidemment, les matinées plus joyeuses.
Mon seul mouvement : cligner des yeux
Aujourd'hui, mes fonctions vitales sont assurées par des machines et je ne bouge plus que mes yeux. Je me suis équipé d'un système de communication par mouvements et clignements des yeux (Quick Glance TM3) pour communiquer mais aussi pour travailler sur mes sites web, mes pages Facebook et participer à divers projets scientifiques. Je continue également à gérer mon association Côte Bleue, ce qui me procure chaque jour des objectifs et une échappatoire pour l'esprit. Quand je ne suis pas trop fatigué, j'arrive à travailler quinze heures par jour, voire plus. Grâce à un boîtier IRTANS, je contrôle la télé, le lit, la clim... Sa programmation n'est pas très simple mais tellement pratique ! Je pourrais aider des personnes à créer une télécommande personnalisée et leur donner un mode opératoire pour saisir les codes avec une petite manip.
2012 : je crée « SLA aide et soutien »
Après avoir ouvert un compte Facebook et rejoint un groupe de personnes également atteintes de la SLA, je mesure l'ampleur de la détresse et de l'isolement de centaines de personnes malades et de leur entourage et décide naturellement de leur venir en aide. Je crée « SLA aide et soutien » le 17 avril 2012. Elle apporte une aide morale et matérielle, une aide au financement de la recherche, une contribution à l'enseignement paramédical, un développement de communication et une ouverture à l'Alliance internationale des associations SLA. Autant de raisons qui, d'une part, ne me laissent plus le temps de penser aux désagréments de la maladie et, d'autre part, dans les moments difficiles, me donnent la force de lutter, jusqu'à en ignorer la souffrance, pour poursuivre ma mission, celle d'apporter du réconfort aux centaines personnes touchées par celle qu'on appelle aussi « maladie de Charcot ». Ma devise « Se sentir utile, c'est rester vivant » prend, à mes yeux, tout son sens.