Plus de 2 millions de patients pris en charge à domicile, plus de 25 000 visites essentielles et urgentes assurées en moyenne par jour… Et puis une crise sanitaire d'une violence inouïe à laquelle il a fallu faire face. Les prestataires de santé à domicile (PSAD) se disent, depuis le début de la pandémie, en « seconde ligne » pour accompagner les patients et soutenir l'hôpital dans la gestion de la crise, notamment en favorisant le retour précoce à domicile de patients hospitalisés dans les unités Covid et en prêtant du matériel médical aux structures hospitalières.
Mais, dans le cadre de leur champ d'expertise habituelle, les 3 000 agences en France ont dû assurer la continuité des soins auprès de leurs patients chroniques, en accordant une attention très particulière aux plus fragiles (diabétiques, immunodéprimés, cancéreux, patients perfusés en état de fragilité, personnes âgées dépendantes et handicapées, BPCO...). Rappelons que les PSAD assurent la mise à disposition à domicile de prestations associées à la délivrance et des dispositifs médicaux tels que lits médicalisés, pompes à insuline, poches à incontinence, casques anti-apnée du sommeil…
Interventions limitées
En limitant leurs visites à domicile à celles strictement indispensables et urgentes, ils ont favorisé le recours à la télésurveillance et au télésuivi, pour des activités le permettant. Si Sylvie Proust, directrice générale de l'entreprise Harmonie médical service et, par ailleurs, administratrice de la Fédé PSAD, a pu maintenir son activité sur tous ses sites, avec une équipe minimum pour assurer le dépannage et le service après-vente de ses usagers en situation de handicap ou perte d'autonomie, elle déplore que ce ne soit « peut-être pas représentatif de la majorité des entreprises du secteur ». Elle constate que les « petits indépendants qui exerçaient exclusivement dans le domaine du handicap ont dû mettre tous leurs salariés au chômage technique » car ils ne pouvaient plus aller dans les centres, ni voir les patients, ni livrer le matériel. En revanche, les activités récurrentes ont été assumées (fourniture de sondage urinaire, surveillance du diabète...), en « prenant des précautions indispensables pour assurer la sécurité des usagers », complète Arnaud Fayolle, DG adjoint du groupe Bastide, lui aussi administrateur de la Fédération, même si ce secteur, comme bien d'autres, a souffert de la pénurie de masques.
Didier Delcuzoul témoigne qu'il a pu bénéficier des soins inhérents à son handicap et d'une réponse attentive de son prestataire qui l'a joint chaque jour par téléphone. « Je ne me suis jamais senti en panique car, à Rodez, il est en mesure d'intervenir H24. » Mais il mentionne, dans d'autres régions, des personnes davantage pénalisées, notamment à cause de l'absentéisme de certains professionnels. Un problème qui, selon lui, « date d'avant la crise ».
Des délivrances en attente
Là où le bât blesse véritablement, c'est la suspension de l'évaluation des besoins des personnes durant cette période qui engendre un inquiétant retard sur la délivrance des aides à la mobilité ou la réparation, notamment des fauteuils roulants (article complet en lien ci-dessous). « Les cabinets médicaux ayant fermé, il n'y avait plus de prescripteurs, explique Arnaud Fayolle, et les dossiers en cours ne sont donc pas traités ». Du matériel a été mis à disposition mais sans que les prestataires n'aient la garantie d'être payés. La fédération a alerté le cabinet de Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap, à ce sujet. « Le problème, c'est que nous avons accumulé beaucoup de retard que nous ne pourrons pas rattraper, poursuit-il. Avec la réouverture partielle des structures d'accueil et médicales, on est face à un véritable goulot d'étranglement et nous allons mettre beaucoup de temps pour répondre aux besoins. » C'est, pour lui, la première des priorités dans les semaines à venir. D'autant que la profession a constaté un renoncement aux soins, par peur de la contamination, qu'il va falloir, en parallèle, compenser. Arnaud Fayolle observe que certains de ses patients ont particulièrement peur du Covid, « notamment ceux qui présentent des comorbidités ». C'est le cas de Didier Delcuzoul, tétraplégique et diabétique, qui, particulièrement à risque, a décidé qu'on ne franchirait sa porte qu'en cas de nécessité.
Un secteur en danger ?
Cette situation sans précédent pourrait-elle néanmoins impulser de nouveaux modes d'intervention, en favorisant par exemple le télésuivi ? Déjà en place pour un certain nombre de pathologies, comme l'apnée du sommeil, elle pourrait en effet changer certaines habitudes dans le champ du handicap. Arnaud Fayolle évoque, par exemple, « des contacts téléphoniques plus réguliers et l'identification de signaux d'alerte à distance ». Il se veut néanmoins prudent au motif que « la visite à domicile, notamment pour les patients handicapés, reste primordiale ». Cette crise ne devrait donc pas, in fine, révolutionner le secteur.
Reste qu'une lourde menace pèse sur ses 25 000 salariés qui se disaient déjà « très fragilisés ». La situation économique du secteur s'avère complexe depuis que le gouvernement a fait pression pour réduire les coûts de santé ; entre coupes budgétaires successives, renouvelées en 2019, et nouveaux investissements nécessaires, les marges des prestataires s'en sont trouvées réduites. « Le système budgétaire contraint a atteint ses limites », s'alarme la Fédé PSAD. Un « défilé de la colère » était d'ailleurs prévu en avril 2019, annulé in extremis suite à l'incendie de Notre-Dame (article en, lien ci-dessous). Avec la crise sanitaire sans précédent, de nombreuses petites structures risquent la cessation d'activité. « Elles sont véritablement en danger, conclut Arnaud Fayolle. Quand vous ne facturez rien pendant plusieurs semaines, car toute la chaîne de prise en charge a été arrêtée, vous avez intérêt à avoir une trésorerie suffisante pour tenir... »