Un matin de janvier 2015, la vie d'Ioulia Mikhaïlova a basculé. Alors qu'elle se rendait à son travail à Donetsk, fief des rebelles prorusses dans l'est de l'Ukraine, elle a été touchée par des éclats d'obus. Et a perdu une jambe et une main. Cette jeune fille blonde s'estime pourtant chanceuse d'avoir survécu, alors que 15 autres personnes ont été tuées ce jour-là. Elle vit aujourd'hui avec des prothèses, un fauteuil roulant et l'aide de ses amis.
Un an pour obtenir une prothèse
« Le jour du drame, j'ai vu mes membres coupés. Tout mon corps me faisait mal et j'ai perdu beaucoup de sang. J'ai eu de la chance qu'en réanimation il y ait eu des médicaments grâce à l'aide humanitaire », raconte Ioulia, 25 ans, qui a déjà subi 13 opérations. « Pendant une opération, un nerf s'est coincé. Maintenant, ma main me fait tout le temps mal. Quand je commence à marcher avec ma prothèse, je commence à souffrir de la jambe aussi. C'est très dur », ajoute-t-elle. La jeune femme n'a obtenu une prothèse pour sa jambe qu'un an après le drame, via le centre de prothèses de Donetsk. En 2015, seulement près d'une soixantaine de personnes, dont Ioulia, ont pu obtenir des prothèses gratuites. Les entreprises les fabriquant en République populaire autoproclamée de Donetsk (DNR) sont dépendantes de matériaux livrés depuis la Russie et beaucoup ont dû arrêter leur production lorsque les combats avec l'armée ukrainienne étaient trop intenses.
Peu de modèles fonctionnels
De plus, ces entreprises ne peuvent fabriquer que des prothèses « ordinaires ». « Avec elles, on apprend à marcher. Mais ensuite, il faut une meilleure prothèse, une qui soit plus fonctionnelle, explique Ioulia. Mais le gouvernement ne peut pas en donner, parce que de tels modèles coûtent cher. » Les blessés souhaitant obtenir des prothèses plus adaptées à leurs besoins doivent donc se les procurer eux-mêmes. Ioulia a pu en faire l'acquisition pour sa main, en plus d'un fauteuil roulant grâce à la générosité de donateurs.
Ville inadaptée au handicap
L'Ukraine est en proie depuis plus de deux ans à un conflit opposant ses forces à des séparatistes prorusses qui sont, selon Kiev et les Occidentaux, soutenus militairement par la Russie, ce que Moscou dément. Le conflit a fait plus de 9 600 morts et plus de 22 000 blessés depuis son déclenchement en avril 2014 et malgré l'instauration de plusieurs trêves, des affrontements meurtriers ont régulièrement lieu le long de la ligne de front. Alexandre Pachkov, un Russe originaire de Voronej (sud-ouest de la Russie), venu se battre auprès des rebelles prorusses, a perdu une jambe dans le conflit. Il regrette que sa prothèse ne soit pas assez adaptée. « Pour faire du sport, pour courir ou monter un escalier, il faut une prothèse électronique qui coûte environ 2 millions de roubles (environ 29 000 euros), confie le jeune homme de 27 ans. Il n'y a pas de bonnes prothèses ici. C'est une rééducation de style soviétique. »
Avec les moyens du bord
Nombre de blessés déplorent par ailleurs le manque d'infrastructures adaptées dans le fief rebelle. À Donetsk, il n'y a en effet pas de toilettes publiques adaptées aux personnes en situation de handicap, et la plupart des magasins et cafés ne sont pas équipés d'ascenseurs ou de rampes. « Donetsk n'a jamais été une ville pour les personnes handicapées. Donetsk a toujours été pour les riches, les gens qui ont du succès », estime Ioulia. Face au prix élevé des prothèses de bonne qualité, certains s'en remettent à des artisans qui leur fabriquent, chez eux, des modèles. Igor Roudenko, ingénieur de formation, en fait partie. Il utilise pour cela des amortisseurs de vélos et d'autres matériaux disponibles dans son atelier. Il explique : « J'essaye de réduire le prix de fabrication d'une prothèse en utilisant les matériaux qu'on a sous la main ».
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